Mary Beauchamp est née en 1861 dans une famille britannique installée en Australie. Cousine de Katherine Mansfield, elle reçoit une éducation « européenne », puis voyage à travers le monde.

Elle rencontre le Comte Henning von Arnim et devient son épouse. Le couple s’installe à Berlin et Mary publie un premier roman « Elisabeth et son jardin allemand ».

A la mort de son mari, elle a une liaison tapageuse avec H.G. Wells, puis épouse le Comte Francis Russel, frère du philosophe Bertrand Russel.

Ecrivain de l’époque victorienne, ses nombreux romans se caractérisent par l’élégance du style, un humour léger et des situations inattendues qui captent l’intérêt du lecteur.

« Avril enchanté » a été écrit lorsque la romancière avait cinquante ans; cet ouvrage restera son plus grand succès public. Elle est morte en 1941.


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« Avril enchanté » (paru en 1922 et édité en France par Salvy en 1990) a été excellemment traduit de l’anglais avec le concours du Centre National des Lettres; l’élégance et les subtilités du style d’Elisabeth von Arnim ont donc été préservées. C’est en effet un ouvrage intimiste, « impressionniste », avec une mise en situation des personnages à la Tchékov.


L’intrigue débute sur une petite annonce: « A tous ceux qui aiment les glycines et le soleil. Italie. Mois d’avril. Particulier loue petit château médiéval meublé bord de la Méditerranée ».

Comment résister à une pareille offre ! Mrs Lotty Wilkins, son amie Rose et deux autres colocataires se lancent dans l’aventure et partent seules, presque sans prévenir leurs époux, pour un séjour d’un mois dans ce château; elles veulent y trouver le soleil, le repos et réfléchir sur leur vie passée et à venir.


Le lieu va se révéler effectivement enchanteur et Lotty est émerveillée :


« Toute la splendeur d’un avril italien semblait rassemblée à ses pieds … Elle n’en croyait pas ses yeux. Tant de beauté pour elle seule ! Le visage baigné de lumière, elle sentait mille parfums monter vers elle tandis qu’une légère brise lui ébouriffait les cheveux.

Que de beauté, que de beauté ! Quel bonheur d’avoir assez vécu pour voir, sentir, respirer ce paysage de songe… Oui, elle était heureuse, mais que ce mot paraissait soudain pauvre, ordinaire, insuffisant ! Comment décrire la salve de sensations qui l’envahissaient ? Il lui semblait être devenue trop petite pour contenir une pareille joie. Quelle surprise de se trouver en pleine béatitude alors qu’elle ne faisait rien que de parfaitement égoïste !


Toutefois la cohabitation des quatre femmes d’origine et de milieu très différents n’est pas de tout repos. Elisabeth Von Arnim excelle à raconter avec humour l’installation des locataires, leurs pensées secrètes pour profiter au mieux de leur séjour, et les petits conflits des premiers jours pour préserver leur intimité ou se partager les responsabilités.


Le caractère de chacune d’elles se dévoile au fil des jours; parfois, l’atmosphère des lieux aidant, des mouvements de sympathie se dessinent et entraînent des confidences, des espoirs ou des regrets. La beauté du monde qui les entoure favorise les états d’âmes.


Les résidentes de San Salvatore sont réellement surprises de la douceur de vie dans ce lieu idyllique, alors qu’en Angleterre elles étaient accablées par la douleur et la morosité; ainsi Rose avoue n’avoir jamais été aussi heureuse de toute sa vie :

« Et vraiment elle ne l’avait jamais été, pas même dans les débuts de son amour pour Frederick, car le sentiment de la douleur, alors, n’avait jamais cessé de la poursuivre.

Doutes, remords, excès d’amour, tout semblait prétexte à tortures intérieures. A San Salvatore, au contraire, elle ne ressentait que le bonheur simple qui naît d’un parfait accord avec le monde, le bonheur qui ne demande rien, le bonheur qui est consentement, respiration, pur sentiment d’existence ».







Ce séjour hors du cadre habituel est aussi propice à la réflexion, ainsi que le constate la belle Lady Caroline, venue chercher loin de sa famille la tranquillité et la solitude :

« A son grand étonnement, elle avait été prise d’un soudain désir de réflexion. Jamais cela ne lui était arrivé auparavant…

Elle avait eu des désirs, des élans, mais jamais ceux-ci ne l’avaient portée à réfléchir….

Il y avait eu de merveilleuses étoiles dans le ciel, le soir précédent, et elle était allée se promener au jardin après dîner. Il lui avait soudain semblé que sa vie n’avait été qu’agitation et vacarme inutile. Beaucoup de bruit pour rien…


A cette pensée, elle s’était sentie esseulée. Elle désirait passionnément être seule, mais redoutait l’esseulement plus que tout.

A aucun prix elle ne voulut plus sentir en elle cette douleur, cette brûlure de la solitude qui l’avait toujours poussée à courir les réceptions, les soirées…

Etait-il possible que la solitude ne fût pas le fruit des circonstances, mais d’une disposition intérieure ? »


Ces réflexions et les péripéties de l’intrigue, en particulier la venue de deux maris et du propriétaire du château, vont révéler aux quatre femmes leur personnalité profonde, transformer leurs attitudes vis-à-vis d’autrui et leur montrer la vie sous un jour plus radieux.


Avril enchanté » est un livre sans prétention, qui est reposant comme les vacances peuvent l’être, dans un cadre de nature merveilleusement décrit; mais c’est aussi une analyse psychologique très fouillée des personnages, de leurs sentiments parfois contradictoires, de leurs rapports complexes dans des situations inattendues.


Les romans d’Elisabeth Von Arnim, écrits il y a un siècle environ, surprennent par leur liberté de ton, la légèreté du style et la finesse de l’analyse des émotions.

Le dosage est parfait entre « une certaine impertinence, un humour léger, une élégance souriante, une trouvaille de mots qui enlève à toutes les situations décrites leur possibilités d’être vraiment dramatiques ».


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D’autres ouvrages d’Elisabeth Von Arnim


Christopher et Colombus

En caravane

Tous les chiens de ma vie

Monsieur Skiffington

L’été solitaire

Le Coq de bruyère

Véra






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