par Amélie Averlan
La philosophie baudelairienne ?
Elle pourrait être une philosophie de la pesanteur.
Le poids du temps, le poids des remords et de l'ennui sont la condition terrestre d'un paradis quasi inexistant chez Baudelaire. Le temps pèse en revenant : c'est alors celui des remords de l'invocation au lecteur des Fleurs du mal, celui d'une réflexion désenchantée où "le frère" reste comme soi-même, un étranger :
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !
("Au lecteur", Les Fleurs du mal, p. 32)
- Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... les merveilleux nuages!
("L'étranger", Petits Poèmes en prose, p. 27)
S'il y a un paradis baudelairien, il n'apparaît que fugitivement sous les traits des passants, des gens frôlés en communs mortels. Paradis de la sensation, qui fait qu'une passante fait soudain renaître le poète dans Les Fleurs du mal, faux paradis artistique artificiellement créé, en témoigne la rigueur métrique et formelle des sonnets où se fondent de confuses paroles, ou paradis des hachichins, qui n'apparaît que dans l'ivresse. Des rêves ! toujours des rêves ! et plus lâme est ambitieuse et délicate, plus les rêves léloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose dopium naturel, incessamment secrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous dheures remplies par la jouissance positive, par laction réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qua peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ? (" Linvitation au voyage ", Petits Poèmes en prose, p. 74-75)
L'univers n'est pas naturellement poétique ; cet univers et sa poésie s'interrogent, et sont mis en question : demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit... ("Enivrez-vous", Petits Poèmes en prose, p.135).
L'épaisseur, mais légère, de l'éternité, se meut dans le fugitif, aussi contingent qu'il puisse paraître. De l'épaisseur des choses, il faut puiser la source d'une élévation temporelle de l'instant, d'un moment de grâce enivrante. Pourquoi contraindre mon corps à changer de place, puisque mon âme voyage si lestement? (" Les projets ", Petits Poèmes en prose, p.97). Le voyage, imaginaire, permet la jouissance suffisante et non-commune d'une éternelle ivresse qui est celle du poète. Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique. ("Un hémisphère dans une chevelure", Petits Poèmes en prose, p. 70). Lunivers peut soffrir alors comme une absolue source den-chantement.
Amélie Averlan
01/2003