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Oeuvres en dialogue 2
par Florence Trocmé

oeuvres en dialogue par Florence Trocmé
Dialogue 2 : MICHEL BUTOR ET BEETHOVEN


Les deux artistes

Michel Butor

Né en 1926, il fait des études de philosophie et de lettres. Secrétaire de Jean Wahl, il enseigne en France, puis en Egypte et devient lecteur dans une université anglaise, tout en multipliant les voyages. Il publie ses premiers romans aux Editions de Minuit avec notamment l'Emploi du Temps en 1956 et la Modification (Prix Renaudot 1957). Il est l'auteur d'une oeuvre considérable, mêlant les essais, des récits (Matière de rêves), des poèmes, combinant tous les genres pour le "désespoir des esprits routiniers". Il a collaboré avec de nombreux artistes, peintres, musiciens ou photographes.
Dialogue avec 33 variations de Ludwig van Beethoven date de 1971 et a été complété en 1999 par le Château du Sourd (voir note pratique).


Les 33 variations sur une Valse de Diabelli op. 120 de Beethoven

La genèse de l'oeuvre se situe en 1820 lorsque l'éditeur de musique Diabelli a l'idée de proposer un même thème, une petite valse de sa main, à plusieurs compositeurs dont Hummel, Schubert, le tout jeune Liszt et bien entendu Beethoven. A charge pour chacun de proposer quelques variations sur les trente-deux mesures de Diabelli. Beethoven considéra d'abord cette demande avec un certain mépris mais vers 1822, ayant sans doute pris conscience de l'énorme potentiel créatif que recelait ce thème si banal, il livra à un Diabelli stupéfait pas moins de trente-trois variations. Une oeuvre prodigieuse qui défie l'analyse car tout en respectant le principe de la variation, elle le pousse dans ses ultimes retranchements. Une extraordinaire démonstration de créativité pure selon le double principe de variété (contrastes) et d'unité (similitude), un des sommets de l'écriture musicale de tous les temps et une des plus impressionnantes oeuvres jamais écrites pour le piano.

Comment donc Michel Butor va-t-il se confronter à cet Himalaya ?

Il faut d'abord préciser qu'il connaît incontestablement la musique, pas seulement en mélomane curieux mais en amateur très éclairé. S'il n'est pas improbable qu'il puisse jouer au piano certaines des variations, il est en tout état de cause évident qu'il a constamment travaillé la partition sous les yeux. Il sait ce que c'est que l'analyse musicale et en fait un très large usage. Il connaît l'histoire de la musique et donne de multiples aperçus sur la vie musicale à l'époque de Beethoven. Il est très au fait aussi du contexte social et culturel de l'époque et des découvertes majeures qui viennent de se produire dans le domaine des sciences. En tout cela, il est clairement du côté de la " claire analyse ".

Il s'est aussi mesuré à la difficile question de l'interprétation puisqu'à plusieurs reprises, il a organisé des concerts-lecture dont certains, tout récents, avec le pianiste Jean-François Heisser, confrontant l'énonciation de son texte à l'exécution des Diabelli.

Mais ce serait faire injure au talent protéiforme de Butor de croire qu'il pourrait s'en tenir là. Et quel aveu au dos de la première édition de son travail : "l'essentiel était de rivaliser avec l'oeuvre dans sa variété d'attaque ou d'angle afin de provoquer ses réponses." !

Voilà bien le coeur de la problématique. Et si l'approche de Butor était mimétique, voire même de l'ordre de la rivalité mimétique ? A l'extrême invention de Beethoven, répondre par une ébouriffante multiplicité de points de vue, d'idées, de titres, d'élaborations. Analyse et imagination se fondent alors en un même mouvement, s'interpénètrent constamment, exactement comme dans l'oeuvre de Beethoven où le tour de force de la composition n'exclue jamais le plaisir musical. S'il joue constamment avec les nombres, glosant sur les multiples de quatre omniprésents dans l'oeuvre, Butor sait aussi rêver à partir de la musique, proposant au lecteur des "tableaux d'une exposition" ! Là "un doux paysage neigeux nocturne", ici des "scènes de la vie élégante", ailleurs un "réveil de Vulcain". Il multiplie les images et leurs niveaux d'emboîtement, saisons, planètes, allégories, figures mythologiques, personnages du théâtre de Mozart ou de Shakespeare en une éblouissante fantaisie qui défie tout autant l'analyse que l'oeuvre rivale ! Il suscite reflets, effets en miroir et symétries tout comme il les traque dans la partition. Il mêle les techniques de l'analyse et celle de la méditation empathique, laissant la musique féconder son imaginaire, avec une dimension ludique qui n'est pas absente de l'oeuvre de Beethoven.

L'écrivain varie à l'infini sur les variations du musicien. Et provoque chez son lecteur ce que son maître à varier suscite chez l'auditeur : une extraordinaire impression de brouillage des repères, un délicieux constat d'impuissance à épuiser le sens de l'oeuvre, énigme en constant renouvellement qui ranime sans cesse le désir d'écouter, de lire.

Thèse ou poème ?

Il semble donc que Butor, pour mieux rivaliser avecson éblouissant modèle choisi en toute connaissance de cause, ait été obligé de faire feu de tout bois, de recourir à toutes les méthodes d'investigation possibles. Il s approprie les variations Diabelli en musicien, en historien, en mathématicien, en poète, en metteur en scène, en illusionniste, tentant l'alchimie entre les deux voies suggérées par Proust " claire analyse " et " pure recréation ", non sans faire l'école buissonnière sur toutes les diagonales qui mènent de l'une à l'autre.


F. Trocmé

Note pratique

L'ouvrage Dialogue avec 33 variations de Ludwig van Beethoven a été édité en 1971 par Gallimard dans la collection Le Chemin.

Actes Sud et Naïve viennent à leur tour de proposer le texte de Butor, enrichi d'un nouveau texte écrit en 1999, le Château du Sourd en un livre-CD qui propose une interprétation tout à fait remarquable des Diabelli par le pianiste Jean-François Heisser.

Parmi les grands interprètes des Diabelli, on peut aussi citer les pianistes Claudio Arrau et tout récemment Maurizio Pollini.

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