« Une force me chasse hors du tombeau pour chercher encore les biens dont je suis sevrée,

Pour aimer encore l’époux déjà perdu et pour aspirer le sang de son cœur »

Goethe, La Fiancée de Corinthe (1797)



Les histoires de vampires ont toujours frappé l’imagination des hommes ; il suffit de recenser les écrits ou les nombreux films traitant du sujet pour s’en convaincre.

Claude LECOUTEUX, professeur à la Sorbonne et spécialiste éclairé des fantômes, fées, sorcières, loups-garous, démons et génies du Moyen-Age, s’interroge sur le succès des vampires dans son livre « Histoire des Vampires , autopsie d’un mythe » ( Editions Imago1999 ) . 


La croyance que les morts puissent revenir affliger les vivants se perd dans la nuit des temps et l’imaginaire humain a procuré à cette pensée des formes diverses, souvent peu connues, car, à partir du 18e siècle, elles ont été supplantées par le vampire, suceur de sang qui rejoint les dormeurs la nuit et provoque leur mort lente en aspirant leur substance vitale.





L’auteur dresse un inventaire des précurseurs de cette redoutable créature, remontant à la plus haute antiquité ( lamies, striges, goules et démons ) ; à partir d’archives judiciaires, il étudie plusieurs cas de vampirisme qui ont été jugés avec le plus grand sérieux, notamment au 18e siècle, où l’on n’hésitait pas à ouvrir les tombes pour décapiter les cadavres suspects et les rendre à jamais inoffensifs.

Le mythe du vampire s’épanouira au 19e siècle, dans le célèbre et romantique Dracula de Bram Stoker, et connaîtra jusqu’à nos jours d’innombrables versions littéraires et cinématographiques.


A la fin de son livre, Claude Lecouteux indique, dans une synthèse magistrale, les diverses réponses données au vampirisme par la science, la théologie et la médecine.

« L’émergence du vampirisme coïncide exactement avec la fin de la chasse aux sorcières en Europe ; il en prend la relève comme si les gens de ce temps avaient eu besoin d’exorciser leurs terreurs, besoin d’une explication aux maux qui les frappaient, ces épidémies répétées de peste ou de choléra ».


« Pour les théologiens, le vampire, qui remet en cause le dualisme âme/corps et est une offense aux lois naturelles, est un pêcheur mort sans rémission, c’est un excommunié. Son cadavre est donc une proie facile pour les démons et s’il semble reprendre vie, c’est parce que ceux-ci le possèdent et l’animent. Les ecclésiastiques et leurs ouailles ont la preuve de la justesse de cette explication en voyant le corps revenir à la poussière quand on l’absout et le bénit ».


« Pour le corps médical, le vampire n’est qu’un cadavre qui possède une vie, une force végétative, dont on trouve la preuve dans la pousse des ongles, des poils et même de la peau. L’absence de décomposition de certains cadavres exhumés, tenue par le menu peuple pour la preuve du vampirisme du défunt, s’explique par la nature du lieu où ils sont ensevelis ».


L’auteur admet que la notion d’épidémie a favorisé le remplacement de la persécution des sorcières par celui des vampires, à une époque où l’on ignorait comment se propage une infection.

Il indique également que d’éminents savants s’acharnent toujours à trouver une explication rationnelle aux phénomènes des vampires.

Ainsi, pour un professeur de chimie à Los Angeles, le vampire serait un malade atteint de porphyrie, maladie de sang héréditaire, fréquente en Transylvanie, provoquant le retroussement des lèvres, des malformations dentaires, la nécrose des doigts et le noircissement de la peau qui devient très sensible aux ultra-violets ; certains malades se cachaient dans des cercueils pour se protéger du soleil.


Pour un neurologue espagnol, il y a de nombreuses similitudes entre les vampires et les personnes atteintes de la rage : 


« Elles ont des insomnies pendant lesquelles elles errent, elles sont agitées et excessivement sensibles à l’eau, aux odeurs et à la lumière. Ce médecin en conclut que les légendes sur les vampires semblent être nées lors d’une épidémie de rage particulièrement meurtrière qui toucha surtout les chiens et les loups en Hongrie, entre 1721 et 1728 ».


Pour certains psychiatres, les vampires seraient en fait « des sujets atteints de schizophrénie, redoutant donc l’enfermement, traversant des périodes d’inanition et subissant l’inversion du cycle diurne et nocturne ».


Claude Lecouteux estime que ces explications ne tiennent pas compte du fait qu’il s’agit d’un mythe et négligent le contexte social, mental et historique ; or la croyance populaire apprécie les faits différemment.


Ainsi, la notion d’ « âme plurielle » s’est maintenue longtemps dans les traditions populaires ; « Loups-garous, sorciers et devins possèdent la faculté de se dédoubler, c’est-à-dire d’émettre leur double (alter ego), le Ka des anciens égyptiens, pendant leur sommeil ou leur transe, et ce double peut indifféremment prendre la forme humaine ou animale, tel le comte Dracula qui se change en loup ou en chauve-souris.


En fait il ne s’agit pas de métamorphose à proprement parler : son corps, comme celui des autres revenants, repose quelque part et c’est son double qui se montre ainsi. Cet alter ego survit aussi longtemps que le corps n’est pas tombé en poussière ».


« Ce double a besoin d’une motivation pour agir, et c’est là qu’interviennent les notions de vengeance, d’insatisfaction et de malignité. Certes, il existe encore de bons revenants, mais il ne sont pas légion et se manifestent essentiellement en rêve. Bien plus nombreux sont ceux qui n’ont plus qu’un seul but dans leur vie posthume : nuire autant que faire se peut en privant les vivants du bonheur et de la prospérité ».


Le vampire n’est qu’une des formes des revenants, « un hématophile, un individu qui, au fil des siècles, s’est spécialisé sur la succion du sang, comme une forme de cannibalisme.



La grande innovation du mythe moderne a été de subordonner la vie du vampire à son alimentation sanguine, à faire croire qu’il se nourrit de ce que l’on a longtemps tenu pour l’essence même de la vie ».

Des ambiguïtés subsistent autour de ce mythe : le vampire est-il mortel ou immortel, victime ou bourreau ? Ces incertitudes contribuent à créer une atmosphère fantastique et apparaissent finalement, tel un conte philosophique, comme « une longue méditation sur les notions de vie et de mort ».


Claude Lecouteux conclut d’ailleurs sur cette idée que :

« le mythe moderne du vampire aboutit à une réflexion sur la vie, la mort, l’amour trois pôles essentiels de notre humanité .

La vie n’est-elle qu’un songe et la mort qu’un sommeil dont nous émergerons un jour grâce à la puissance de l’amour ou de la haine, ces deux grandes forces qui présidèrent à la Création selon les anciens mythologues chaldéens ?


Ce mythe est un message ayant une valeur universelle ; il affirme que le mort possède encore une activité et qu’il n’est pas toujours délivré des charges de l’existence comme il l’avait espéré

. La « bonne mort  » n’est pas facile ; elle requiert du défunt qu’il ait mis ses affaires en ordre, spirituelles et temporelles ; il deviendra alors un bon ancêtre, en paix avec les vivants. « La mort ne surprend pas le sage : il est toujours prêt à partir », dit Jean de La Fontaine.

Tenons-nous donc prêt pour ce grand voyage et faisons le souhait que notre lot de l’au-delà soit favorable et nous évite la malédiction de revenir en vampire importuner les vivants !


D.GERARDIN