Littérature
contemporaine

Jean-Pierre Milovanoff

Cercle de lecture
novembre 2007

« Le Maître des paons »

    « Peut-être se trouve-t-il dans l'univers, sur une planète ignorée mais visible à certaines heures, un miroir qui reflète le paradis où nous serons à la fin des temps, quand le souvenir de nos peurs et de nos mensonges se sera effacé comme une buée, nous laissant enfin découvrir, dans un lointain devenu notre perfection, l'innocence de tout désir…
    Ces visions que je place en ouverture de mon récit comme on accroche des lampions à la porte d'un mauvais lieu ne m'ont pas été accordées, et cela vaut mieux, j'imagine.
    Je ne fais que reprendre ici les pensées d'un illusionniste de mes amis qui disait ( sans peut-être y croire lui-même) que l'Eden n'était pas fermé pour toujours, mais qu'il se trouvait dispersé au milieu des choses, et qu'une des tâches de l'artiste consistait à le rendre visible à tous …» 
(Prologue du roman).   


    Jean-Pierre Milovanoff est né à Nîmes en 1940. Son père russe, de tempérament rêveur, avait émigré en France en 1919; sa mère, d'origine occitane, était institutrice et dirigeait le foyer.

    Après de bonnes études à Montpellier et à la Sorbonne, illuminées par la poésie de Nerval et Baudelaire, il voyage en Europe et passe deux ans en Tunisie. Puis, tout en publiant ses premiers romans (La fête interrompue, Rempart mobile), il enseigne, de 1971 à 1975, la littérature française à l'université de Copenhague.
    En 1979, il devient
producteur à France Culture et publie des pièces de théâtre (Squatt, Le roi d'Islande, Cinquante mille nuits d'amour). A la radio il produit des feuilletons et des pièces dramatiques, mêlant habilement la fiction et la conversation.
   
Il quitte la radio en 1994 et se consacre à l'écriture. Il publie avec succès L'Ouvreuse, La Rosita, Russe blanc, La splendeur d'Antonia (prix France Culture), et Le Maître des paons (prix Goncourt des lycéens).
    Plus récemment il a publié avec succès plusieurs romans :
L'Offrande sauvage (prix des libraires 1998), La mélancolie des innocents (prix télé 2002), Le Pays des vivants, Dernier couteau, Tout sauf un ange).                                                                                        …/...

2 Le Maître des paons (Julliard 1997) est l'histoire imbriquée d'un amour non partagé (la disgrâce), et d'un  peintre Nino Salomon, cloîtré dans un manoir mystérieux où il vit entouré de paons qu'il peint sans relâche et surnommé pour cela « le Maître des paons ».
 
Sacha Malinoff, le narrateur, tombe amoureux de Cynthia, la fille du peintre, pour lui « la première et la seule passion de ma vie » et pour Cynthia « une histoire sans conséquence, pleine de maladresse et de fous rires, chatoyante comme les ocelles du paon, où venaient scintiller et mourir, du matin au soir, toutes les nuances du sentiment, à part l'amour ».

Cynthia souffre en fait, depuis l'enfance et sans se l'avouer, d'un ressentiment profond à l'encontre de son père; sa colère la conduira jusqu'à mettre le feu à l'enclos des paons, seuls êtres objets d'attention du peintre : « Ils rôtirent comme des poules ».
La jeune fille est atteinte aussi
« d'un ennui mêlé de tristesse qui l'attendait au matin de chaque journée comme l'ogre dans la clairière. C'est un vide qui se répand sur tout ce que l'on fait et qui se tapit dans l'action pour l'annuler. Si l'ennui est le plus abject, le plus insidieux des sentiments, c'est qu' il les parasite tous, à notre insu »...

Cynthia est amusée par les facéties de Sacha; mais elle va se laisser séduire par son professeur de faculté, historien d'archéologie assyrienne. Il décrit ainsi cette idylle :
« Ainsi naquit, dans une déflagration éperdue où s'entremêlèrent  la lune et la nuit,  l'érudition et l'innocence, la brise de mer et le souvenir des sables de Babylone, un amour inaugural et crépusculaire à la fois, qui mit fin à mon espérance d'être aimé un jour de Cynthia ».

Le peintre Salomon a également un fils, Ugo, jumeau de Cynthia, considéré comme un idiot, mais doué d'une ouïe exceptionnelle. Sacha deviendra son ami et découvrira le domaine un peu mystérieux du « mas des paons » :

       
« Ce qui me retenait à Solignargues, c'était la toute puissance des lieux, la diversité des nuances de l'ombre et de la lumière tout au long des lentes journées, le sentiment d'une relation inconnue entre la trame de ma vie lacérée de coups de canif et la dispersion par mégarde à longueur d'heures des parfums, des odeurs, des bruits, des cris, des essors, dans un entrecroisement qui ne s'adressait à personne et semblait n'avoir pas de fin ». 

           Le narrateur arrive également à se faire accepter de Salomon, « le Maître des paons » et à devenir son confident; il recompose l'histoire douloureuse du père de Salomon, amputé d'un bras, sa vie aventureuse et sa revanche lorsqu'il peut acquérir le domaine où il a travaillé durant son enfance, l'achat pour son fils d'une paire de paons… Au fil des années ce couple devint une colonie d'une vingtaine de paons :
      « Les premiers temps, le garçon n'était guère rassuré par les mouvements soudains de la troupe qui s'embrasait comme une comète à son approche.
     Puis il s'habitua au bruissement souple des ailes, aux trépignements, aux paniques inexpliquées, au cri affreux qu a donné à l'oiseau indien sa réputation démoniaque.
     Ce fut pour le père et le fils une époque de pur bonheur. Et le bonheur tient toujours plus ou moins de la légende…».                                                                                   …/...