Nina Berberova est née à Saint-Pétersbourg en 1901, dans une famille proche du tsar. Après la mort de ses parents exilés, elle vécut avec son ami le poète Khodassevitch à Berlin, puis à Prague et à Paris en 1925.

Elle connut en France une vie d’apatride assez difficile. En 1950, elle s’embarqua pour New York où elle fut bien accueillie. Et c’est dans ce pays d’adoption qu’elle est morte en 1993 à Philadelphie

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Le court récit " La résurrection de Mozart " surprend le lecteur. Mozart est certes évoqué à plusieurs reprises, mais comme une pensée qui aide à vivre, un espoir pour fuir la réalité tragique de ce mois de juin 1940 : l’exode, les bombardements sur Paris, les villageois apeurés, les soldats qui réquisitionnent les maisons.

L’héroïne est Maria Leonidovna (en fait, l’écrivain elle-même qui relate les évènements qu’elle a vécu en région parisienne); ses invités devisent sur la guerre et ses présages et se demandent, un peu par jeu, comment réagiraient certains grands hommes défunts (Napoléon, Bismarck, Pouchkine…), s’ils ressuscitaient... Pour Maria, le choix est clair :

" Moi, je ne ressusciterais que Mozart, oui, c’est cela, Mozart, je n’ai besoin de personne d’autre, et d’ailleurs ce serait inutile. Il resterait avec nous jusqu’au matin, il jouerait du piano ou il nous parlerait. Et tout le monde viendrait le voir et l’écouter. Quelle joie ce serait ".

Les jours suivants, Paris est bombardé, les militaires arrivent dans les villages et les habitants qui sont restés vivent dans l’angoisse :

" Elle avait peur de l’air, cet air chaud de juin qui charriait des nuages et des coups de canon… A sentir jour et nuit ce petit vent sur le visage, on pouvait dire qu’il amènerait à coup sûr, dans ces lieux, le meurtre, l’occupation, la dévastation, les ténèbres ".

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Nina Berberova a l’art de décrire en quelques phrases l’atmosphère et le drame de ses personnages. Maria, grâce à la pensée de Mozart, va pouvoir surmonter son angoisse et sa solitude pour faire front à la guerre : 

" Pourquoi l’horreur, la cruauté, l’affliction se matérialisaient-elles si facilement, s’incarnaient-elles dans une image concrète, n’en oppressant l’âme que davantage, et pourquoi le sublime, le tendre, l’imprévu, le charmant effleuraient-ils le cœur et les pensées comme une ombre, sans qu’on pût les saisir, ni les regarder, ni les palper ?



Seul l’amour peut-être, oui, seul l’amour donne cette joie. Mais celui qui ne veut plus aimer, qui ne peut plus aimer ? Moi, je n’ai personne à aimer… "

 

Les songes de Maria sont aussi des appels à Dieu; elle en attend un signe, peut-être par l’intermédiaire du musicien réfugié qu’elle héberge.

Mais son espoir sera vain car c’est le mal qui domine et Dieu semble impuissant. Pour Berberova cependant, Mozart qui " met ensemble les notes qui s’aiment " a toujours été un lien entre les hommes :

" O Mozart, immortel Mozart, comme elles sont innombrables, les visions que tu as laissées dans notre âme d’une vie meilleure, plus heureuse ! " (Schubert).

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