" Leurs yeux sont pleins de rayons si ma vie est pleine d’ombre...

Quand un doute amer m’oppresse, je vais prier avec eux

Je vois toujours passer Dieu dans la foi de leur jeunesse "

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?" Partout je cherche mon enfant; au jour de mon enfantement, j’ai crié pour le mettre au monde, et je crie encore aujourd’hui, quand je ne sais plus rien de lui, plus rien, même pas une tombe "

( " Mes enfants ", poème de Marie, tiré de J’écoute chanter mon arbre )

 

Le livre de Michèle Persane-Nastorg consacré à Marie de Saint-Exupéry ( Collection " elle était une fois " Robert Laffont 1993, mérite d’être connu par la qualité du récit et parce que la mère de St Exupéry a eu une influence déterminante sur son fils.

L’auteur met en lumière " la singularité de ces deux êtres d’exception, leur amour, leur connivence et fait revivre cette grande dame, profondément attachante et humaine, cette " étoile " qui éclaire d’un jour nouveau, au plus juste et au plus intime, la personnalité du créateur du Petit Prince ".

 

Marie de Saint-Exupéry est née en 1875 en Provence; elle a passé son enfance au château de La Mole, berceau de ses ancêtres paternels, là où se trouve encore un platane centenaire dont elle confie à deux enfants venus la voir :

" Cet arbre, je l’ai planté quand j’avais votre âge, il y a longtemps ! Je l’ai toujours écouté chanter " (Marie de Saint-Exupéry, J’écoute chanter mon arbre, Ed. Gallimard 71).

A 11 ans, elle va en pension au Sacré-Cœur de Lyon sur les conseils de sa tante Gabrielle de Lestrange, veuve Tricaud. Elle se distingue par sa docilité et ses talents en peinture. Elle admire beaucoup Edouard Manet. Elle adore aussi la lecture et, lors d’un retour de vacances, elle se remémore avec émotion la phrase de l’écrivain italien Manzoni :

" Adieu ! Comme il est triste le pas de celui qui ayant grandi parmi vous s’en éloigne ".

A 20 ans, par l’entremise de sa tante, Marie " entre dans le monde " et est présentée au vicomte Jean de Saint-Exupéry. Celui-ci se complaisait dans le célibat, mais il est frappé par l’intelligence, la finesse et l’originalité de Marie; il demande sa main; Marie donne son consentement, " poussée, semble-t-il par une intuition poétique, secrète : Saint-Exupéry, c’est un beau nom pour un fils " !  

Le couple eut cinq enfants, trois filles et deux garçons : Antoine puis François. En 1904, après huit ans de mariage, le vicomte Jean décède d’une hémorragie cérébrale.

Marie se retrouve veuve à 28 ans avec cinq enfants; son mari, qu’elle avait aimé, n’avait pas vraiment répondu à son amour, sauf le jour de sa mort : dans le train, elle dessine, et, soudain capte un regard inhabituel de Jean, qui vient de ressentir le charme indicible de son épouse et qui lui sourit. Dans un poème, elle tentera de fixer cet ultime souvenir :

" J’évoque le mirage et ce jour de lumière où l’horizon, pour moi, se dorait de bonheur. Le rêve s’est éteint, le bonheur est un leurre ".

Sans fortune ni situation, Marie s’installa en Provence chez son père, puis, à la mort de celui-ci en 1907, dans la résidence d’été de la comtesse Tricaud près de Lyon. Lors de la traversée de l’Ain sur le viaduc, le jeune Antoine, aux anges, contemplait le spectacle extraordinaire de la terre vue d’en haut.

Lors d’un séjour à Evian, Marie fit la connaissance d’un jeune sculpteur distingué; une de ses œuvres représente un homme à genoux les deux bras tendus, implorant le ciel. Elle ressent un fort élan intérieur, une vibration de joie. Elle tombe amoureuse de Bernard : " il porte un fin collier de barbe et son regard a la transparence des âmes pures ".

Le coup de foudre est réciproque, mais Marie refuse le mariage, voulant consacrer sa vie à ses enfants. Le couple se sépare après une traversée sur le lac Léman : " Et puis, lui reprit son ciseau car la souffrance fait l’artiste; elle a repris son blanc fuseau, mais sa chanson était plus triste. Et bien loin voguait un bateau dans un sillage d’améthyste ".

Sur l’invitation de son beau-père, Fernand de St Exupéry, âgé de 75 ans, Marie et ses enfants vont vivre dans une petite maison située à Sainte-Croix du Mans. Antoine et son frère sont demi-pensionnaires dans un collège jésuite. Hypersensible, Antoine supporte mal les sarcasmes de ses camarades : ses yeux rêveurs et son nez en l’air lui valent le surnom de " Pique-la-lune "; en classe, il est - comme sa mère - souvent " dans les nuages " !

L’adolescent trouve un tendre refuge auprès de Marie, " la fête de sa vie  ", ainsi qu’il l’écrira à plusieurs reprises dans ses " Lettres à sa mère " :

"  Vous êtes ce qu’il y a de meilleur dans ma vie… Vous êtes la seule consolation quand on est triste; rien qu’en m’embrassant, vous faisiez tout oublier. On se sentait en sécurité dans votre maison, on n’était rien qu’à vous, c’était bon ".

