Gustave Flaubert a emprunté un perroquet empaillé au musée de Rouen pour être mis sur sa table de travail : cest Loulou, le perroquet de Félicité, personnage principal du conte «cœur simple  ». Cette pauvre servante, au destin malheureux, fait empailler loiseau et finit par lui vouer un culte passionné, le considérant comme la représentation du Saint-Esprit. A sa mort elle croit voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque planant au-dessus de sa tête...        

Julian Barnes, médecin anglais spécialiste de Flaubert, analyse avec humour dans son ouvrage «  Le perroquet de Flaubert  » (Ed. Stock 2000), cette histoire surprenante, exemple parfait et maîtrisé, selon lui, du grotesque flaubertien.
        Loulou est conservé au musée de lHôtel-Dieu à Rouen, hôpital où le père de Flaubert a été chirurgien et où l’écrivain a passé son enfance.
        «ce que jai devant moi, sur ma table, depuis huit jours ? Un perroquet empaillé. Il y reste à poste fixe. Sa vue commence même à membêter. Mais je le garde, pour memplir la cervelle de lidée de perroquet. Car j’écris présentement les amours dune vieille fille et dun perroquet  » (Lettre à Mme Brainne, 28 juillet 1876).
        Mais Julian Barnes est perplexe lorsquil découvre à Croisset, dans la maison familiale de Flaubert, un autre perroquet empaillé, avec une étiquette indiquant lemprunt fait au Muséum dhistoire naturelle de Rouen pour écrire Un cœur simple.
        Il mène une enquête auprès des deux gardiens afin de savoir quel est le perroquet authentique qui a inspiré Flaubert et lui a tenu compagnie durant plusieurs semaines. La description de loiseau est la suivante : « Il sappelait Loulou; son corps était vert, le bout de ses ailes rose, son front bleu, et sa gorge doré».
        Cette description correspond au perroquet de lHôtel-Dieu; la comparaison des deux photos laisse apparaître que le perroquet de Croisset avait lui, au contraire, un front doré et une gorge bleu-vert  Les deux gardiens affirmaient avec conviction détenir le vrai perroquet, preuves écrites à lappui quil avait été emprunté et rendu au Muséum.
        Interrogeant alors un spécialiste de la Société des Amis de Flaubert, Julian Barnes apprit que deux perroquets avaient été effectivement donnés par la section des oiseaux du Museum de Rouen qui disposait dune cinquantaine de perroquets dAmazonie.
        Devant cette multitude, le choix a été fait, par chaque conservateur, en fonction de la description de Loulou par Flaubert. Pour lenquêteur, le perroquet authentique est donc celui de Croisset dont la description correspond exactement à celle de Flaubert mais le spécialiste fait remarquer que Flaubert était avant tout un artiste et un écrivain dimagination et quil a pu, pour la beauté et le rythme de l’écriture, inverser les couleurs du perroquet quil décrivait; en outre il faut tenir compte du temps passé (30 ans) entre la restitution de loiseau au Museum (en 1876) et linstallation du pavillon de lhôtel-Dieu.
        Les animaux empaillés se désagrègent avec le temps, les couleurs peuvent saltérer. En outre le museum sest débarrassé de la plupart des perroquets. Il en résulte que le vrai perroquet de Flaubert peut être nimporte lequel dentre eux, ou ce qui est possible, aucun deux.
        Julian Barnes est allé le vérifier sur place : «  Je me suis avancé prudemment entre les étagères et jai levé les yeux. Là, sur une ligne, il y avait les perroquets dAmazonie. Des cinquante de lorigine, il nen restait que trois. Linsecticide qui les recouvrait ternissait le brillant de leurs couleurs. Ils me fixaient comme trois vieillards moqueurs, couverts de pellicules et indignes. Je dois lavouer, ils avaient lair un peu maniaques. Je les ai regardés pendant une minute, puis je me suis esquivé. C’était peut-être lun deux ...
               
       
Flaubert aimait bien les perroquets. Le perroquet est une des rares créatures qui produisent des sons humains; et Félicité nhésite pas à le confondre avec le Saint Esprit, celui qui apporte le don des langues, le verbe à l’état pur, le symbole du logos :
        «’ai imaginé Loulou posé sur le côté du bureau de Flaubert et le regardant comme le reflet moqueur dun miroir de fête foraine. Pas étonnant que les trois semaines de sa présence parodique aient causé quelque irritation. L’écrivain est-il beaucoup plus quun perroquet un peu compliqué»
       
Le médecin anglais donne des indications intéressantes sur cet oiseau emblématique :
                - étymologiquement, Perroquet est un diminutif de Pierrot, perico en espagnol;
               
- pour les grecs, la capacité de parler du perroquet est un élément du débat philosophique sur les différences entre lhomme et lanimal;       
                - Aristote et Pline disent que cet oiseau est extrêmement lubrique quand il est ivre;
                - Buffon observe quil est prédisposé à l’épilepsie; Flaubert connaissait aussi cette faiblesse; ses notes pour Un cœur simple indiquent comme autres maladies des perroquets : la goutte, les aphtes et les ulcères de la gorge.
        Flaubert ne sest pas contenté de Loulou empaillé; deux autres perroquets vivants, lun à Trouville, lautre à Venise, plus une perruche à Antibes, lont inspiré pour écrire son conte.
        De même, parmi les milliers de coupures de presse réunies pour son œuvre inachevée Bouvard et Pécuchet, on relève lhistoire dHenri, un habitant de Gérouville, devenu misanthrope par déception amoureuse et qui possédait un superbe perroquet, désormais son seul amour; il vivait seul avec loiseau, à qui il avait appris le nom de sa bien-aimée, et qui le répétait cent fois par jour. « Chaque fois que le nom sacré était prononcé par cette voix étrange, Henri avait un tressaillement, c’était comme une voix doutre-tombe, mystérieuse et surhumaine; petit à petit, limagination enflammée par la solitude, le perroquet prit dans son esprit limportance dune espèce doiseau sacré quil ne touchait quavec respect et devant lequel il restait pendant des heures entières en contemplation  ».
        A la mort du perroquet, lhomme eut des accès de folie et arriva à simaginer quil était lui-même un perroquet, imitant les allures et les cris de loiseau . Sa famille décida de le placer en asile, mais il se réfugia sur un arbre. Pour lattraper, quelquun eut lidée de mettre à côté de larbre une vaste cage à perroquet, ce qui incita le malheureux à descendre...
        Cette histoire frappa Flaubert qui fit, en vue dune œuvre future, lannotation suivante «  lanimal, mettre un chien au lieu dun perroquet  ». Mais, quand finalement il écrivit lhistoire de Loulou et de Félicité, ce fut le perroquet qui resta à sa place !



D.G.

Juin 2004