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Proust, la négation de l’Homme Moderne ?
dimanche 29 juin 2008 par Serge Uleski

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Le style n’a pas grand’chose à voir avec le vocabulaire, la grammaire et la syntaxe.

Le style, c’est le point de vue, le regard porté sur les choses, les êtres, la réalité. Un auteur qui a un style - mais c’est un pléonasme -, on dira donc... un écrivain qui a un style, c’est un regard sur le monde qui lui est propre : c’est un angle de vue particulier, un angle d’attaque aussi (pour peu qu’il soit guerrier).


Prenons Proust.

Parmi ceux qui lisent - comprenez : ceux qui sont encore capables de consacrer, disons une à deux heures par jour à la lecture - nombreux sont ceux qui n’ont jamais lu Proust ou bien, qui s’en sont détournés dès les premières pages. Pourquoi ça ?

Ce qu’ils n’aiment pas chez Proust, ce n’est pas son vocabulaire, sa syntaxe, sa grammaire : c’est son style qu’ils n’aiment pas. Et son style, qu’est-ce au juste ? Le style de Proust, c’est le choix de ses personnages ; le choix qu’il fait de nous parler d’un tel plutôt que d’un autre, et plus important encore : ce qu’il en dit.

Force est de constater que les lecteurs se moquent pas mal de ce que Proust choisit de nous dire. Ce ne sont pas des personnages de Proust dont ils n’ont rien à faire, mais du regard que l’auteur porte sur eux. On pourrait prendre les mêmes personnages et décider d’en dire autre chose ; et là, ça changerait tout, bien évidemment.

Le plus grand mérite de Proust, sans aucun doute, c’est d’avoir contribué à réconcilier les humanités avec les sciences sociales - la littérature avec la sociologie. Mais... reste Proust lui-même. Pourquoi a-t-il fait cette oeuvre-là et pas une autre ?

_________________

Proust et la fulgurance du passé.

Fulgurance du souvenir - celui de l’enfance, de l’adolescence et des premières années de l’âge adulte -, qui vient comme un boomerang terrasser Proust et le clouer au lit.

Que le passé puisse avoir un tel impact sur cet auteur, les lecteurs ne s’en préoccupent guère ; et pourtant, s’ils s’en souciaient un instant, cela les rapprocherait très certainement de Proust car, ils ne pourraient pas ne pas sentir concernés par cette expérience, comme nous tous, lecteurs ou pas.

Chez Proust, tout est passé, tout appartient au passé : ses personnages aussi - figures du passé de Proust, s’entend. Son présent ne lui sert qu’à se rapprocher du passé. Proust ne disait-il pas : " Un livre est un cimetière" ? Et ce passé, indissociable de sa personne, commence dès son plus jeune âge : à 20 ans, il est déjà dans le passé de ses 10 ans ; à 30, dans celui de ses 20 ans.

Pathologiques cette situation et tous ces souvenirs qui, sans contrôle, viennent envahir sa conscience d’être au présent. Chez Proust, le moindre rappel du passé lui fait l’effet d’un événement capital, d’une importance démesurée, extra-ordinaire ; chez lui, chaque souvenir est un traumatisme en puissance, car son présent, et accessoirement son avenir, ne seront jamais à la hauteur de son passé, puisqu’il ne s’investit pas dans son propre avenir, faute d’en reconnaître la nécessité.

En tant qu’être humain - être humain au sens moderne du terme : s’entreprendre et advenir - Proust a cessé d’avoir un avenir, très tôt. Pour cette raison, Proust ne peut que se retourner sur lui-même. Et plus il se retourne, plus il souffre ou bien, plus ses souvenirs le terrassent d’émotion : ce qui revient au même.

