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Joly, Orwell, Keynes

Réflexions en marge du débat sur la Constitution européenne

mercredi 20 août 2008 par Berthoux André-Michel

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« Il y a deux ans qu'il lui envoya un grand écrit, qu'il appela Constitution, et voulut obliger, sous de grandes peines, ce pri

 

 

« Il y a deux ans qu'il lui envoya un grand écrit, qu'il appela Constitution, et voulut obliger, sous de grandes peines, ce prince et ses sujets de croire tout ce qui y était contenu. Il réussit à l'égard du prince, qui se soumis aussitôt et donna l'exemple à ses sujets. Mais quelques-uns d'entre eux se révoltèrent et dirent qu'ils ne voulaient rien croire de tout ce qui était dans cet écrit ».

MONTESQUIEU, Les lettres persanes, XXIV

 

 

Un avocat, Maurice Joly, qui voulait s'essayer à la littérature fait paraître anonymement[1] à Bruxelles en 1864 un pamphlet intitulé Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu. Devenu bien malgré lui très célèbre par la suite[2], ce livre met en scène un entretien entre le philosophe des lumières et le penseur politique florentin et qui n'est pas s'en rappeler la forme employée par Diderot dans son célèbre texte, Le Neveu de Rameau. L'auteur du Dialogue, une fois révélé, fut arrêté, jugé et condamné à 15 mois d'emprisonnement pour excitation à la haine et mépris du gouvernement[3].

Machiavel, connaissant les évènements politiques et sociaux qui ont ébranlé la France depuis 1789, dresse un terrible constat aux accents révolutionnaires très particuliers :

« Il y a des populations gigantesques rivées au travail par la pauvreté, comme elles l'étaient autrefois par l'esclavage. Qu'importe, je vous le demande, à leur bonheur toutes vos fictions parlementaires ? Votre grand mouvement politique n'a abouti, en définitive, qu'au triomphe d'une minorité privilégiée par le hasard comme l'ancienne noblesse l'était par la naissance. Qu'importe au prolétaire courbé sur son labeur, accablé sous le poids de sa destinée, que quelques orateurs aient le droit de parler, que quelques journalistes aient le droit d'écrire ? Vous avez créé des droits qui resteront éternellement pour la masse du peuple à l'état de pure faculté, puisqu'il ne saurait s'en servir. Ces droits, dont la loi lui reconnaît la jouissance idéale et dont la nécessité lui refuse l'exercice réel, ne sont pour lui qu'une ironie amère de sa destinée. Je vous réponds qu'un jour il les prendra en haine, et qu'il les détruira de sa main pour se confier au despotisme »[4].

Considérant que « les peuples retournent à la barbarie par le chemin de la civilisation », il en conclut que « le despotisme est la seule forme de gouvernement qui soit réellement appropriée à l'état social des peuples modernes »[5]. Les classes inférieures « essayent de monter à l'assaut du pouvoir » non pas « par amour de la liberté » mais pour « arracher [aux nantis] leurs richesses, instrument des jouissances qu'il envient »[6]. Face à cette menace, les possédants « implorent (...) un pouvoir fort » qui protège « l'Etat contre des agitations auxquelles sa constitution débile ne pourrait résister, de leur donner à eux-mêmes la sécurité nécessaire pour qu'ils puissent jouir et faire leurs affaires »[7]. Alors que Montesquieu développe une argumentation timide « fondée sur la marche en avant inéluctable du libéralisme », Machiavel dans ce contexte où dominent corruption, fraude, lois répressives et cosmopolitisme universel ne voit de salut pour ces sociétés devenus désormais de grands Etats, « que dans l'institution d'une centralisation à outrance, qui mette toute la force publique à la disposition de ceux qui gouvernent ; dans une administration hiérarchique semblable à celle de l'empire romain, qui règle mécaniquement tous les mouvements des individus ; dans un vaste système de législation qui reprenne en détail toutes les libertés qui ont été imprudemment données ; dans un despotisme gigantesque, enfin, qui puisse frapper immédiatement et à toute heure, tout ce qui résiste, tout ce qui se plaint »[8].

