Andreï Makine est né le 10 septembre 1957 en Sibérie; son enfance fut marquée par l’immensité des espaces et la singularité des coutumes de cette contrée ainsi que par les échos du Goulag.

La présence d’une française lui permit de devenir bilingue; après des études universitaires à Kalinine et à Moscou, il voyage dans le monde entier, puis s’installe en France en 1980; il est enseignant à Sciences-po quelques années, puis fait une thèse de doctorat sur le poète russe Ivan Bounine.

Il publie plusieurs livres : Au temps du Fleuve Amour , Le crime d’Olga Arbélina, Requiem pour l’Est et Le testament français qui obtient le Goncourt en 1995." La musique d’une vie " a obtenu le prix RTL-Lire en 2001.

Andreï Makine a choisi de la France, la langue et l’asile et, de la Russie, il garde la faculté de communier avec les âmes et les êtres. Il aime le mot " âme " qui échappe aux étiquettes sociales et raciales. C’est d’ailleurs l’histoire du héros de " La musique d’une vie ", Alexeï Berg, obligé de devenir un autre et lui même, homme sans qualités qui se débarrasse par la force des choses de tout ce que la société lui a imposé; c’est l’âme nue sous le ciel.

L’histoire est la suivante : un vieil homme rencontré de nuit dans une gare glaciale de Sibérie raconte comment, alors qu’il allait donner son premier concert de jeune pianiste promis à un brillant avenir, il doit fuir Moscou en mai 1941, se réfugier en Ukraine, endosser l’identité d’un soldat mort et faire la guerre; comment il vécut dans la crainte de trahir son identité, comment il fut sauvé par une femme dans un cimetière de neige; comment de retour à Moscou, il tentera de retrouver les siens et soulèvera à nouveau le couvercle d’un piano comme on soulève celui d’un cercueil.

 

Ce roman vibrant et poignant est le reflet de la personnalité de l’écrivain, discret et profond comme l’est l’âme russe :

" Nous, les orthodoxes, nous appartenons à une culture poétique, intuitive, sensitive, qui n’est pas fondée sur la communication, mais sur la communion ontologique; ce qui compte en Russie, ce n’est pas de communiquer des idées, mais de communier dans des idéaux. Là-bas, lorsqu’on écrit, c’est pour dire quelque chose de très important, quelque chose qui dépasse ce mutisme, établir une communion entre les âmes, les cœurs, les êtres. L’idéal du roman, c’est qu’on ne puisse rien en dire. Seulement y entrer, y demeurer dans la contemplation et s’en trouver transfiguré ".

Andreï Makine précise que, dans ses romans, il s’intéresse à des époques " où la fatalité impose à ses personnages des choix tranchés, où tout est mis en danger, la liberté, la vie de ses proches; on joue sa vie sans avoir une minute pour réfléchir ".

C’est cela pour lui la véritable expérience tragique : " être libéré, par la vie et ses drames, des dogmes et des lectures qui nous réduisent et nous tuent même parfois; être poussé vers une quête métaphysique qui passe par l’intimité éprouvée avec l’univers et la mort ".

… Le héros de " La musique d’une vie " est en fait un fantôme qui, pour éviter d’être incarcéré, doit pousser sa révolte jusqu’au bout, fuir sa véritable identité, puis fuir sa fausse identité. Il n’a pas le droit d’exister.

Makine veut donner la parole à ces gens- là, à ces fantômes de la vie ordinaire confinés dans les limbes, les faire exister, faire surgir, de la masse servile des " homo sovieticus ", selon l’expression réductrice du philosophe Alexandre Zinoviev, des personnages vivants; " montrer, qu’au-delà du troupeau de victimes ou d’idiots, il y eut des rebelles et des hommes qui se complaisaient dans leur rôle de bourreau ".

La littérature peut faire la synthèse et éviter le schématisme hâtif, la généralisation abusive qui nuisent à la recherche de l’intégralité de l’homme.

Andreï Makine estime que " la sous-culture inonde les ondes et les écrans; en promettant le bonheur, des chansons, des millions, elle fonctionne comme une drogue mentale. La littérature est le dernier carré de résistance face aux machines à crétiniser et le dernier refuge de la pensée libre. Ecrire, c’est un choix métaphysique, une transfiguration, un investissement total. On devient autre, et si ce n’est pas vécu ainsi, vous n’êtes qu’un bon faiseur de romans ".

 Pour lui, écrire, c’est retrouver le temps, ou le trouver tout simplement; il a porté en lui pendant quinze ans son roman " La musique d’une vie "; il l’a écrit pendant un an et demi; il peut être lu en trois heures ! " Mes livres sont une part de moi ou de mon surmoi. Leur fibre, c’est ce que les autres n’expriment pas, un geste accidentel qui devient pour moi essentiel, un instant découpé dans l’uniformité du temps et qui devient un microcosme avec son on soleil. Concepteurs d’instants… Etre poète, c’est ça…

Sa première appréhension de la beauté remonte à son adolescence en Sibérie :" J’ai toujours été ébloui par les femmes. Je me rappelle l’une d’elles dont j’étais amoureux fou dans un village sibérien. J’avais dix ans, elle en avait trente-cinq et allait puiser de l’eau dans le bras d’une petite rivière. Elle marchait sur des caillebotis et je la regardais depuis un promontoire. A un moment, elle a disparu et je revenais sans cesse au bord de l’eau où elle se tenait. Je regardais l’eau, voyait son reflet, le caressait et j’étais au septième ciel. C’était un amour très pur et très physique. Si on veut, on peut entrer tant qu’on veut dans le même fleuve, n’en déplaise à Héraclite. L’essence de l’art est là, dans ce désir d’entrer encore une fois dans le fleuve ".

Andreï Makine, on le voit, est un écrivain profond, et son message, comme dans " La musique d’une vie " est un éloge de l’indomptable force de l’esprit et de la résistance intérieure, servi par une écriture ciselée au charme incomparable. D.G.