" Magnus est un ourson de taille moyenne, au pelage très râpé, marron clair faiblement orangé par endroits. Il émane de lui une imperceptible odeur de roussi et de larmes.

Ses yeux sont singuliers, ils ont la forme et le doré - un peu fané - de la corolle de renoncules, ce qui donne un regard doux, embué d’étonnement." .

" Magnus est un homme d’une trentaine d’année, de taille moyenne, aux épaules massives, au visage taillé à la serpe. Il émane de lui une impression de puissance et de lassitude.

Ses yeux, brun mordoré virant parfois à l’ambre jaune, sont enfoncés dans l’ombre des orbites, ce qui lui donne un regard singulier - de rêveur en sentinelle " (Résonances) .

Magnus, paru en 2005, a obtenu le prix Goncourt des lycéens et a confirmé le talent de Sylvie Germain. Comme dans ses précédents ouvrages (Le Livre des nuits, Jours de colère, Immensités, Tobie des marais, les échos du silence, Chanson des mal-aimants ),elle puise une large part de son inspiration dans les rêves pour utiliser leur force visuelle:

" Les rêves sont faits pour entrer dans la réalité, en s’y engouffrant avec brutalité, si besoin est. Ils sont faits pour y ré-insuffler de l’énergie, de la lumière, de l’inédit, quand elle s’embourbe dans la médiocrité, dans la laideur et la bêtise ".

Philosophe de la mystique chrétienne , sa " quête littéraire et spirituelle " est centrée sur l’énigme du mal; dans son étrange univers, mi-concret, mi-sacré, imaginaire et mysticisme s’entremêlent avec une grâce subtile et une puissance créatrice parfois déroutante :

" Ecrire, c’est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au cœur des mots ".

Magnus est l’histoire douloureuse d’un enfant qui a perdu la mémoire à l’âge de cinq ans pendant la seconde guerre mondiale : " Il ne lui reste aucun souvenir, sa mémoire est aussi vide qu’au jour de sa naissance ".

Il lui faut tout réapprendre; il porte le même nom que son ourson qui porte une étrange odeur de roussi car l’une de ses oreilles est brûlée… Le secret de cet ourson sera lentement dévoilé au cours du récit lorsque Magnus, à la recherche angoissante de son identité, va partiellement recouvrer la mémoire et lutter contre le mal incarné par son père.

" Il sourit, d’un air las, amer, car lui aussi, lui plus que quiconque, aimerait savoir qui il est exactement… Il se sent un défroqué - de son nom d’emprunt, de sa fausse filiation -, avec, pour toute identité de remplacement, le nom d’un ours en peluche. Un nom que, faute de mieux, comme dans le passé, il se réapproprie. Magnus. Alias Magnus. Sous ce vocable fantaisiste, il décide d’entrer enfin dans l’âge d’homme. "

Magnus est un homme fragmenté, obsédé par le trou noir de son enfance; il se cherche et finira par se trouver car il écoutera " la voix du souffleur qui est en lui " :

" En chacun, la voix d’un souffleur murmure en sourdine, incognito - voix apocryphe qui peut apporter des nouvelles insoupçonnées du monde, des autres et de soi-même, pour peu qu’on tende l’oreille ."

Magnus devra toute sa vie se confronter à son passé; le roman est comme un puzzle qui restitue peu à peu, à travers le temps passé, son personnage énigmatique. Mais pour Sylvie Germain, philosophe :

" Il n’y a pas de temps abstrait; le temps est toujours celui d’un corps qui le porte et l’éprouve, celui de l’histoire d’un vivant " (cf " L’Etre-Temps " d’A. Comte-Sponville).

Les malheurs continueront de s’abattre sur Magnus tout au long de sa vie: les deux femmes avec lesquelles il avait trouvé un espoir de vie vont mourir tragiquement :

" La mort s’encombre rarement de délicatesse. Elle arrive impromptu, vous coupant la parole sans souci ni du lieu, ni de l’heure et encore moins des bienséances ".

Mais il résistera car, pour les héros de Sylvie Germain, rien n’est irrémédiable et il appartient à chacun de poursuivre son idéal et de forger son destin avec espoir :

" La plupart des humains ne font que traîner une petite âme toute froissée, encrassée et mitée au fond d’une poche - et encore, un grand nombre a les poches trouées et égare son chiffon d’âme en chemin sans s’en apercevoir ".

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La structure du roman est originale et adaptée au récit : les chapitres deviennent des fragments pour matérialiser la mémoire morcelée de Magnus; au milieu des fragments sont insérés des paragraphes intitulés séquence, notule, écho, résonances, éphéméride, scissions explicatives, biographies ou extraits de romans ou de poèmes.

Le style est particulièrement soigné, dans le choix des mots et leurs sonorités, et met en valeur la beauté des images et l’expression des sentiments : " Ecrire, c’est mettre en forme une force qui existe à l’état brut, et les cinq sens sont requis dans l’approche, le choix des mots ".

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L’œuvre de Sylvie Germain (une quinzaine de romans et de récits ) est impressionnante par la force de son imagination, son mysticisme et sa dimension métaphysique; sa puissance créatrice a atteint la pleine maturité et devrait encore nous révéler d’heureuses surprises dans les années à venir. Elle a livré un peu de son secret d’alchimiste :

" Quand j’écris un roman, je ne pars jamais d’une idée précise, ni même d’un plan. A l’origine, il s’agit plutôt d’une image mentale, souvent énigmatique, qui s’impose à moi et s’enrichit peu à peu de mes pensées, de mes émotions.

A quoi bon écrire si je ne suis pas la première surprise ? "

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" D’un homme à la mémoire lacunaire, longtemps plombée de mensonges puis gauchie par le temps, hantée d’incertitudes, et un jour soudainement portée à incandescence, quelle histoire peut-on écrire ? Une esquisse de portrait, un récit en désordre, ponctué de blancs, de trous, scandés d’échos et à la fin s’effrangeant ".

" Tans pis pour le désordre, la chronologie d’une vie humaine n’est jamais aussi linéaire qu’on le croit. Quant aux blancs, aux creux, aux échos et aux franges, cela fait partie intégrante de toute écriture, car de toute mémoire.

Les mots d’un livre ne forment pas davantage un bloc que les jours d’une vie humaine, aussi abondants soient ces mots et ces jours, ils dessinent juste un archipel de phrases, de suggestions, de possibilités inépuisées sur un vaste fond de silence.

Et ce silence n’est ni pur ni paisible, une rumeur y chuchote tout bas, continûment. Une rumeur montée des confins du passé pour se mêler à celle affluant de toutes parts du présent. Un vent de voix, une polyphonie de souffles " .

D.G.