Le nouveau prince conscient de l'importance que revêt pour le peuple le suffrage universel en fera comme premier usage de lui soumettre sa constitution dont le préambule se contenterait de reconnaître et de confirmer les grands principes du droit moderne sans toutefois les désigner expressément afin qu'il puisse conserver sa liberté d'action (« En ne les nommant point, je parais les accorder tous et je n'en accorde spécialement aucun ; cela me permettra plus tard d'écarter, par voie d'exception, ceux que je jugerais dangereux »[9]). Et pour mieux manipuler et tromper les masses il utilisera la presse comme un instrument de propagande afin d'obtenir leur consentement. « Dans les pays parlementaires, déclare-t-il, c'est presque toujours par la presse que périssent les gouvernements, eh bien, j'entrevois la possibilité de neutraliser la presse par la presse elle-même. Puisque c'est une grande force que le journalisme, savez-vous ce que ferait mon gouvernement ? Il se ferait journaliste, ce serait le journalisme incarné »[10]. Cette presse sous l'emprise du prince embrassera toutes les opinions. Chacun des journaux développera les idées d'un parti existant en ayant pour mission « de rallier à son pouvoir cette masse d'hommes tièdes et indifférents qui acceptent sans scrupule ce qui est constitué, mais ne vont pas au delà dans leur religion politique »[11]. Cette utilisation détournée de la presse n'est pas s'en rappeler la manipulation exacerbée qu'en fera Big Brother, le dictateur du célèbre roman de George Orwell 1984. A cette époque, on ne pouvait pas imaginer un novlangue rendant impossible toute autre mode de pensée, mais les prémisses d'un tel langage se font cependant sentir lorsque notre Machiavel affirme : « Comme le dieu Wishnou, ma presse aura cent bras, et ces bras donneront la main à toutes les nuances d'opinion quelconque sur la surface entière du pays. On sera de mon parti sans le savoir. Ceux qui croiront parler leur langue parleront la mienne, ceux qui croiront agiter leur parti agiteront le mien, ceux qui croiront marcher sous leur drapeau marcheront sous le mien »[12].

 

 

George Orwell dans un article intitulé James Burnham et l'ère des organisateurs[13], paru pour la première fois en mai 1946, expose la théorie que le philosophe américain développe dans deux ouvrages importants The Managerial Revolution et The Machiavellians.

Selon Burnham, le capitalisme en voie de disparition n'est pas remplacé par le socialisme. Une nouvelle forme de société planifiée et centralisée apparaît. Ni capitaliste, ni démocratique, elle sera dirigée par des « managers », autrement dit par ceux qui contrôleront effectivement les moyens de production, chefs d'entreprises, techniciens, bureaucrates ou encore militaires. Après avoir éliminé la vielle classe capitaliste et écraser la classe ouvrière, ils concentreront entre leurs mains, pouvoir et privilèges économiques. L'émergence de ce type de société ne mènera pas à la formation de petits états indépendants mais à la constitution de super-Etat de vastes dimensions regroupés autour de trois grands axes industriels, l'Europe, l'Asie, l'Amérique. « Ces super-Etats se disputeront les parties du globe qui n'auront pas été asservies, mais ils seront probablement incapables de se conquérir l'un l'autre intégralement. Sur le plan interne, chaque société sera hiérarchisée, avec une oligarchie au sommet et une masse de semi-esclaves à la base »[14].

Le caractère novateur de la théorie, précise Orwell, n'est pas dans la description d'une telle société, entrevue par de nombreux prédécesseurs, mais dans son aspect inéluctable. On voit bien que les thèses de Burnham dont il condamne vigoureusement les sympathies pour le régime nazi, au vu de l'exposé qu'il en fait et notamment dans l'extrait que j'ai mentionné, ont constitué la source principale de son célèbre roman d'anticipation 1984 qui paraîtra trois ans plus tard.

Mais bien que Orwell se montrera meilleur prédicateur en déclarant :

« Quoiqu'il en soit, ou bien le régime russe se démocratisera, ou bien il périra. L'énorme empire esclavagiste, invincible et éternel dont Burnham semble rêver ne sera pas établi ou, s'il vient à l'être, ne se maintiendra pas, car l'esclavage ne peut plus fournir une base stable à la société humaine »,

il n'omet pas de rajouter immédiatement après :

« On ne peut pas toujours faire des prophéties positives, mais il y a des époques où l'on devrait pouvoir formuler des prophéties négatives »[15].

Cette réflexion sur l'avenir de nos sociétés n'exige pas seulement un effort intellectuel, mais demande en partie un effort moral. La condamnation des régimes totalitaires mis en place par Hitler et Staline doit se faire sur ce principe. La critique de la dérive de la pensée d'un Burnham est le moyen pour Orwell d'adresser une mise garde aux penseurs de son temps :

« Qu'un homme aussi doué que Burnham ait pu, pendant un certain temps, considérer le nazisme comme quelque chose d'assez admirable, qui pouvait construire et construirait probablement un ordre social capable de fonctionner et de durer, montre à quel point ce que l'on appelle « réalisme » peut compromettre la perception de la réalité »[16].

On considère généralement 1984 comme la dénonciation de tels régimes. Très peu ont entendu les suggestions faites par Orwell lui-même à propos de son roman. Carlo Ginzburg cependant, analyse cette société dirigée par Big brother comme pouvant constituer une dérive possible de nos démocraties. Voici ce que disait l'historien lors d'une conférence à la Bibliothèque National de France en janvier 2001 et intitulée Lord Kitchener vous regarde :

« Mais les lecteurs de 1984 se souviendront que la guerre contre l'Eurasie est une mise en scène. Telle l'affiche de Kitchener qui effaça Kitchener le général, la guerre télévisée est plus authentique que la guerre réelle. Big Brother, vraisemblablement, n'existe pas : il est un nom, un visage, un slogan - semblable à une affiche qui fait la réclame pour un produit commercial.

