Le ParK, Bruce Bégout

Allia, 2010

 

«Le besoin de délimitation configure notre être au mépris de notre désir d’infini.»

 

Le ParK… Que se cache sous ce vocable à l’orthographe mystérieuse et menaçante? Et bien tout simplement un parc, mais un parc d’un genre inédit, mélange entre autres de Disneyland, de camp d’internement ou de zoo. La caractéristique de ce lieu étrange où se mêlent l’insolite et l’effroyable, c’est d’être un condensé de toutes les formes de parcs imaginées jusqu’ici par l’homme: «Le ParK est un parc. Mais pas un parc comme les autres. Il existe toutes sortes de parcs, pour les plantes, les animaux, les hommes, les entreprises, les véhicules, et même pour les appareils hors service, des parcs de loisirs, de détention, de stationnement, de protection. Le ParK est tout cela, et plus encore. Sa majuscule signale la singularité absolue. Ce lieu exprime en quelque sorte l’essence universelle des parcs réels et possibles. C’est le parc de tous les parcs, la synthèse ultime qui rend tous les autres obsolètes, le concept universel, l’invariant formel. Tout ce qui peut caractériser en général un parc se retrouve dans Le ParK, mais sous une forme inédite et quelque peu fantastique. D’aucuns diront abominable.»

 

Le ParK se trouve sur une île privée de 624 km2, au large de Bornéo. On y accède par bateau depuis les ports de Malaisie ou par avion depuis le reste du monde. L’idée de créer ce centre de loisirs pas comme les autres a germé dans la tête d’un oligarque russe dénommé Kalt, lequel a fait fortune dans l’industrie de l’armement et du divertissement, «secteurs économiques qui, en dépit de leur apparente hétérogénéité, ne sont pas si étrangers l’un à l’autre, eu égard aux techniques de vente et aux stratégies de distribution qu’ils impliquent.» L’originalité du ParK tient à la confusion, sur un seul et même site, des différentes espèces d’enclavement humain. Ce qui donne lieu à des mélanges de très mauvais goût, comme le prouve la description qui en est faite: «Son concepteur a voulu rassembler en un seul parc toutes ses formes possibles. Le ParK associe ainsi, en une tonalité neuve, une réserve animale à un parc d’attractions, un camp de concentration à une technopole, une foire aux plaisirs à un cantonnement de réfugiés, un cimetière à un Kindergarten, un jardin zoologique à une maison de retraite, un arboretum à une prison. Mais il ne les associe pas de manière à ce que chacun de ces éléments maintienne son autonomie et continue de fonctionner à part. Il les combine entièrement, joint tel caractère à tel autre, jette des ponts, mélange les genres, confond les bâtiments, agrège les populations, intervertit les rôles. Il s’agit donc de mettre en rapport ce qui n’a justement pas de rapport, hormis sa référence minimale au parcage. De là naît un paysage synthétique qui mixe fête foraine et dystopie urbaine, un terrain d’essais pour l’hybridation architecturale et sociale. Se produisent ainsi de curieux télescopages. Par exemple, aux différents points d’eau de la réserve africaine, autour desquels sont discrètement dissimulées des plates-formes d’observation, les prisonniers d’un camp de travail viennent s’abreuver le soir à leurs risques et périls. Le train fantôme achève son parcours tumultueux sur les quais froids et brumeux d’une gare sibérienne où l’attendent des soldats au regard méchant, qui tiennent en laisse des chiens-loups piaffant d’apparence sanguinaire. Dans une reproduction parfaite d’une prison de l’armée américaine en Irak, les visiteurs peuvent jouer aux tortionnaires et filmer avec leur téléphone portable leurs funestes exploits.» Et on en passe et des meilleures…

 

Ne se rend pas au Park qui veut. Le site touristique n’est accessible que pour une une élite fortunée (le ticket d’entrée s’élève à 15’000 dollars…). De toute manière, «la nature des attractions proposées peut choquer le plus grand nombre», ce qui n’en fait pas un lieu de villégiature grand public. Les 100 visiteurs autorisés quotidiennement à franchir le portail d’entrée découvrent des attractions qui font froid dans le dos, comme par exemple le Todeskamp I, où se mélangent joueurs de casino et déportés de guerre, le Conservatoire des Cris, dans lequel les visiteurs peuvent entendre résonner les «infinies nuances de la souffrance humaine», ou encore le Reptilarium Inc, dans lequel des fonctionnaires vaquent à leur travail de bureau au milieu de toutes sortes de reptiles.

 

Dans Le ParK, le philosophe et écrivain Bruce Bégout décrit un monde du divertissement poussé à l’extrême. Se côtoient dans un espace restreint Mickey Mouse, des déportés, des majorettes ou des animaux sauvages. Le voyeurisme et la perversité des visiteurs font le succès d’une attraction touristique qui se veut le parfait contre-pied d’un monde devenu aseptisé. Bref, il faut, pour capter l’attention, révulser, choquer, mettre à mal le confort du spectateur blasé en fusionnant parc d’attractions classique et camp d’internement.

 

Le crédo de Bruce Bégout, c’est que l’homme a du mal à supporter son ouverture absolue au monde. L’absence de limite le déstabilise, au point qu’il cherche à tout confiner dans des cadres bien définis. Le parcage devient dès lors la solution ultime à la crainte paralysante de l’infini. Métaphore de notre société du tout-spectacle et de la mise en scène permanente, ce texte d’anticipation vaut surtout par ses côtés glacials, intrigants et angoissants, ainsi que par le profond malaise qu’il suscite. Addition de petits chapitres descriptifs sans réelle intrigue, Le ParK aurait toutefois gagné à être un peu plus touffu pour être pleinement convaincant.

 

Florent Cosandey, 15 octobre 2010

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