Albert Camus est né en 1913 en Algérie. Son père, ouvrier agricole, meurt l’année suivante à la guerre. Sa mère est quasi-sourde et il sera surtout élevé, avec son frère Lucien, par sa grand-mère. Son instituteur le poussa à obtenir une bourse et il put poursuivre ses études au lycée puis à l’université d’Alger où il obtint un diplôme de philosophie.

Marié en 1933, il divorça deux ans après; il se remaria en 1940 avec Francine qui lui donna des jumeaux Catherine et Jean. Résistant très actif, et rédacteur en chef du journal « Combat », il expose ses idées philosophiques dans des romans, essais ou pièces de théâtre qui lui valent le prix Nobel de littérature en 1957.

Il meurt dans un accident de voiture le 4 janvier 1960.



Albert Camus a écrit « Noces » en 1938, à l’âge de 26 ans; cette œuvre confirme déjà ses dons d’écrivain révélés dans un premier essai « L’Envers et l’Endroit » qui contient déjà les thèmes majeurs de son œuvre : le soleil, la solitude, l’absurde destin des hommes.

Noces est composé de quatre récits lyriques, exaltation de la nature, mais aussi impressions et méditations sur la condition humaine et la recherche du bonheur.


Noces à Tipasa (petit port algérien) célèbre « les noces de l’homme avec le monde ». Camus, de santé fragile (tuberculose), trouve la joie de vivre dans le soleil :

« Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierre… »

Cette intensité lumineuse conduit à « une extase comblant tous les désirs de l’âme et du corps » que Camus décrit merveilleusement par de nombreuses métaphores lyriques :

«  Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout me paraît futile… C’est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m’accapare tout entier. Que d’heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d’accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa mesure profonde ».



Pour Camus, comme pour Nietzsche, la conquête du bonheur exige que l’homme devienne ce qu’il est, remonte à « l’expérience originelle ». Pour être en accord avec le monde, il doit se libérer des contraintes physiques, morales et culturelles.

« Il n’ y a pas de honte à être heureux; j’appelle imbécile celui qui a peur de jouir »

Cet hédonisme est prôné avec force de nos jours par certains philosophes tel Michel Onfray (« Les sagesses antiques ») qui dénonce l’étouffement durant deux millénaires des philosophies de la joie et du plaisir par l’idéalisme de Platon.

Camus rejette aussi, à tort me semble-t-il, les références culturelles aux mythes ( Dionysos, Déméter, Eleusis …), « car les mythes sont à la religion ce que la poésie est à la vérité, des masques ridicules posés sur la passion de vivre » ( Le désert ).


« Le vent à Djémila » (ruines romaines dans le désert) est un essai plus sombre que le précédent. Il y a toujours le soleil, mais le « grand silence lourd  » et le vent dominent; ici le corps est desséché et pétrifié.

Camus décrit avec force et une admirable beauté les nouvelles sensations que ces lieux lui procurent :

« Ce bain violent de soleil et de vent épuisait toutes mes forces de vie. A peine en moi ce battement d’ailes qui affleure, cette vie qui se plaint , cette faible révolte de l’esprit…Et jamais je n’ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde… Il est des lieux où meurt l’esprit pour que naisse une vérité qui est sa négation même ».



Les ruines mortes sont pour Camus l’occasion d’une méditation sur la vie, la maladie et la mort. Dans ces lieux, il prend conscience de son présent :


« Car pour un homme, prendre conscience de son présent, c’est ne plus rien attendre. Que signifie, ici, les mots d’avenir, de mieux être, de situation ? Que m’importe l’éternité…Créer des morts conscientes, c’est diminuer la distance qui nous sépare du monde, et entrer sans joie dans l’accomplissement, conscient des images exaltantes d’un monde à jamais perdu. Et le chant triste des collines de Djémila m’enfonce plus avant dans l’âme l’amertume de cet enseignement ».


« L’été à Alger » décrit la vie des habitants d’Alger; la mer est au tournant de chaque rue, le soleil est pesant, la race est belle. L’homme est comblé même s’il est pauvre; il se sent bien au soleil; il ne cherche pas à réfléchir ni à devenir meilleur :


« Cette race est indifférente à l’esprit; elle a le culte et l’admiration du corps. Ce peuple tout entier jeté dans son présent vit sans mythes, sans consolation. Il a mis tous ses biens sur terre et reste dès lors sans défense contre la mort. Aucune divinité trompeuse n’a tracé les signes de l’espoir ou de la rédemption ».


Camus, bien qu’ayant fait sa première communion, refuse toute transcendance et ne cesse de critiquer l’espérance religieuse. Le peuple d’Alger est exemplaire car il sait vivre au présent et refuse les espoirs d’une autre vie :

« Il y a des mots que je n’ai jamais bien compris, comme celui de péché… S’il y a un péché contre la vie, ce n’est peut-être pas tant d’en désespérer que d’espérer une autre vie et se dérober à l’implacable grandeur de celle-ci ».

Ces idées sont réaffirmées avec force aujourd’hui par Luc Ferry et André Comte-Sponville.



Le monde absurde


Noces, l’œuvre la plus heureuse de Camus, laisse néanmoins apparaître la présence secrète de la mort qui menace le bonheur physique :

«  Tout ce qui exalte la vie accroît en même temps son absurdité » .

L’ homme ne trouvera jamais le sens de sa vie, et comme Sisyphe, est condamné à pousser sans fin un rocher devant lui.

La vie vaut-elle alors la peine d’être vécue ? Camus refuse le suicide et demande qu’on vive, mais les yeux fixés sur cette absurdité. L’homme est alors lucide et libre; il peut alors se révolter et vivre ses passions :

« Je me révolte, donc nous sommes ».


« Le désert » raconte le voyage de Camus à Florence: évocation de paysages, de peintures, coexistence de la beauté et de la mort, dernières réflexions sur l’homme et son bonheur :

« Singulier instant où la spiritualité répudie la morale, où le bonheur naît de l’absence d’espoir, où l’esprit trouve sa raison dans le corps ».


L’écrivain se sent heureux et conclut :


« Mais qu’est-ce que le bonheur sinon le simple accord entre un être et l’existence qu’il mène » ?


Camus restera fidèle à cette ligne de conduite. Découvrir le lyrisme des « Noces » permet une lecture plus profonde des œuvres de maturité, plus marquées par le sentiment de l’absurde et par la révolte, mais gardant néanmoins un « lyrisme du cœur et de l’esprit » plus discret, plus humain, bien adapté au sujet, signe d’une grande maîtrise d’écriture.


D.GERARDIN