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Le Premier mot - V. Alexakis
dimanche 26 septembre 2010 par Nikos Graikos

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Vassilis Alexakis, Le premier mot, Stock, Paris 2010

Vassilis Alexakis, Le Premier mot, Stock, Paris 2010



Le Premier mot,  le nouveau roman de Vassilis Alexakis, paru récemment, nous fait replonger dans l’univers habituel de l’auteur en ajoutant à son style une maturité et une qualité d’écriture qui récompensent les lecteurs qui se lancent dans cette aventure de plus de 400 pages.

Paris-Athènes,  publié en 1989, était un texte charnière dans l’œuvre de l’écrivain car il a marqué le début d’une série de livres qui ont comme thème principal le va-et-vient entre ses deux pays, ses deux langues, ses deux cultures. Mais l’aspect « politique » - au sens des affaires de la cité - omniprésent dans son oeuvre, a souvent été ignoré par les critiques qui ont surtout souligné l’aspect autobiographique de ses écrits.

Nous sommes toujours frappé du manque de commentaires concernant cet aspect de l’œuvre d’Alexakis. La critique de son livre Je t’oublierai tous les jours, (2007) publié sur ce site est la première lecture sensibilisée par l’attachement d’Alexakis à une qualité de vie et à l’écologie.

 « Grec par ses parents, Français par ses enfants, Vassilis Alexakis se promène depuis bientôt trente ans d’une langue et d’un pays à l’autre » lit-on sur la quatrième de couverture des Mots étrangers, roman publié en 2002.

Cette affirmation, la thématique de son œuvre, la publication de tous ses romans en deux versions, grecque et française, - composés tantôt en grec tantôt en français et adaptés d’une langue à l’autre par lui-même- ont permis à certains de le considérer comme « le grec de service », de le cantonner dans une catégorie pittoresque de vendeur d’une image forgée à coup de rencontres bien amusantes avec le public qu’eux-mêmes considèrent complaisantes.

Cependant et malgré ses détracteurs, avec Les Mots étrangers, Alexakis nous a livré une réflexion importante sur la langue qu’elle soit maternelle ou étrangère et nous a offert un voyage formidable au cœur de son apprentissage.

 L’écrivain nous invitait, à travers l’initiation à une langue africaine, à réfléchir aux rapports entre l’oralité et la transcription écrite et, par conséquent, au rôle et à l’utilité de l’écriture et de la littérature.

Avec Le Premier mot, Alexakis nous offre la possibilité de passer de la simple réflexion sur la langue à celle sur le sens même de l’existence. La maladie; la mort et même l’au-delà préoccupent l’auteur et dans ce roman il nous donne matière à réfléchir et à nous questionner sur tous ces sujets que l’on classent souvent dans le domaine du spirituel, réduit à tort à la seule question de la religion. Son précèdent roman, Ap.JC, a paru comme un règlement de compte avec l’église. Il ne faudrait pourtant pas confondre la question institutionnelle avec la possibilité d’une spiritualité que nous qualifierons de laïque.

Vassilis Alexakis semble habité depuis longtemps par ce questionnement. Il se cache derrière son humour quand il raconte par exemple qu’il vit entre deux pays pour rendre la tâche difficile à Charon qui ne saura pas où le trouver. Il ne fait que renforcer notre conviction : il parle de la mort car il aime la vie et il aime y mordre à pleines dents.

Le parti pris de la thématique choisie semble parfois difficile d’accès à certains pour qui ce discours de prime abord conviendrait plus à un essai qu’à un roman.

En effet, les sujets abordés sont innombrables : la langue, la linguistique, le fonctionnement du cerveau, la vie et la mort des langues, la syntaxe, la grammaire, les origines des langues … On pourrait s’y perdre mais on s’y amuse profondément, on se pose des milliers de questions, on a envie de continuer et de chercher ailleurs pour approfondir ses connaissances. Car Alexakis est un farouche supporteur du gai savoir, il ne donne pas dans l’érudition, dépourvue qu’elle est souvent d’un véritable sens.

Les rapports que l’auteur entretient avec ses deux langues d’expression sont complexes. Nous pouvons d’ores et déjà dire sans hésiter que dans toutes les deux il se permet des libertés. Cette façon d’utiliser la langue pourrait être le fruit d’un esprit libertaire qui se conforme difficilement aux règles. Une comparaison donc avec d’autres écrivains francophones pourrait faire l’objet d’une étude spécifique.

La lecture comparée et minutieuse des deux versions de ses romans, grecque et française montrerait bien les procédés choisis pour répondre à un certain nombre de problèmes posés par la transcription ou par la translittération de noms de rues et de places par exemple. Certains choix nous paraissent réussis, d’autres hasardeux. Les rues d’Athènes nous paraissent plus familières en français en étant traduites et non pas transcrites, rue Solon au lieu de Solonos puisque le génitif n’existe pas en français. D’autres fois les transcriptions révèlent d’une volonté de familiarité avec un lectorat francophone lettré qui se reconnaît mieux dans une version plus proche du grec ancien que du grec moderne. Le héros principal s’appelle Miltiadis (est-ce qu’on pourrait rendre en français le delta qui n’est pas un d ?) et ses amis français l’appellent Miltiade. On aimerait bien voir la graphie en grec de cette version de son prénom. Les petites remarques et diverses objections sont nombreuses.