Proust est né très vieux dans un monde très jeune. C’est le paradoxe. N’oublions pas que Proust a 29 ans en 1900 ; et ce siècle qui arrive est le siècle d’avenir par excellence, quand on sait ce qu’il en adviendra. A l’entrée de ce nouveau siècle qui grandira très très vite, Proust est déjà un homme du passé dans sa manière de conduire son existence, de l’acheminer, en ne donnant... justement ! aucune direction à cette existence, sinon une seule : celle qui le renvoie à son passé alors que l’avenir est la seule direction envisageable pour un individu de son âge, normalement constitué.

De là à penser que Proust (rentier-boursicoteur) serait la négation même de "l’Homme Moderne" : s’entreprendre, advenir, mettre en échec tous les déterminismes...

D’autre part, on ne manquera pas de noter que l’oeuvre de Proust est le plus souvent une oeuvre-refuge pour ses admirateurs inconditionnels ; un rempart, l’oeuvre de Proust, contre ce monde moderne dont la nécessité historique leur échappe : tout ce qui nous y a conduit et continuera de nous y conduire ; même si l’on se gardera bien de leur demander d’y adhérer.

En effet, comment pourraient-ils, comment pourrait-on, nous tous ?


Certes ! Vivre, c’est accumuler du passé. Etre capable, à tout moment, de convoquer ce passé, c’est prétendre à l’immortalité : adoration perpétuelle de soi jusqu’à l’extase, grandissement épique avec l’éternité pour leurre et le mensonge comme clé de voûte - car, se souvenir, c’est se mentir - , avant de tout oublier, l’écuelle vide mais... initié.

L’expérience existentielle de Proust c’est une vérité sur lui-même, et cette vérité le désarçonne, lui fait perdre tous ses moyens et le condamne très tôt, à son insu et tous ses personnages avec lui, à l’immobilisme, l’oisiveté et la mort (et pas seulement à cause d’une santé fragile)...

Avec pour seul secours : l’écriture ; et seul recours : le souvenir et l’émotion suscitée par cet exercice épuisant de remémoration qui a tous les accents d’une... auto-commémoration.

Tel est son style.

“La nausée” de Sartre, à côté de cette expérience fulgurante qui frappe Proust de plein fouet et au plus profond, c’est trois fois rien : juste une petite déprime.


Toile présentée : "Révélation" du peintre Ursula ULESKI
- acrylique sur toile 100x80

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Messages

  • bonjour et merci beaucoup de votre point de vue.
    Je suis totalement d’accord avec vous sur l’inadaptation totale d’un auteur comme Proust a l’integration de la jeunesse du 21°siecle dans le monde moderne. Il y a eu sur ce sujet une debat sur le forum du monde dans la partie litterature, ainsi qu’une analyse critique publiée dans exigence litterature sur le le genre de memoire que Proust utilise dans ses romans par opposition a Gerard de Nerval. Car vous avez tout a fait raison Proust puise dans sa propre memoire alors qu’il n’a meme pas 30 ans et pas grand chose a dire alors que le folklore qui interesse Nerval serait une source de memoire beaucoup plus riche. On peut se reporter a ce sujet au petit essai de Umberto Eco.
    Meleze

  • Mais si PROUST ne regarde pas son avenir mais son passé, ne pensez-vous pas que c’est parce qu’il se regarde découvrir la vie ?
    Il nous raconte ses premières amours : amour platonique avec Gilberte, amour passionné avec Albertine,
    ses premières amitiés : avec Bloch puis St Loup,
    sa découverte du monde : Charlus et son homosexualité, la Duchesse de Guermantes, riche et malheureuse,
    l’histoire de Swann, qui influence sa propre vie.
    Mais une fois ces découvertes faites, la vie est-elle intéressante ?
    Finalement, dans le temps retrouvé, lorsqu’il est au bal et redécouvre tous ces gens qu’il a cotoyé des années auparavant, lorsqu’il écrit :
    "J’eu un fou rire devant ce sublime gaga."
    on croirait un jeune homme qui n’a pas vieilli, peut-être parce qu’il n’a pas quitté ses souvenirs.

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