En 1949, lors de sa première publication, 1984 fut lu un peu partout comme un livre de la guerre froide ; ses allusions à la terreur stalinienne paraissaient évidentes. Cinquante ans après, le livre d'Orwell paraît de plus en plus prophétique. Sa description d'une dictature fondée sur les médias électroniques et le contrôle psychologique peut être aisément adaptée à une réalité plus proche de nous, qui n'est pas entièrement invraisemblable ».

La perception de la réalité dans un contexte où il est nécessaire de privilégier l'effort moral, selon les termes employés par Orwell lui-même, doit nous amener à nous interroger sur toute forme de manquement aux principes qui régissent les sociétés démocratiques. La constitution d'un pouvoir oligarchique au sein de super-Etats en guerre (économique) entre eux, la perte progressive des libertés individuelles et le fossé toujours plus grand entre les « managers » et le peuple qui en résulteraient, phénomènes inéluctables prédits et espérés par Burnham deviennent pour Orwell des menaces réelles pour le monde moderne.

Dans un autre article consacré aux Conceptions morales du peuple anglais (1946)[17] le romancier montre l'écart qui s'est formé entre l'intelligentsia et les Anglais du peuple. Selon lui, ces derniers « sont demeurés plus chrétien que ceux de la haute société, et probablement plus que tout autre nation européenne », car « ils refusent (...) de pratiquer ce culte moderne qu'est l'adoration du pouvoir »[18]. Pour Orwell, cette intelligentsia s'est laissé contaminer par des modes de pensée qui trouvent leur origine chez Machiavel, alors que les gens du peuple qui « ignorent tout des doctrines formulées par l'Eglise, ils se sont cramponnés à celle que l'Eglise n'a jamais exprimée, (...) : à savoir que la force ne prime pas le droit »[19].

C'est à mon avis le sens que veut donner Orwell à la distinction entre effort moral et effort intellectuel. Orwell en fervent défenseur de la morale en politique écartée par Machiavel dénonce cette fascination pour le culte de la puissance contre le droit, exercée par l'auteur du Prince sur les intellectuels anglais « de Carlyle à nos jours », dont Burnham ne serait qu'un dérivé américain. En acceptant les principes machiavéliens de gouvernance fondée sur la force, la tyrannie et l'imposture, les doctrinaires contemporains ne peuvent pas voir, ou plutôt percevoir, les dysfonctionnements de la société dans laquelle ils vivent. Considérant cette société nouvelle comme inévitable, ils en viennent à la défendre et même à la souhaiter. O'Brien, membre éminent du Parti intérieur et idéologue terrifiant de 1984, aurait-il alors un accent plus britannique que soviétique ?

Dans une lettre adressée à Francis A. Henson, des United Automobile Workers, dont on ne possède que des extraits[20], l'originale datée du 16 juin 1949 ayant été perdue, Orwell exprime son inquiétude :

« Le propos de mon dernier roman [1984] n'est PAS d'attaquer le socialisme ou le parti travailliste britannique (que je soutiens), mais de dénoncer les risques que comporte une économie centralisée et dont le communisme et le fascisme ont déjà en partie donné l'exemple. Je ne crois pas que le type de société que je décris doive nécessairement arriver, mais je crois (compte tenu, évidemment, du fait que ce livre est une satire) que quelque chose de semblable pourrait arriver. Je crois aussi que les idées totalitaires ont pénétré partout la mentalité des intellectuels, et j'ai voulu pousser ces idées jusqu'à leurs conséquences logiques. J'ai situé ce livre en Grande-Bretagne pour bien montrer que les peuples anglophones ne sont pas par nature meilleurs que les autres, et que le totalitarisme, s'il n'est pas combattu, peut triompher n'importe où »[21].

La vigilance réclamée par Orwell repose sur une hypothèse similaire, à la litote près - « les peuples anglophones ne sont pas par nature meilleurs que les autres » -, à celle de Machiavel selon laquelle les hommes sont mauvais par nature. Le romancier condamne en fait la lecture dogmatique du Prince qu'ont pu en faire ses contemporains. Dans un contexte historique différent, celle-ci risque de faire déboucher la conquête et la conservation du pouvoir sur le totalitarisme, forme moderne du despotisme, menace qui pèse sur nos sociétés contemporaines. La terrible et condamnable vision de Burnham a permis à Orwell de saisir les dérives possibles des régimes démocratiques tout comme l'avait fait avant lui Maurice Joly.

