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Cher Picaro - Jacques d’Arribehaude
par penvins

Jacques d’Arribehaude
Cher Picaro
Journal des années cinquante
L’âge d’homme, 2003.

Je suis justement là pour ça, pour vous faire apprécier ce que vous n’auriez sans doute jamais lu ni moi non plus si je n’avais pas reçu ce livre en raison de ma lecture de Céline. C’est pour moi un bonheur que de découvrir un écrivain et je n’ai pas été déçu parce que l’écriture de Jacques d’Arribehaude ne ressemble en rien à ce que nous propose l’édition d’aujourd’hui .

Jacques d’Arribehaude avait entendu vanter par ses maîtres les vertus de la République, il a 15 ans en 1940, écœuré par ce désastre il s’éloignera à jamais de ce régime devenu pour lui synonyme d’incompétence. Mais auparavant il va rejoindre le France Libre en Espagne ce qui lui vaudra de connaître la prison de Badajoz.

Nous lisons ici le journal des années 50 (mars 1951- 5 décembre 1959) et à travers les aventures de cet adolescent (quelquefois magnifiquement attardé, Jacques d’Arribehaude est né en 1925, il a donc de 26 à 34ans) nous nous trouvons replongés dans une époque oubliée et pourtant capitale pour comprendre le monde d’aujourd’hui et lui servir de repère. Nous sommes quelques uns comme cela, que la guerre et l’Occupation ont privé du meilleur de leur adolescence et de leur jeunesse. Pour toute cette génération bien peu représentée dans la littérature, la défaite fut sans doute le dernier acte d’un long processus de désenchantement du monde. Mais la France est morte en 1789 et nous ne vivons que sur ce passé et sur ces ruines. On reconnaît déjà une parenté avec Céline qui plus tard lui accordera un entretien. Céline dont les premiers mots écrits seront : «  Mirabeau criait si fort que Versailles eut peur  ».

Anarchiste de droite dit-on de lui comme on dit de Céline, manière de mettre une étiquette et de ne pas se poser de questions. Celles que pose ce livre sont pourtant tellement nombreuses qui rappellent à qui ne veut pas l’entendre à quel point le régime dans lequel nous vivons est historiquement daté et lourd de faiblesses.

Les années 50 sont sans doute celles où disparaît définitivement la grandeur de la monarchie, il faut se souvenir de l’importance de la droite et de la droite royaliste dans les milieux intellectuels d’avant-guerre, c’est bien évidemment les égarements d’une grande partie de ces intellectuels qui ont fait qu’aujourd’hui l’idéologie dominante a changé de camp. Mais Jacques d’Arribehaude reste attaché à une certaine idée de la France et se fait un plaisir de dénoncer ces «  radicaux » ancien style qui croyaient à la science, à la fée électricité et se proclamaient en toute satisfaction, comme si c’était le fin du fin de l’Humanité et de l’Histoire à majuscules : Républicains de Progrès.

Ce qui fait l’intérêt, c’est justement ce point de vue qui fut celui d’avant guerre et qui restera sans doute celui de toute cette génération qui peu à peu s’en va et qui est exprimé ici avec force et sans haine. S’agissant d’un journal – dont on peut penser bien sûr qu’il a été retravaillé mais dont la franchise ne fait aucun doute – journal qui n’est publié que très tardivement – J. d’Arribehaude a déjà publié son Journal pour les années postérieures à celles-ci – nous nous trouvons sans doute au cœur de l’indicible, ce qui ne pouvait auparavant être dit et qui aujourd’hui ne fait pas encore la devanture des librairies. Les choses sont remises en place, l’humain – l’homme – au-dessus des idées. Le nazisme est bien sûr considéré comme une horreur mais l’horreur du communisme est non moins soulignée - mais la tentation du communisme ne le rend pas dupe de l’étrange et étroite communion qu’il y a entre communisme et fascisme dans l’absolu mépris de l’intelligence - et l’horreur du modèle américain n’est pas oubliée (ici à travers l’opinion de Paul Bowles - : un prétendu modèle démocratique où le pouvoir exclut le peuple en revenant, par un ingénieux système, à quelques clans et familles se succédant, de génération en génération, dans l’unique soucis d’étendre à la terre entière la domination économique du marché américain sur la misère du monde. ) - On est en 1954 !

Mais puisque que l’on a parlé de l’humain, on ne peut pas ne pas évoquer la trame même de ce journal, le désir d’aventure tant géographique que financière et bien sûr sexuelles. Ici l’humain est partout, pas de faux semblant, pas d’idéologie, une grande quête de rêves – féeries dirait Céline – La conception du bonheur qu’on s’est faite une fois pour toute dès l’enfance dit Jacques d’Arribehaude.

On trouvera cette conception très colonialiste et machiste, mais que l’on prenne garde à des jugement trop hâtifs et anachroniques. A cette époque on parle encore de l’A.O.F et de l’A.E.F. et la sexualité est censée se pratiquer dans le cadre du mariage. Jacques d’Arribehaude ne prétend pas refaire le monde, mais il prétend y vivre en homme, il ne se sent pas honteux d’avoir recours à des prostituées mais il vit ses relations dans la joie et trouve chez les femmes d’Afrique une liberté que la sexualité bourgeoise d’Europe ne saurait lui procurer. Cette prédominance de l’humain sur l’idéologie et sur le marchand on la retrouve partout, tout d’abord dans sa naïveté sur les questions d’argent qui lui vaut de se faire rouler de première et de croire encore au miracle, mais surtout dans les valeurs de tolérance et de compassion qu’il appelle de ses vœux : Mais aujourd’hui la Chine elle-même se veut efficace et oublie la sagesse, qui est décidément un usage perdu, une antiquité à proscrire avec la tolérance et la compassion et qui lui font condamner l’assassinat d’un officier allemand : La question pour moi fondamentale était celle-ci : En quoi la victime de cette exécution l’avait-elle mérité ? S’agissait-il d’une brute dûment repérée en raison de ces crimes ? de la même manière qu’il est en accord avec Camus à propos de L’Homme révolté : J’y relève, concernant le procès de Louis XVI, ce cri d’indignation, […]  : « C’est un répugnant spectacle d’avoir présenté comme un grand moment de notre histoire l’assassinat public d’un homme faible et bon. » de la même manière également qu’il s’indigne des lâchetés de l’Epuration.

L’humain on le retrouve aussi bien sûr dans son rapport aux femmes, sans romantisme, clair dans sa sexualité et pourtant en quête d’un bonheur familial, appelant de toutes ses forces une union durable qu’il trouve parfois mais qui toujours se brise. Il y aurait bien sûr une lecture psychanalytique à faire de ce texte, de ce paradis perdu, de cette soif d’autres mondes, de ce rêve de vivre de sa plume, mais ce serait celle que l’on ferait d’une époque qui a cru pouvoir vivre dans un monde qui n’était plus, il y avait cette lecture de mise en perspective du monde que je lui ai préférée parce qu’elle me paraît tout aussi importante et que c’est une des fonctions de la littérature que de rendre compte d’un époque disparue et de nous donner la distance nécessaire à la compréhension de la nôtre.

Lisez ce livre, cela vous donnera certainement sur notre monde un regard plus libre.

Penvins
e-litterature.net©

17/10/2003

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