par Amélie Averlan
Maurice Blanchot,
Anacrouse in Une voix venue dailleurs, Gallimard, 2002.
« « Le devoir de lamitié vigilante. » Quel trouble nous vient de ces mots si simples, si beaux. [1]»
Comment ne pas sarrêter sur cette simplicité si touchante de Blanchot citant des Forêts ? Lun, éminent critique, lautre, nous laissant une uvre admirable, modeste et inachevée, me touchent en effet par cette simplicité de génie.
De lun à lautre, il me semble que se tisse une uvre commune où se rejoignent des textes comme Le Dernier homme et Le Bavard. Aujourdhui, heureuse de pouvoir encore lire un texte de des forêts pour la première fois, je retarde lachèvement du Malade en forêts[2] que je navais pu lire avant, parce quil reste ce dernier livre de des Forêts à lire pour moi en nouveauté, qui me fait revenir sur cette uvre. Luvre de des Forêts, trop courte en volume, reste heureusement inachevée et résonnante. Cet inachèvement, cest par le détour dAnacrouse de Maurice Blanchot, que je souhaiterais en faire lécho, revenant sur ce quil a écrit sur les poèmes de des Forêts.
Chez des Forêts, il faut nommer « traces » ou « empreintes », ce qui a été et ce qui ne fut jamais. Je souligne ces mots à la lecture dAnacrouse, consacré à des Forêts dans Une voix venue dailleurs. Ne sachant sils resteront fidèles à la pensée de ces deux auteurs, ils font naîtrent en tout cas des bribes dOstinato, dernier écrit de des Forêts, par images, en écho aux Poèmes de Samuel Wood et aux Mégères de la mer. Un « moi » sans « moi » sesquisse dans les premiers écrits de des Forêts, là où un « je » mort et perpétuel renaissant saffirme comme un « il » dans Ostinato.
« Je cherche où lenfant que je fus a laissé ses empreintes », écrit Samuel Wood. Lenfance est cette voix défunte qui se fait entendre et fait défaut, lenfant peut-être en souverain juge présent par ces silences qui filent les écrits. « La réponse est en chacun de nous, écrit Blanchot, et nous savons que, proches de la mort, nous avons encore à « veiller en silence », à accueillir la secrète amitié par laquelle se fait entendre quelque voix venue dailleurs. Voix vaine ? Peut-être. [3]». Chez des Forêts, lenfance semble être un temps lyrique, un prélude qui dure. Cest lanacrouse définie par Blanchot. « Lanacrouse est sans doute chez les Grecs un simple prélude, celui par exemple de la lyre. Dans des exemples du XIXè siècle, elle se complique : dans la première mesure, linaugurale, rien ne sentend ou un ton si faible quil semble faire défaut et par là dure sans durée ou plus quil ne dure, de sorte quaprès lui ou à partir de lui la note enfin frappée sélève jusquà un éclat parfois prodigieux, éclat ou élan si fort quil ne peut que retomber chute dans un nouveau silence. Ainsi lavant et laprès se déplacent et ne se fixent pas dans un lieu déterminé, sans que loreille exercée y entende la confusion dun pêle-mêle. [4]»
Amélie Averlan
14.02.03
[1] Maurice Blanchot, Anacrouse in Une voix venue dailleurs, Gallimard, 2002, p. 18.
[2] Le Malade en forêts est une nouvelle qui était initialement dans le recueil La Chambre des enfants avant dêtre retirée et publiée séparément chez Fata Morgana.
[3] Anacrouse in Une voix venue dailleurs, p. 19.
[4] Anacrouse in Une voix venue dailleurs, p. 42.