 

Un économiste contemporain d'Orwell pensait que l'on pouvait canaliser les penchants dangereux de la nature humaine (« dangerous human proclivities »), sans pour cela pervertir la société libérale. Dans le dernier chapitre de son ouvrage The General Theory of Employment, Interest and Money[22], consacré à la philosophie sociale qui en découle, Keynes affirme que « the outstanding faults of the economic society in which we live are its failure to provide for full employment and its arbitrary and inequitable distribution of wealth and incomes »[23].

Pour lutter contre ses deux fléaux, l'économiste de Cambridge propose, tout en ne reniant pas le « Système de Manchester », une théorie économique moins respectueuse du dogme de ce qu'il appelle l'économie classique, selon lequel le marché constitue le seul mode de régulation de la société[24]. Keynes rejette ainsi le postulat de l'économie classique du chômage volontaire[25] (c'est-à-dire que pour un certain niveau de salaire jugé insuffisant, le salarié préfère ne pas travailler ; refus libre ou forcé « as a result of legislation or social practices or of combination for collective bargaining or of slow response to change or of mere human obstinacy »[26]) pour introduire son concept, issu de l'observation de la crise économique de 1929, de chômage involontaire qui frappe des individus pourtant prêts à travailler pour des salaires plus bas que ceux que pratiqués sur le marché du travail. Voici ce qu'il écrit non sans un certain humour en lecteur très probable de Lewis Carroll :

« Obviously, however, if the classical theory is only applicable to the case of full employment, it is fallacious to apply it to the problems of involuntary unemployment - if there be such a thing (and who will deny it?). The classical theorists resemble Euclidean geometers in a non-Euclidean world who, discovering that in experience straight lines apparently parallel often meet, rebuke the lines for not keeping straight as the only remedy for the unfortunate collisions which are occurring. Yet, in truth, there is no remedy except to throw over the axiom of parallels and to work out a non-Euclidean geometry. Something similar is required today in economics. We need to throw over the second postulate of the classical doctrine and to work out the behaviour of a system in which involuntary unemployment in the strict sense is possible »[27].

Son analyse débouche sur un rôle nouveau de l'Etat et des réformes en matière fiscale - Il considérait que la taxation du patrimoine sous la forme de droits de succession, loin de réduire la richesse du pays, permettrait au Gouvernement de baisser les impôts sur le revenu et de favoriser ainsi la consommation grâce à une répartition plus équitable des richesses ; ce qui aurait pour effet d'accroître l'investissement et donc de diminuer le chômage. Dans un passage non dépourvu d'une sage ironie et dans un style qui laisse penser qu'il connaissait comme tous les intellectuels britanniques de son époque le fameux opuscule de Machiavel[28], Keynes défend son point de vue sur la nécessaire intervention de l'Etat comme nouveau moyen d'ajustement de l'économie, complémentaire et non substitut comme on veut trop souvent lui faire dire, de celui du marché présenté ici comme un jeu :

« For my own part, I believe that there is social and psychological justification for significant inequalities of incomes and wealth, but not for such large disparities as exist today. There are valuable human activities which require the motive of money-making and the environment of private wealth-ownership for their full fruition. Moreover, dangerous human proclivities can be canalised into comparatively harmless channels by the existence of opportunities for money-making and private wealth, which, if they cannot be satisfied in this way, may find their outlet in cruelty, the reckless pursuit of personal power and authority, and other forms of self-aggrandisement. It is better that a man should tyrannise over his bank balance than over his fellow-citizens; and whilst the former is sometimes denounced as being but a means to the latter, sometimes at least it is an alternative. But it is not necessary for the stimulation of these activities and the satisfaction of these proclivities that the game [au sens du jeu du marché] should be played for such high stakes as at present. Much lower stakes will serve the purpose equally well, as soon as the players are accustomed to them. The task of transmuting human nature must not be confused with the task of managing it. Though in the ideal commonwealth men may have been taught or inspired or bred to take no interest in the stakes, it may still be wise and prudent statesmanship to allow the game to be played, subject to rules and limitations, so long as the average man, or even a significant section of the community, is in fact strongly addicted to the money-making passion »[29].

Plus loin, il estime que la nouvelle théorie économique, celle dont il est le créateur[30], est plus favorable à la paix que l'ancienne. En effet, pour que le système de marché puisse assurer la paix, c'est-à-dire atténuer les causes économiques de la guerre, représentées par « la poussée de la population[31] et la compétition autour des débouchés »[32], il est nécessaire que le plein emploi soit assuré ; ce qui est loin d'être le cas - de nos jours encore.

Favorable en revanche à la coopération entre les Etats, il a, à ce titre, vivement critiqué dans son ouvrage au succès planétaire, The Economic Consequences of the Pace[33], paru en 1919, les clauses du Traité de Versailles qui imposaient à l'Allemagne vaincue non seulement de payer l'intégralité du coût de la guerre mais aussi de verser des allocations et des pensions aux familles des mobilisés, ce qui tripla le montant des réparations et les rendirent exorbitantes.

