Shan Sa est née à Pékin en 1972. A 12 ans, elle obtint le premier prix du concours national de poésie des enfants. Elle quitte la Chine pour Paris en 1990, après les évènements de Tian An Men.

Elle obtient le bac français en 1992, puis termine ses études de philosophie. En 1994, elle est secrétaire du peintre Balthus; Setsuko, l’épouse de Balthus, l’initie à la civilisation japonaise.

En 1997 elle remporte la bourse Goncourt du premier roman pour La Porte de la Paix céleste. D’autres romans suivent : Les quatre vies du saule (Prix Cazes 1999); La joueuse de go (Prix Goncourt des lycéens 2001), L’impératrice (2003), Les conspirateurs (2005).


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« Alexandre et Alestria » ( Ed. Albin Michel 2006), relate la rencontre légendaire entre Alexandre le Grand, devenu maître de la Grèce, l’Egypte, l’Arabie et la Perse, et Alestria, la reine des Amazones, tribu nomade de femmes guerrières en Asie mineure.

Le début du roman décrit la jeunesse d’Alexandre, fils de Philippe de Macédoine, tyran barbare et débauché qui maltraite son fils considéré comme faible et efféminé.

Aristote, son précepteur, lui enseigne la beauté du langage et de l’esprit et veut en faire un souverain bon et juste. Mais Alexandre avait d’autres ambitions : « Je serais un poète ».

Il veut surtout, pour venger sa mère Olympias délaissée par Philippe, renforcer son corps, se débarrasser du tyran et devenir le roi du monde.

Il apprend la ruse pour arriver à ses fins, use de la beauté de son visage bouclé et de son corps pour mieux tromper son entourage :


« Est-il possible que tant de salissure et de crimes aient rendu mon corps resplendissant ? Le visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme ? Le corps, une statue de marbre au service des hommes et des dieux ?  Qui étais-je ? Un fort ou un faible ?»


Son père assassiné, Alexandre quitte sa mère bien-aimée et part, chevauchant son bel étalon blanc Bucéphale, à la conquête de l’Egypte, de l’Arabie, puis de la Perse où il découvre la civilisation raffinée de Babylone.

Vainqueur du roi Darius, il ne lui manque qu’une reine pour asseoir son pouvoir absolu. Il va la rencontrer dans l’immense steppe de Mongolie : c’est Alestria, l’enfant sauvage devenue reine des Amazones, des guerrières qui combattent les hommes et n’ont pas peur de la mort. Elle suivra Alexandre et deviendra la reine Roxane.




Shan Sa a donné des indications sur la conception de son livre :


« Alexandre et Alestria est le conte de deux fabuleux destins. Chacun incarne une partie de l’humanité… c’est la rencontre de deux éléments opposés, l’alignement du soleil et de la lune, dont l’alliance symbolise la naissance d’un siècle nouveau où les hommes et les femmes vont désormais avancer côte à côte dans la conquête de la vie.

C’est un mythe moderne que j’ai pris la liberté d’inventer.

Alestria est une femme libre. Elle fait découvrir à Alexandre cette liberté, la vie en harmonie avec les chevaux, les oiseaux, les étoiles. La plus haute liberté est l’amour » …


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Cette union de l’Orient et de l’Occident, scellée par la conception d’un héritier de l’Empire, marque la fin des rêves d’Alexandre : son fils est mort-né, son armée veut rentrer en Macédoine, la reine a la nostalgie des steppes et lui-même est blessé à mort.

Mais, avec habileté, Shan Sa transcende cette défaite et imagine pour son héros une fin glorieuse :

"La souffrance a creusé dans mon cœur un large fossé pour que la vie y verse ses flots de beauté."

Alexandre devient vraiment grand à la fin de sa vie, lorsqu’il manifeste ouvertement « cette fragilité et cette lucidité qu’il porte dans son cœur… Son rêve absolu dans cette conquête, c’est la beauté et non la richesse ».

De sa rencontre avec Alestria, attachée à la nature et à la beauté, « naît la fusion de d
eux contraires qui se réunissent jusqu’à la conquête de la mort ».





La rencontre d’Alexandre avec la reine des Amazones est considérée comme fictive par Plutarque et Arrien, historiens de l’Antiquité soucieux d’objectivité.

Mais l’essentiel pour Shan Sa est d’explorer, avec sa verve poétique et romanesque, le parcours asiatique d’Alexandre, et de développer son immense passion pour la reine Roxane

" Aimer est plus difficile que faire la guerre.

Aimer, c'est combattre le passé, les secrets, les impossibles."

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Shan Sa s’est expliquée sur le personnage légendaire d’Alestria :


« Il n’y avait aucun écrit; les Amazones étaient une tribu nomade qui n’écrivait pas. Seule la reine connaissait la langue des oiseaux.

Je me suis donc donné la liberté de faire Alestria qui est en fait une synthèse de ma vie passée : de mon enfance, de mon adolescence, de mon émigration vers l’ouest et de mes combats.

Elle vient aussi de ce que j’aime, de mes lectures, de ce en quoi je crois, de ma philosophie. C’est une reine imaginée qui en même temps fait partie de moi ».


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Le style du récit est très lyrique et musical, ponctué de « chants mongols et macédoniens qui célèbrent la force, la quête spirituelle » de cette épopée héroïque et de ce chant d’amour.


« A toi garçon du futur, ce roman écrit en langue des oiseaux. A toi, guerrier intrépide, nos libertés, nos galops. Veille sur nos sommeils, veille sur nos saisons.

A toi, jeune fille qui liras dans les étoiles; A toi, jeune fille qui déchiffreras le livre des oiseaux… Le secret de nos âmes, le secret de l’amour, le secret de la force ».



Shan Sa, qui déclare ne pas avoir le don de la poésie et préférer la forme du roman « parce qu’il est un combat seul contre soi-même », a adopté le style « antique » du poème en prose, un peu à la manière d’Homère, pour évoquer la langue des oiseaux des amazones.

Chaque mot est choisi avec justesse et sobriété avec un rythme de phrase très musical.


« Viens, Alestria ! Nous allons grimper les montagnes, prendre d’assaut les citadelles. Nous irons combattre les dragons, les singes, les éléphants conduits par des guerriers recouverts de perles, de diamants.

Sois ma reine, Alestria. Je t’offre des paysages grandioses, des milliers de nuits étoilées, la chevauchée de cent mille hommes sous le soleil, dans l’eau, dans les sables, à travers les forêts et les déserts ».


Une belle légende qui réalise un beau rêve de Shan Sa. DG


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