« Avec soin, elle ouvrit d’une main sa tunique et me tendit ses seins tièdes et chauds, ainsi qu’on offre à la déesse une paire de tourterelles vivantes.

Aimes-les bien, me dit-elle; je les aime tant ! Ce sont des chéris, des petits enfants. Je m’occupe d’eux quand je suis seule. Je joue avec eux; je leur fais plaisir.

Je les douche avec du lait. Je les poudre avec des fleurs. Mes cheveux fins qui les essuient sont chers à leurs petits bouts. Je les caresse en frissonnant. Je les couche dans de la laine.

Puisque je n’aurai jamais d’enfants, sois leur nourrisson, mon amour, et, puisqu’ils sont si loin de ma bouche, donne leur des baisers de ma part »

( Bilitis : Les seins de Mnasidika ).


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« Les Chansons de Bilitis » ( Editions Gallimard 1990) sont une suite de poèmes bucoliques et sensuels en prose. Ils sont restés célèbres par l’audace de certaines scènes et en tant que supercherie littéraire : Pierre Louÿs prétendait avoir traduit ces poèmes du grec et les attribuait à une poétesse de l’âge lyrique : Bilitis.

La vie de la jeune courtisane grecque est retracée en trois chapitres correspondant à trois lieux distincts :


Les chansons de cette dernière partie mêlent habilement la tendresse, l’ironie, l’érotisme et la mélancolie; c’est aussi la partie décrivant la vie de la courtisane avec le plus de réalisme, annonçant déjà le roman « Aphrodite ».


L’ouvrage se termine sur les trois épitaphes de Bilitis, qui résument ce « roman lyrique » original, qui restitue la vie souvent triste d’une amoureuse antique.





Les poèmes en prose de Pierre Louÿs, « sous leur apparente simplicité, cachent un langage extrêmement élaboré; les cadences et le rythme enveloppent un vocabulaire très soigneusement choisi, exact et précis, mais dépourvu de toute afféterie et utilisé pour sa valeur musicale » (Jean-Paul Goujon ) :


« Je baiserai d’un bout à l’autre les longues ailes noires de ta nuque, ô doux oiseau, colombe prise, dont le cœur bondit sous ma main … » ( Le baiser ).


L’originalité de l’écrivain aura consisté à concevoir ces poèmes non comme une suite de pièces isolées, mais comme un roman , « chaîne d’instants de la vie d’un même personnage ».


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Vie et œuvre de Pierre Louÿs


Pierre Louÿs est né à Gand (Belgique) le 10 décembre 1870; il fait ses études à l’Ecole Alsacienne de Paris où il se lie d’amitié avec André Gide. Attiré par la littérature, il fréquente les poètes du Parnasse : Leconte de Lisle et José Maria de Hérédia.

Il épousera en 1899 la plus jeune fille de J.M. de Hérédia, Louise, mais sera aussi l’amant de la cadette, Marie, épouse d’Henri de Régnier.

Il évolue aussi dans le milieu symboliste et fonde une revue littéraire « La Conque » où il publiera ses premiers poèmes érotiques : « Astarté » et « Les Chansons de Bilitis ».

Il écrit ensuite un roman : « Aphrodite (mœurs antiques) », publié en 1896, oeuvre audacieuse pour l’époque, qui exalte le culte de la beauté et de la volupté dans un style d’esthétique parnassien, et qui fut adaptée plus tard pour la scène lyrique.


Deux autres romans reprennent le thème de l’amour sensuel, mais adapté à l’époque contemporaine : « Psyché » (resté inachevé), et surtout « La Femme et le pantin » (1898), sans doute le chef-d’œuvre de Pierre Louÿs, qui met en scène une femme fatale avec une très grande intensité dramatique.


Un mélodrame, Conchita, en fut tiré en 1911, puis deux films, celui de Sternberg en 1935, The Devil is a woman, avec Marlène Dietrich et, en 1977, celui de Luis Bunuel, Cet obscur objet du désir, avec Carole Bouquet.




« Ici gît le corps délicat de Lydé, petite colombe, la plus joyeuse de toutes les courtisanes, qui plus que toute autre aima les orgies, les cheveux flottants, les danses molles et les tuniques d’hyacinthe ...

Mais avant de la mettre au tombeau, on l’a merveilleusement coiffée et on l’a couchée dans les roses; la pierre même qui la recouvre est tout imprégnée d’essences et de parfums.

Terre sacrée, nourrice de tout, accueille doucement la pauvre morte, endors-là dans tes bras, ô Mère ! Et fais pousser autour de la stèle, non les orties et les ronces, mais les tendres violettes blanches ».


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Pierre Louÿs écrivit encore :

La fin de la vie de Pierre Louÿs sera difficile en raison de sa cécité (glaucome) et de crises nerveuses nécessitant des séjours en maison de repos.

Il meurt à Paris le 4 juin 1925 d’une crise d’emphysème. D.G