« La politique, écrit-il, qui consisterait à réduire à la servitude une génération d'Allemands, à abaisser le niveau de vie de millions d'êtres humains et à priver de bonheur une nation toute entière, serait odieuse et abominable - et elle le serait même s'il était possible, même si elle nous permettait de nous enrichir, même si elle ne sentait pas la ruine de toute vie civilisée en Europe. Certains la préconisent au nom de la justice. Dans les grands évènements de l'histoire humaine, dans le déroulement de la destinée complexe des nations, la justice n'est pas si simple. Et le fût-elle, les nations se sont autorisées ni par la religion ni par la morale naturelle à faire retomber sur les enfants de l'ennemi les crimes de leurs parents ou de leurs maîtres »[34].

Keynes proposait notamment de réduire de manière importante les obligations financières contraignantes de l'Allemagne et que des crédits américains soient alloués afin d'aider à la reconstruction de l'Europe. Il émettait également l'idée de la formation d'une union libre-échangiste sous l'égide de la Société des Nations, au sein de laquelle les pays vaincus seraient admis. Ces idées neuves, trop peu être pour l'époque, ne seront pas écoutées, mais feront leur chemin pour aboutir un quart de siècle plus tard après un deuxième conflit mondial dévastateur pour les hommes, les économies et les pays, au fameux plan Marshall et à la création en 1957 de la Communauté économique européenne instituée par le Traité de Rome.

 

 

Dans une Europe qui cherche à se constituer en un super-Etat en se dotant d'une Constitution fondée sur le sacro-saint dogme de la concurrence libre et non faussée au sein d'une « économie sociale hautement compétitive »[35], les dirigeants des pays qui composent l'Union seraient-ils malencontreusement déjà devenus des «managers » au point de ne plus entendre la théorie moins machiavélienne, non tant dans sa finalité que par les moyens qu'elle nous incite à adopter, de l'économiste britannique, amateur d'art et de théâtre, ami de Virginia Woolf, largement déconsidéré depuis le retour à la doxa libérale plus que jamais puissante et hégémonique.

Keynes tout comme Machiavel sont avant tout des pragmatiques et face à des problèmes concrets, tels que le chômage de masse, pour le premier, et les invasions incessantes, pour le second, qu'il est impératif de résoudre s'il l'on veut éviter des maux plus grands encore, ils nous ont appris que le respect de la règle ou du dogme s'avérait inefficace. Certes les moyens employés sont très différents, opposés sur bien des points, mais leur réflexion est née d'une analyse précise du contexte dans lequel ils vivaient et leur projet final était de parvenir à la paix. Il y a beaucoup de sagesse et d'humanisme chez Keynes, et le véritable cynisme, qui caractérise le plus souvent les idées de Machiavel, n'est pas d'imaginer une tyrannie propice à la paix mais d'appeler pacification une guerre médiatisée destinée à servir les intérêts particuliers de puissantes nations.

 

André-Michel Berthoux

Printemps-été 2005


Notes :



[1] Le texte fit l'objet d'une traduction allemande publiée avec le nom de l'auteur en 1865 à Leipzig avant d'être redécouvert et réédité en France à plusieurs reprises à partir de 1948. J'utilise ici l'ouvrage paru aux Éditions Allia en 1999.

[2] L'ouvrage, selon Ginzburg « fut l'une des sources utilisées par un agent de la police secrète tsariste à l'étranger (et peut-être même par son chef, Rakovsky) autour de 1896-1898 pour confectionner le faux le plus influent de ces deux derniers siècles, traduit et diffusé dans le monde entier en des centaines de milliers d'exemplaires : les Protocoles des Sages de Sion. Ce qui, selon les intentions de Maurice Joly, était une description impitoyable des techniques utilisées par Napoléon III pour conquérir et conserver le pouvoir devint, entre les mains des faussaires qui entendaient probablement discréditer les projets réformateurs des libéraux russes conduits par le comte Witte, une composante des plans imaginaires attribués à un organisme juif inexistant (les Sages de Sion) pour s'emparer du monde » (Ginzburg, A distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire, Gallimard, collection « Bibliothèque des Histoires », 2001, ch. 2 : Mythes, p. 65).

[3] Il passera au total deux ans à Sainte-Pélagie.

[4] Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, op.cité, p. 34-35.

[5] Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, op.cité, p. 39. Comme le précise Carlo Ginzburg à propos de l'ouvrage de Maurice Joly, « Tocqueville avant lui, tirant les leçons de son voyage aux Etats-Unis, avait énoncé une prophétie tout aussi terrible. Dans les démocraties modernes, un despotisme ne pourrait avoir que des caractéristiques très différentes de celles qu'on lui avait connues par le passé : « Il serait plus diffus et plus doux et détruirait les hommes sans les tourmenter » [De la démocratie en Amérique, II, quatrième partie, ch. 6 : Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre]. Un pouvoir « immense et tutélaire », « prévoyant et doux » veillerait sur « la foule immense des hommes semblables et égaux » ; (Ginzburg, A distance, op. cité, ch. 2 : Mythe, p. 65).