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" Heureux enfants qui allions à l’au-delà comme des fleurs s’ouvrent au soleil … Leurs yeux sont pleins de rayons si ma vie est triste et sombre ".

( Les enfants de Marie de St-Exupéry , j’écoute chanter mon arbre )

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Durant la guerre 1914 -1918, Marie créa une infirmerie à la gare d’Ambérieu pour soigner les blessés de retour du front; période douloureuse accentuée par la mort de son fils François, âgé de 15 ans et atteint d’une péricardite aiguë. François dira à son frère Antoine peu avant sa mort : " Ne t’effraie pas… Je ne souffre pas… C’est mon corps… Tu comprends; c’est trop loin; je ne peux pas emporter ce corps-là; c’est trop lourd ".

Antoine immortalisera les paroles de son frère dans la bouche du Petit Prince qui, comme lui, s’éclipse sans bruit.

Intérieurement, sa foi est ébranlée et il se révolte contre l’injustice de Dieu. Il déclare à sa mère :

 " Ma petite maman, vous pouvez compter désormais doublement sur mon amour. Mais aucun enfant ne peut remplacer un enfant perdu " .  

Antoine aura toujours besoin de sa mère comme d’une bonne étoile, mais il doit apprendre à vivre en dehors de l’aile maternelle. Son ambition est de devenir pilote. Il a besoin d’espace et sent aussi que son inspiration d’écrivain trouve sa source entre ciel et terre.

C’est à cette époque qu’il éprouve une passion pour Louise de Vilmorin; mais les fiançailles sont rompues sous la pression des parents et sa blessure sera profonde.

Il obtient un poste de chef d’aéroplace en Mauritanie; mission difficile d’assistance dans un milieu hostile; il sait s’adapter et les habitants du désert lui donne le joli nom de " commandant des oiseaux ". Il revient en France au bout d’un an, métamorphosé par la vie intense qu’il vient de vivre.

Inspiré par l’aventure, mais aussi par son enfance, Antoine a écrit Courrier Sud. Marie est bouleversée par la sensibilité qui y est exprimée; elle espère qu’Antoine retrouvera la foi car il éprouve la nostalgie de Dieu, même s’il n’en a plus qu’une intuition furtive.

En septembre 1929, Antoine part en poste à Buenos Aires comme directeur d’exploitation sur la ligne d’Amérique du Sud. Marie ira le voir. Son fils a des projets de mariage avec Consuelo, " frêle oiseau des îles " née au San Salvador; il termine aussi Vol de nuit , manuscrit pour lequel Gide a manifesté beaucoup d’enthousiasme.

Antoine fut blessé à plusieurs reprises dans des accidents d’avion, en particulier celui de 1938 en Patagonie où il échappa de peu à l’amputation de la main droite. Lorsque la guerre fut déclarée, il insista auprès des autorités militaires pour être " pilote de guerre  " dans les missions les plus difficiles.

En 1941, il retourna à New York où il avait une grande renommée depuis la parution de Terre des hommes. Il voulait convaincre les américains d’intervenir en Europe. Il y resta deux ans sans revoir sa mère, y publia Le Petit Prince, puis, à 43 ans, reprit ses missions de combat à partir de l’Algérie.

La dernière mission consentie par l’armée à Saint-Exupéry lui fut fatale; c’était le 31 juillet 1944; il disparut dans la baie des Anges, après avoir survolé le village de Cabris, où vit sa mère qui attend en vain son retour depuis des années.

Un des derniers poèmes de Marie s’adresse à l’homme qu’elle aima, le sculpteur Bernard, mort au front, et dont elle sacrifia l’amour pour élever ses enfants. 60 ans après, à 95 ans, aveugle et seule dans sa chambre à Cabris, elle se laisse aller à des regrets et imagine sa présence à ses côtés :

" Je suis très lasse, ami, il faut tant oublier; je voudrais appuyer mon front sur vos mains fortes… Je ne regrette rien et j’ai tout dépassé, mais laissez un moment mon front sur vos mains rudes… Ami, posez vos mains sur mon front désarmé, et bénissez ma nuit, cette nuit de décembre " ( J’écoute chanter mon arbre ) .

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Marie connut à la fin de sa vie une longue période de solitude. Après la mort de sa fille Biche, atteinte de tuberculose, elle vendit sa propriété à côté de Lyon pour s’installer à Cabris, un village situé au-dessus de Grasse.

Durant la guerre, elle se rendit utile à l’hôpital de Vallauris et dans son village, mais elle vécut dans l’angoisse et dans l’attente de nouvelles de son fils. Un an après la disparition d’Antoine, elle refusait de croire qu’il était mort.

Mais une dernière lettre, parvenue en septembre 1945, lui fit comprendre qu’elle ne le reverrait plus : " Maman, je suis tellement triste de ne pas vous avoir revue depuis si longtemps… Maman, embrassez-moi comme je vous embrasse du fond de mon cœur ".

Le 2 février 1972, seize ans plus tard, Marie de Saint-Exupéry " avait rejoint l’étoile qu’elle avait choisie depuis longtemps, " d’où, disait-elle, le Petit Prince m’appelle ".

D.G.