Carmilla compte parmi les textes fondateurs de la littérature vampirique et annonce son illustrissime successeur, le Dracula de Bram Stoker, publié en 1897, soit vingt-six ans plus tard. Dans cette nouvelle, Le Fanu entraîne le lecteur dans une intrigue mystérieuse et sensuelle. L’auteur irlandais relate avec grâce et volupté les aventures de la comtesse von Karnstein, alias Carmilla, vampire féminin dont la particularité originale est de se repaître uniquement de sang féminin.

 

L’histoire se déroule au début du XIXe siècle, en Styrie autrichienne. La jeune Laura vit recluse avec son père dans un château éloigné de tout. Son quotidien est morose et ennuyeux. Le destin de Laura sera chamboulé par l’accident d’un énigmatique attelage transportant la ravissante Carmilla. Blessée, cette dernière se voit contrainte de résider chez Laura durant quelques semaines, le temps de se remettre. Laura est profondément troublée par la beauté fatale de son invitée. Les deux femmes finiront par se vouer un amour saphique enflammé et mortifère. Depuis l’arrivée au château de Carmilla, un mal étrange se répand comme une traînée de poudre dans la contrée. De nombreuses femmes décèdent, après avoir sombré dans une mélancolie extrême. Cette inquiétante léthargie frappe également Laura. Ce supplice lui a été infligé par Carmilla, qui est en fait une vampire avide de sang frais, la comtesse Mircalla Karnstein, que l’on croyait morte depuis un siècle et demi. La nuit venue, elle profite de la naïveté de jeunes filles pour se nourrir de leur sang. Sa tombe sera retrouvée dans les ruines de l’église du château de Karnstein. Une commission impériale fera ouvrir l’obscur tombeau contenant le corps de la belle et perfide Mircalla. Comme le veut la tradition, le monstre sanguinaire sera percé d’un pieu, décapité, puis brûlé. Pourtant, le charme languide et vénéneux de Carmilla continuera de hanter la mémoire de sa victime Laura.

 

Le Fanu, qui est l'un des plus illustres représentants du roman fantastique irlandais du XIXe siècle, séduit par la finesse dont il suggère les ébats érotiques entre Carmilla et Laura. Leur liaison sulfureuse envoûte jusqu'à la dernière ligne, jusqu'à la dernière goutte d’hémoglobine! Le Fanu est d’ailleurs l’un des premiers auteurs à aborder l’homosexualité féminine et à prendre en compte les écrits sur la psychiatrie, notamment en usant abondamment des rêves prémonitoires dans son roman. On notera enfin que Le Fanu s’inspire assez fidèlement des écrits du XVIIIe siècle sur les vampires, notamment de ceux de Dom Calmet, qui publia en 1746 le fameux Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenants de Hongrie, de Moravie et de Silésie. Dans cet ouvrage, l’ecclésiastique entreprit, pour le compte de l’Eglise catholique, de consigner toutes les légendes relatives au vampirisme. Sa conclusion est limpide: à ses yeux, les vampires sont le fruit de l’imagination débordante des prétendues victimes...

 

                                                                                 

Florent Cosandey, 11 janvier 2006