[6] Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, op.cité, p. 40.

[7] Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, op.cité, p. 40.

[8] Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, op.cité, p. 41.

[9] Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, op.cité, p. 75.

[10] Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, op.cité, p. 109.

[11] Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, op.cité, p. 110.

[12] Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, op.cité, p. 111.

[13] Georges Orwell, Essais, Articles, Lettres, vol. IV (1945-1950), éditions Ivrea, 2001.

[14] Georges Orwell, Essais, Articles, Lettres, vol. IV, op. cité, p. 198.

[15] Georges Orwell, Essais, Articles, Lettres, vol. IV, op. cité, p. 221.

[16] Georges Orwell, Essais, Articles, Lettres, vol. IV, op. cité, p. 221.

[17] Georges Orwell, Essais, Articles, Lettres, vol. III (1943-1945), éditions Ivrea, 1998.

[18] Georges Orwell, Essais, Articles, Lettres, vol. III, op. cité, p. 15.

[19] Georges Orwell, Essais, Articles, Lettres, vol. III, op. cité, p. 15.

[20] Le texte présenté est une reconstitution à partir d'extraits parus dans Life (25 juillet 1949) et dans la New York Times Book Review (31 juillet 1949).

[21] Georges Orwell, Essais, Articles, Lettres, vol. IV, op. cité, p. 601.

[22] London, Macmillan, 1936. Traduction française : Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, petite bibliothèque de Payot.

[23] J'ai mentionné dans le corps du texte les passages en anglais de la Théorie générale compte tenu des approximations de la traduction française ; celle-ci figure toutefois en note de fin pour chacun des extraits cités.

« Les deux principales anomalies du monde économique dans lequel nous vivons sont le premier, son échec à assurer le plein emploi et le second, le caractère arbitraire et inéquitable de la répartition de la richesse et des revenus ».

[24] Pour une étude approfondie de la théorie keynésienne, voir l'ouvrage de Jean Cartelier, L'économie de Keynes (De Boeck, 1995). L'auteur, après avoir montré l'unité de Keynes du Traité sur la monnaie à la Théorie générale, critique les diverses interprétations issues de la recherche contemporaine qui font disparaître à la pensée keynésienne son originalité, caractérisée par le rejet de la loi de Walras - c'est-à-dire de l'équilibre général issu du jeu de la concurrence sur les marchés -, et la recherche d'hypothèses alternatives sur l'interdépendance entre les marchés

[25] Voir Jean Cartelier, Chômage involontaire d'équilibre et asymétrie entre salariés et non-salariés : la loi de Walras restreinte. Revue économique, Année 1996, Volume 47, Numéro 3, p. 655 - 666

[26] The General Theory, op. cité, ch. 2, I. « qui peut résulter soit de la législation, soit des usages sociaux, soit d'une coalition au cours d'une négociation collective sur les salaires, soit de la lenteur des adaptations aux changements, soit enfin de la simple obstination de la nature humaine ».

[27] The General Theory, op. cité, ch. 2, IV « Cependant, si la théorie classique n'est applicable qu'au cas du plein emploi, il est évidemment trompeur de l'appliquer aux problèmes du chômage involontaire, à supposer qu'une pareille chose existe (et qui le niera ?). Les théoriciens de l'école classique ressemblent à des géomètres Euclidiens qui, se trouvant dans un monde non Euclidien et constatant qu'en fait les lignes droites qui semblent parallèles se coupent fréquemment, reprocheraient aux lignes leur manque de rectitude, sans voir aucun autre remède aux malencontreuses intersections qui se produisent. En vérité il n'y a pas d'autre remède que de rejeter le postulat d'Euclide et de mettre sur pied une géométrie non Euclidienne. Une opération de ce genre est aujourd'hui nécessaire dans le domaine de la science économique. Il est indispensable qu'on se débarrasse du second postulat de la doctrine classique et que l'on construise un système économique dans lequel le chômage involontaire au sens strict du mot soit possible ».

[28] Gilles Dostaler, suite à une demande de ma part concernant la lecture possible de Machiavel par Keynes, m'a cependant répondu ceci : « Je suis persuadé que Keynes a lu Machiavel, mais il n'y en a malheureusement aucune trace, ni dans ses écrits publiés, ni dans ses archives. Je suis désolé de ne pouvoir vous être d'une plus grande aide ».

