Pierre Assouline est né à Casablanca en 1953. Ecrivain et journaliste, il a publié plusieurs biographies (Simenon, Hergé, Gaston Gallimard, Dassault) et une quinzaine de livres (La cliente, Lutétia, Double vie ).

Directeur de la rédaction de Lire, il est chargé de conférence pour le cours de lecture-écriture à l’Institut d’études politiques de Paris.

Son beau livre sur la saga des Camondo, de l’Inquisition espagnole jusqu’au génocide nazi, se lit comme un roman. On y retrouve l’inspiration de Zola, Balzac et Proust, auteurs évoqués à juste titre par Assouline.

La description de l’aristocratie et de la finance juive est particulièrement éloquente. La figure de Moïse de Camondo est aussi le combat d’un homme à la destinée malheureuse mais qui a su malgré tout transmettre son nom à la postérité.



« Le dernier des Camondo » (Editions Gallimard 1997) est le récit historique d’une riche famille juive séfarade, chassée d’Espagne par l’inquisition, après la Reconquista en 1492, et installée successivement à Venise, à Trieste, à Vienne, puis plus longtemps à Constantinople et enfin à Paris au Second Empire.

A Venise, les juifs vivaient dans un quartier particulier entouré de murs et fermé le soir par des grilles, appelé la nouvelle fonderie (« ghetto nuovo »), origine du mot « ghetto ». Ce quartier fut prolongé ensuite par le ghetto vecchio, puis le résidentiel ghetto nuovissimo où de riches séfarades s’installèrent. C’est Bonaparte, en 1797, qui « délivra » le ghetto en lui retirant ses portes et en plantant un arbre de la liberté au centre de la grande cour.

La dynastie fut particulièrement prospère en Turquie où les Camondo sont surnommés les « Rothschild de l’Orient ». Abraham Salomon est en effet le banquier de l’empire ottoman et le conseiller du sultan Selim III et du prince. Ses prérogatives sont considérables et il dispose d’un réseau de relations dans toute l’Europe.

En 1869, âgé de 89 ans, Abraham décide avec ses deux petits fils Isaac et Moïse de transférer la banque familiale à Paris.

Moïse se marie avec Irène Cahen d’Anvers, richissime famille de la haute finance et de l’aristocratie juive.



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La description du train de vie de ces familles dans leurs hôtels luxueux, leurs appartements ou leurs châteaux surprend par ses extravagances :


« On veillait dans les réceptions à ce qu’il y ait au moins un valet de pied pour trois invités et qu’il mesurât 1,80 m au minimum; on ne confondait pas appartement de société et appartement de parade, confort et représentation; on ne se rendait à l’opéra qu’à la condition de disposer d’une loge entre colonnes; et l’on considérait la promenade vespérale au bois de Boulogne et le tour du lac comme les seuls rituels quotidiens auxquels il eût été sacrilège de déroger ...»


L’hôtel des Cahen d’Anvers était le cadre de bals somptueux et parfois le roi de Serbie les honorait de sa présence :

« Nulle part ailleurs mieux que dans ces bals on n’aurait pu trouver au cœur du Paris de cette fin de siècle un plus brillant éloge du cosmopolitisme. Il en était la somptueuse illustration.

Toute notion de durée semblait être en suspens, comme si elle avait été abolie par cette exceptionnelle réunion de puissance, de richesse et de beauté. On comprend que certains y soient venus rechercher le temps perdu… »


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Dans le dernier chapitre du livre intitulé « Splendeurs et misères des Camondo », en juste référence à Balzac, Pierre Assouline décrit la vie parisienne de Moïse, qui restera le dernier de la lignée du fait des circonstances dramatiques des deux guerres mondiales.

Splendeurs car à quarante ans, Moïse est au sommet de sa puissance financière; il est courtisé pour son influence; philanthrope, il aide une kyrielle d’associations.


Misères car son épouse « éclatante » ne l’aime pas et multiplie les aventures; tombée amoureuse du comte Charles Sampieri, elle fait fi des convenances, demande le divorce et se convertit au catholicisme. Moïse fut profondément affecté de cette séparation, mais il obtint la garde de ses deux enfants : Nissim et Béatrice.


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Moïse avait un physique peu avantageux : œil borgne masqué par un monocle, surdité qui s’accentuait, embonpoint, calvitie… Travailleur et trop clubman, il a peut-être délaissé son épouse. Il manquait de fantaisie et de frivolité et se montrait volontiers sévère dans la vie quotidienne.

Son infortune conjugale le rendit très taciturne. Il n’eut pas d’autre femme et reporta son amour sur ses enfants, en particulier sur son fils vénéré Nissim, seul à pouvoir perpétuer le nom des Camondo.

Il cessa de considérer l’enrichissement comme une fin en soi et se tourna vers la collection de meubles et d’objets d’art avec l’idée d’une « inaccessible utopie ».

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Moïse avait hérité de sa mère de l’hôtel Violet au 63 rue Monceau. Dans son roman « La Curée », Zola avait fait de cette maison, appelé l’hôtel Sacard, le symbole de la spéculation foncière.


Moïse Camondo décida en 1911 de faire table rase de cet hôtel un peu vieillot et de reconstruire une belle demeure dans le style du Petit Trianon afin d’y abriter ses collections du 18e siècle, reflet de sa personnalité car il admettait, avec les Goncourt que :

« La distinction des choses autour d’un être est la mesure de la distinction de cet être ».

Moïse mena à terme son projet avec l’architecte rené Sergent . Il ne s’agissait pas de faire un musée, mais une maison habitée par une petite famille avec sa domesticité.

Pierre Assouline décrit admirablement, avec la minutie des descriptions balzaciennes, les différentes pièces d’apparat de cet immeuble prestigieux : le grand escalier, les salons, la salle à manger, le cabinet des porcelaines, les appartements privés, la bibliothèque…





Moïse de Camondo eut la douleur de perdre son fils Nissim , tué en combat aérien en 1917. La dynastie était finie; il était inconsolable, avec « la silhouette d’un père brisé ».

Il se retira progressivement des affaires et décida de léguer à l’Etat, à sa mort, son hôtel et ses collections pour perpétuer malgré tout la mémoire et le nom des Camondo.


Moïse s’éteignit le 14 novembre 1935 à l’âge de 75 ans. Le musée Nissim de Camondo, fermé durant l’occupation, est toujours ouvert au public, seul témoin de cette illustre famille dont les derniers descendants ont été anéantis par le génocide nazi. D.G.


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