Katherine Mansfield naquit en Nouvelle-Zélande en 1888 et y passa son enfance chez sa grand-mère. A 14 ans, elle part pour le Queens College de Londres; très tôt apparaissent ses qualités de musicienne et de nouvelliste, art qu’elle cultivera tout au long de sa courte vie (In a German Pension, Bliss, The Garden-Party).

Mariée d’un jour et une nuit en 1909 avec un professeur de chant, épouse du littéraire John Murry en 1918, après six ans de rencontres, la tuberculose lui imposera des séjours sur la Rivièra italienne, en Suisse et en France.

Elle a écrit une abondante Correspondance, et un Journal. En 1922 elle s’installe à Avon près de Fontainebleau et s’intéresse aux travaux de Gurdjieff, grand lama du Tibet, dont le projet de développement harmonieux de l’homme l’a séduite; mais elle y meurt le 9 janvier 1923 à 35 ans.


*****

Katherine Mansfield est morte jeune, ne laissant que 60 nouvelles, un journal et des lettres, et pourtant, comme l’a écrit André Maurois :

« Elle est un grand écrivain qui laissa, à la littérature anglaise de son temps , le plus de vérité profonde, car elle savait que le naturel et la sincérité sont plus importants que l’éclat des mots, l’étrangeté des sentiments ou la nouveauté des idées ».

Son art s’inspire de la technique de Tchekov : « elle choisit une famille, un milieu, y fait une coupe dans le temps et nous décrit les impressions des uns et des autres pendant le court moment choisi, sans nous renseigner sur eux autrement que par leurs pensées et leurs propos de cet instant. Nous connaissons ses héros un peu comme nous connaissons, en chemin de fer, les gens de notre compartiment, ou, au restaurant, ceux de la table voisine : en les reconstruisant par leurs propos »


A l’inverse de nombreux romanciers qui, eux aussi, utilisent cette technique d’une coupe dans le temps et choisissent un moment de crise, K.Mansfield choisit comme thème d’étude un jour banal, un petit événement familial :

«  Et c’est justement l’intensité de ce jour banal qui devient cause d’émotion, d’admiration, comme chez ces peintres qui nous font sentir toute la beauté du monde en peignant quelques fruits, une nappe blanche ».


Ainsi « Prélude » décrit le passage du jour dans un jardin où se tient une famille : « Parfum de noisette sur une charrette qui s’en va, rosée violette dans le matin tremblant, paumes étoilées d’enfants qui rêvent de toujours, nuages qui passent, attentes de femmes : la prose allégorique de K.Mansfield réfracte la lumière comme aucune autre. Sur la moindre feuille, la moindre étoffe, la moindre parcelle de ciel. Comme autant de reflets de l’état de veille ou d’éveil de ces êtres saisis dans leur attente » ( Catherine Argand ) 


Son art est intimiste, impressionniste; c’est aussi un univers de femmes : « Les femmes et leurs humeurs, leurs secrètes complicités contre l’homme, cette voix particulière qu’elles ont pour parler l’une à l’autre, le soir, les longues conversations d’une mère et d’une fille, la mystérieuse alliance des femmes avec certains objets… Personne mieux qu’elle n’a parlé de ces choses » (A. Maurois). 



Katherine Mansfield avait une haute conception de sa tâche : «Pour se rendre digne d’être écrivain, il faut se purifier, se détacher ». Elle est de plus en plus préoccupée par le « vrai » de ce qu’elle écrit; ses récits ne sont même pas soutenus par une intrigue; pour elle, il suffit de l’évocation d’un état d’âme, avec un va-et-vient constant entre le présent et le passé; il ne se passe rien dans le temps d’une nouvelle et, à la fin, la vie continue comme avant, du moins en apparence :

« La vérité, c’est que, dans une nouvelle, on ne peut mettre qu’un certain nombre de choses; il y a toujours un sacrifice à faire; on est forcé de taire ce que l’on sait et qu’on voudrait tant utiliser ».

Seul importe de ressusciter un morceau de vie, de créer une ambiance affective pour permettre aux personnages de se révéler.


Virginia Woolf , la contemporaine de K.Mansfield, fut admirative de sa technique qu’elle utilisa, dans son roman Mrs Dalloways; mais elle alla plus loin dans l’art du monologue intérieur et du temps unique en tenant compte également des idées.

Chez K.Mansfield, l’idée n’est jamais exprimée; les métaphores ne sont que suggérées : «  ainsi le poirier chargé de fleurs, dans la nouvelle Félicité est lié à la béatitude de Bertha Young; une petite lampe dans une maison de poupées, une mouche que tue un directeur de banque, deviennent le centre d’un conte. C’est le propre même du plus grand art que de donner ainsi à une émotion diffuse le support concret d’un objet ».


Elle a toujours été frappée par la beauté du monde, rêve enchanté de son enfance en Nouvelle-Zélande; partout elle retrouvera cette lumière féerique et cette extase que lui donne la communion mystique avec un paysage :


« Que pouvez-vous faire, si vous avez trente ans et vous sentez envahie, soudain, par une sensation de félicité, d’absolue félicité ? Comme si vous veniez tout à coup d’avaler un morceau brillant de ce soleil tardif d’après-midi, qui continuerait à brûler dans votre poitrine, envoyant des petites fusées d’étincelles dans chaque parcelle de votre être, dans chaque doigt et chaque orteil» ( Félicité ).


De nombreux poètes et écrivains ont été inspirés par ce bonheur total donné par la nature, mais paradoxalement ce bonheur intuitif se trouve mêlé chez Mansfield à un pessimisme latent; ces moments de beauté sont soudain interrompus par le contact avec la laideur, la brutalité et la mort. Mais la vie est ainsi et il faut l’accepter.

Katherine Mansfield est par là un écrivain pessimiste. Ses livres évoquent tous l’histoire d’une vie entourée de la laideur et du mal. L’être sensible reste seul dans un monde qui le fait souffrir.

Cet être vulnérable se découvre surtout dans son Journal :

« Une personnalité exacerbée, en mal de compréhension, de communicabilité, que le refus de s’attendrir conduit jusqu’à la dérision de soi-même; en effet, K. Mansfield n’a écrit que dans la solitude et la souffrance, à la recherche d’un univers perdu, peut-être celui de l’enfance, qu’elle tente avec ardeur de faire renaître »

( Encyclopédie Universalis ).


Elle a voulu peindre avec sincérité le spectacle admirable et terrible de la vie, sans effets, en étant simple comme on doit être simple devant Dieu, écarter les petites choses pour laisser la place aux grandes et à cette beauté du monde qui emplit l’âme, se purifier.




A la fin de son Journal, Katherine Mansfield sent qu’elle a atteint cette purification : « Maintenant que j’ai beaucoup lutté, je ne lutte plus… Je me sens heureuse, très profondément; tout est bien ».

C’est à ce moment de sa vie que la mort l’a emportée brutalement.  D.G.