[29] The General Theory, op. cité, ch. 24, I. « Pour ma part, je pense qu'on peut justifier par des raisons sociales et psychologiques de notables inégalités de fortune, mais non des disproportions aussi marquées qu'à l'heure actuelle. Il existe des activités humaines utiles qui, pour porter tous leurs fruits, exigent l'aiguillon du lucre et le cadre de la propriété privée. Bien plus, la possibilité de gagner de l'argent et de constituer une fortune peut canaliser certains penchants dangereux de la nature humaine dans une voie où ils sont relativement inoffensifs. Faute de pouvoir se satisfaire de cette façon, ces penchants pourraient trouver une issue dans la cruauté, dans la poursuite effrénée du pouvoir personnel et de l'autorité et dans les autres formes de l'ambition personnelle. Il vaut mieux que l'homme exerce son despotisme sur son compte en banque que sur ses concitoyens; et, bien que la première sorte de tyrannie soit souvent représentée comme un moyen d'arriver à la seconde, il arrive au moins dans certains cas qu'elle s'y substitue. Mais, pour stimuler ces activités et pour satisfaire ces penchants, il n'est pas nécessaire que la partie se joue avec une mise aussi élevée qu'aujourd'hui. Des enjeux beaucoup plus bas seraient tout aussi efficaces dès l'instant que les joueurs y seraient habitués. La transformation et la conduite de la nature humaine sont deux tâches qu'il importe de ne pas confondre. Peut-être dans la république idéale les hommes pourraient-ils avoir été habitués, inclinés ou formés à se désintéresser du jeu . Mais, tant que l'homme moyen ou même une fraction notable de la communauté sera fortement adonnée à la passion du lucre, la sagesse et la prudence commanderont sans doute aux hommes d'État d'autoriser la pratique du jeu sous certaines règles et dans certaines limites ».

[30] Dans un article intitulé The Economic Consequences of M. Churchill (London, Hogarth Press), paru en 1925, Keynes critiqua de manière virulente la politique économique de Churchill et des conservateurs qui avaient opté pour le retour à l'étalon-or. La réévaluation de la livre sterling qui en résulta contraignit les entreprises à baisser les salaires pour maintenir leur position concurrentielle au niveau international. Ainsi, réagissant à des politiques dont l'objectif à peine voilé était d'« accroître le chômage pour peser sur les salaires » (Gilles Dostaler, Keynes et ses combats, Albin Michel, 2005, ch. 7 : L'or. Un système monétaire international au service de l'humanité), l'économiste de Cambridge explique que sa théorie, moins orthodoxe, se place entre deux visions opposées de l'économie et de la société, visions dont on reconnaîtra sans mal les doctrines auxquelles elles se réfèrent :

« La vérité est que nous nous situons à mi-chemin entre deux théories de la société économique. Selon l'une des théories, les salaires devraient être déterminés en faisant référence à ce qui est « juste » et « raisonnable » entre les classes. L'autre théorie - la théorie du mastodonte économique - veut que les salaires soient fixés par la pression économique, autrement appelée « dure réalité », et que notre immense machine devraient foncer, avec pour seule préoccupation son équilibre d'ensemble, et sans égard aux conséquences imprévues sur le trajet pour les groupes particuliers ».

[31] Keynes considérait Malthus comme son précurseur, connu essentiellement pour ses thèses sur la démographique qui selon lui augmenterait selon une progression géométrique alors que les moyens de subsistances croîtrait selon une progression arithmétique. Ce phénomène conduirait à l'appauvrissement de la population victime de la famine. Keynes fit partie de la Ligue malthusienne jusqu'en 1943, date à laquelle il démissionna de la vice-présidence lorsque le conseil de cette association décida de proposer des mesures afin de restreindre la fécondité des personnes pauvres. Cependant, c'est la théorie économique de Malthus qui suscita, et pour cause compte tenu de la similitude d'avec la sienne, davantage son intérêt. Ce dernier préoccupé par l'ampleur du chômage à son époque, qu'il expliquait par l'insuffisance de la demande effective (« effectual demand ») due à un excès d'épargne sur la production, tenta d'apporter des remèdes à ce fléau en préconisant une politique expansionniste soutenue par des travaux publics. Keynes déplorait que ces analyses fussent délaissées au profit de la loi des débouchés de Say (l'offre crée sa propre demande) et adoptée par Ricardo qu'il critiquera violemment dans la Théorie générale : « Ricardo conquit l'Angleterre aussi complètement que la Sainte Inquisition avait conquis l'Espagne ». Pour un approfondissement des liens existant entre les thèses de Malthus et celles de Keynes, voir Gilles Dostaler, Keynes et ses combats, op. cité, ch. 6 : L'emploi. La révolution keynésienne contre le chômage.