Mais tout cela n’a pas grande importance car dans ce livre on se promène comme dans la vie. On a envie de faire plusieurs allers-retours. Il nous donne envie de souligner, d’apprendre par cœur des passages, de donner des titres. On apprend à ne plus regarder le quotidien de la même façon. Auriez-vous jamais remarqué que la baguette servie pour le petit déjeuner ressemble à un livre ouvert ? Ou même que le point d’interrogation français ressemble à un point d’exclamation voûté ? Et comment ne pas être d’accord avec les commentaires de tous ces intellectuels qui, alter ego de l’auteur, expriment leur désolation devant la politique de Sarkozy ?

Cela pourrait parfois sembler facile ou anecdotique mais c’est souvent émouvant et ingénieux. Le personnage de la fille qui parle avec la langue de signes est une excellente trouvaille pour nous faire réfléchir sur la notion de langage qui dépasse la simple langue.

Il s’agit cependant d’un roman et il faudrait rester fidèle à une grille de lecture littéraire afin d’éviter l’écueil d’une approche fondée sur des connaissances de linguistique qui annulerait automatiquement l’intention de l’auteur qui est essentiellement romanesque. L’exploit d’Alexakis consiste à nous fournir une quantité d’informations sans perdre le fil de l’histoire que nous suivons comme s’il s’agissait d’une intrigue policière. Chaque nouvelle information est introduite par un vrai personnage de roman qui par son discours fournit du savoir en même temps qu’il forge sa propre image.

Car même si l’intérêt que nous portons à ce livre se justifie principalement par nos seules préoccupations professionnelles, il s’y ajoute le plaisir du lecteur qui se reconnaît dans le cheminement personnel de la sœur du linguiste grec mort à Paris. Elle essaie de continuer les recherches de son frère défunt comme ultime preuve d’amour sororal. Le lecteur se délecte donc d’un voyage plein de saveur qui conduit à l’apaisement.

La qualité de ce livre réside dans l’absence de tout stéréotype, car il insiste sur l’histoire personnelle de chaque locuteur et le rapport spécifique qu’il entretient autant avec la langue de son enfance qu’avec les langues apprises d’une manière ou d’une autre pendant toute sa vie. Les remarques sur la « langue maternelle », les rapports entre le héros principal, sa femme et leur fille, rapports typiques dans une famille installée loin de son pays d’origine sont très riches. C’est dans ces passages que nous trouvons qu’Alexakis dépasse largement le rôle du « grec de service » puisque ses remarques pourraient s’appliquer à toute famille qui a traversé le même parcours.

Alexakis est un écrivain qui assume son côté français par ce petit bavardage, typiquement parisien, mais tout en assumant en même temps son côté grec par cette thématique où la vie et la mort se côtoient quotidiennement ; cette tradition littéraire plus imprégnée de l’historicité des récits et de leur mise en contexte historique et social.

L’écriture d’Alexakis a été caractérisée par un chercheur d’ « écriture apatride » Nous aurions préféré parler de double appartenance culturelle assumée. Même si nous nous identifions à Miltiadis quand il avoue que lui « arrivait de [se] sentir en Grèce comme un mot intraduisible ».

La sincérité de la démarche nous semble donc évidente. Ce petit bavardage apparent n’est pas tellement dû à une volonté d’autofiction mais à l’adoption d’un procédé littéraire qui par l’utilisation des phrases courtes et d’un rythme scandé donne au texte un style proche de l’oral transcrit; proche d’une littérature orale à laquelle l’auteur veut donner ses lettres de noblesse à travers les multiples références au théâtre d’ombres ou à la littérature orale.

Ce style peut déranger dans la mesure où il ne paraît pas assez travaillé. Au contraire, il s’agit d’une écriture dans la lignée des écoles littéraires telles l’Oulipo. Ces détails qui semblent inutiles, comme toute cette explication des règles du Sudoku, sont plutôt venus d’un goût affirmé pour une écriture à la Perec et servent au résultat escompté par l’auteur. Elles rendent le style plus léger et évitent au roman de tomber dans le mélodramatique, nous en voulons pour preuves la description de l’enterrement ou la visite au cimetière qui malgré leur gravité ne perdent jamais la petite ironie qui donne au lecteur le sourire et lui fait penser à la possibilité d’une certaine immortalité.

Les éventuelles erreurs théoriques, les failles, les égarements, les maladresses ou même certains contresens, si nous restons dans une analyse strictement théorique de ce roman, lui sont donc pardonnés puisqu’ils font partie du cheminement vers la réconciliation avec soi-même. Mais par exemple le petit exercice qui consiste à donner un texte en français qui ne comporte que des mots d’étymologie grecque ne nous semble pas très réussi.

De toute façon cela n’a pas de grande importance puisque : « Les langues vous rendent l'intérêt que vous leur portez. Elles ne vous racontent des histoires que pour vous encourager à dire les vôtres. »

L’héroïne du livre n’arrive pas à résoudre l’énigme du premier mot. Mais elle arrive à comprendre un peu mieux sa vie, son frère, les autres. Elle noue des liens solides avec des personnes rencontrées pendant ce périple. C’est comme si en mettant de l’ordre à tout ce que son frère a laissé derrière lui, elle mettait de l’ordre dans sa propre vie.

Que la confirmation de soi passe par le langage semble une évidence. Aux moments de doute, comme par exemple aux moments de deuil, la littérature nous le rappelle et elle nous montre le chemin pour avancer dans cette quête de sens. Nous considérons que Le Premier mot va dans cette direction.




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