[32] Contre cette compétition autour des débouchés, nuisible au plein emploi, Keynes préconisait dans un souci d'équilibre et d'équité entre les nations :

« But if nations can learn to provide themselves with full employment by their domestic policy (and, we must add, if they can also attain equilibrium in the trend of their population), there need be no important economic forces calculated to set the interest of one country against that of its neighbours. There would still be room for the international division of labour and for international lending in appropriate conditions. But there would no longer be a pressing motive why one country need force its wares on another or repulse the offerings of its neighbour, not because this was necessary to enable it to pay for what it wished to purchase, but with the express object of upsetting the equilibrium of payments so as to develop a balance of trade in its own favour. International trade would cease to be what it is, namely, a desperate expedient to maintain employment at home by forcing sales on foreign markets and restricting purchases, which, if successful, will merely shift the problem of unemployment to the neighbour which is worsted in the struggle, but a willing and unimpeded exchange of goods and services in conditions of mutual advantage », The General Theory, op. cité, ch. 24. « Si les nations pouvaient apprendre à maintenir le plein emploi au moyen de leur seule politique intérieure (et aussi, faut-il ajouter, si leur population pouvait atteindre un niveau d'équilibre), il ne devrait plus y avoir de force économique importante capable de dresser les intérêts des divers pays, les uns contre les autres. Il y aurait encore place dans certaines circonstances pour le crédit international et pour la division internationale du travail. Mais les pays n'auraient plus un motif pressant d'imposer leurs marchandises au voisin et de refuser ses offres, comme ils le font aujourd'hui, non parce que cette politique est nécessaire pour leur permettre de payer ce qu'ils désirent acheter à l'étranger, mais parce qu'ils cherchent ouvertement à rompre l'équilibre des paiements de manière à rendre leur balance commerciale créditrice. Le commerce international cesserait d'être un expédient désespéré pour protéger l'emploi à l'intérieur des pays par des ventes au-dehors et par des restrictions d'importation ; moyen qui, lorsqu'il réussit, ne fait que transférer le problème du chômage au pays le moins bien placé dans la lutte. Il deviendrait un échange de marchandises et de services, réalisé librement et sans obstacle, en des conditions comportant des avantages réciproques ».

[33] London, Macmillan, 1919. Traduction française : Les Conséquences économiques de la paix, Gallimard, collection Tel, 2002.

[34] Les Conséquences économiques de la paix, op. cité, ch. V : Les Réparations, V - Les contre-propositions allemandes, p. 221-222. Keynes qui considérait Montesquieu comme « le plus grand économiste français, celui qu'il est juste de comparer à Adam Smith » (préface pour l'édition française de La Théorie Générale, 20 février 1939), semble dans cet extrait partager la conception sur la voix naturelle qui caractérise les traités de paix et que le philosophe des Lumières exprime dans les Lettres persanes à travers les propos d'Usbek :

« La conquête ne donne point un droit par elle-même : lorsque le peuple subsiste, elle est un gage de la paix et de la réparation du tort ; et, si le peuple est détruit ou dispersé, elle est le monument d'une tyrannie.

Les traités de paix sont si sacrés parmi les hommes, qu'il semble qu'ils soient la voix de la nature, qui réclame ses droits. Ils sont tous légitimes, lorsque les conditions en sont telles que les deux peuples peuvent se conserver ; sans quoi, celle des deux sociétés qui doit périr, privée de sa défense naturelle par la paix, la peut chercher dans la guerre.

Car la nature, qui a établi les différents degrés de force et de faiblesse parmi les hommes, a encore souvent égalé la faiblesse à la force par le désespoir », (lettre XCV).

[35] Dans le Traité instituant la Constitution européenne, l'un des objectifs de l'Union est défini ainsi : « L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » (article I-3, 3). Le terme « économie sociale hautement compétitive » apparaît dans le même article à l'alinéa suivant. Le concept de « sozialmarktwirtschaft » est issu de l'ordolibéralisme, la doctrine néolibérale des démocrates-chrétiens allemands. Adoptée dès 1949 par la CDU et dix ans plus tard par le SPD, cette théorie devient le paradigme conceptuel de l'économie allemande. Elle adopte les principes fondamentaux du libéralisme classique, c'est-à-dire que la concurrence est nécessaire à l'efficacité économique et que la liberté économique est un composant essentiel de la liberté individuelle. En outre, elle considère que ce système est non seulement menacé par le pouvoir de l'État mais également par certaines institutions économiques privées puissantes. La Commission européenne trouve là le fondement théorique de sa principale mission, se comporter en « gendarme » de l'Europe.

Voir notamment, Frédéric Lordon : Le mensonge social de la constitution ou encore L'Europe concurrentielle, ou la haine de l'Etat

Pour un point de vue critique plus politique, voir Paul Alliès, Une constitution contre la démocratie - portrait d'une Europe dépolitisée (Climats, 2005.) ; ou encore Raoul Marc Jennar, Europe, la trahison des élites (Fayard, 2004) ;

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Messages

  • Vous nous rappelez là -en un remarquable raccourci documenté et argumenté- le danger totalitaire qui menace, de l’intérieur, l’existence de nos démocraties.

    Je crois me rappeler que Montesquieu faisait de la vertu du citoyen la condition du bon fonctionnement de la démocratie. Laquelle vertu pourrait s’appeler responsabilité ou vigilance.

    Votre texte est un excellent pense-bête pour les citoyens facilement passifs et pas toujours vigilants que nous sommes. Merci.

    Yvette Reynaud-Kherlakian

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