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Simples, magistraux et autres antidotes / Un peu de bleu dans le paysage - Pierre Bergounioux
par Florence Trocmé

Pierre Bergounioux

Simples, magistraux et autres antidotes - Pierre Bergounioux
Verdier 2001
et
Un peu de bleu dans le paysage - Pierre Bergounioux
Verdier 2001

 

De loin en loin, rarement, trop rarement, en ouvrant un livre, en abordant un auteur encore inconnu de soi, on est saisi, au sens fort du mot. Saisi par ce qui se dit là et qui procure une impression double : on ne l'a jamais encore entendu, lu, sous cette forme-là ; et en même temps, paradoxalement, on le porte en soi depuis toujours mais on aurait été incapable de l'habiller de mots.

C'est exactement ce qui s'est produit pour moi en ouvrant, pour la première fois, des ouvrages de Pierre Bergounioux, à savoir deux recueils récents parus chez Verdier : Simples, magistraux et autres antidotes d'une part, Un peu de bleu dans le paysage d'autre part. Car il m'a semblé que Pierre Bergounioux explorait avec ses mots des sensations très enfouies, à la limite du non-dit mais en revanche parfaitement éprouvées, certainement très anciennes ; tout particulièrement de ces sensations pour moi jusqu'à présent indéfinissables qui sont liés aux lieux et à l'impression qu'ils procurent sur nous. Par lieux, il faut entendre tout et rien avec Bergounioux : aussi bien les abords d'un vieux pont de chemin de fer abandonné et rouillé, que tel ou tel passage dans une rue ouvrant sur une arrière-cour ou encore le talus au bord d'un fleuve, etc. Autrement dit les lieux de tout le monde, ces lieux que nous traversons quotidiennement et qui à notre insu produisent sur nous une certaine impression.

Dans Simples, magistraux et autres antidotes, un seul texte, bref, extraordinairement précis et concentré, explore la relation au monde extérieur de l'auteur, enfant, confronté précisément à ces impressions très fortes, très puissantes au point d'en être presque magiques et qui lui imposent des sortes de rituels : se rendre dans certains lieux pour recharger des réserves intérieures appauvries, ou collecter et collectionner toutes sortes d'objets et de choses improbables nécessaires à la survie : cela va de vieux boulons rouillés jusqu'aux insectes, en respectant au fond une " intuition crépusculaire qui indique aux bêtes souffrantes un remède à leurs maux ". C'est ainsi par exemple que l'auteur raconte qu' " un gros tirefond rouillé, rompu, découvert dans la caillasse du remblai, entre deux traverses, figura durablement parmi les cardiotoniques les plus énergiques du codex baroque que j'avais constitué au fil des années ".

Etrangement l'approche de Bergounioux m'a fait penser à celle de Nathalie Sarraute dans un tout autre domaine, celui de la dimension cachée du dialogue entre les humains, tout ce non-dit, toute cette communication infra-verbale qu'elle explore si précisément, si puissamment. Il m'a semblé que dans son domaine, plus charnel, plus ouvert sur la nature et le monde extérieur, moins "intellectuel' car en prise directe avec le monde enfoui que constitue pour chacun son enfance, Bergounioux se livre au même genre de travail, découvrant les filons et tentant de les explorer avec le foret des mots.

Le second recueil, Un peu de bleu dans le ciel, me semble labourer le même champ, en une exploration tout aussi minutieuse et puissante de sensations très enfouies mais toujours opérantes, à la limite du non-dit. Ici non pas un texte unique mais une succession de huit courts chapitres qui sont autant de poèmes en prose construits autour de souvenirs, souvenirs où les faits sont relativement secondaires en ce sens que ce qui filtre du passé ce ne sont pas tant des images que ces impressions qui sont restées comme intriquées dans le corps qui se les remémore dans et par l'écriture. Emblématique de cette approche par exemple, un texte qui pourrait être anecdotique et qui est consacré à une virée dans une vieille Traction 15 exhumée d'une casse et ressuscitée par les soins patients d'un ami. Beaucoup ont raconté, dans les faits, de tels souvenirs. Bergounioux, lui, donne à revivre, de façon plus universelle, tout ce qui se passe dans le corps et l'esprit chez un enfant ou un adolescent pris dans une telle situation. On retiendra aussi de ce livre des pages extraordinaires sur le plateau de Millevaches : "la vie se retire des hauteurs limousines. [...] L'éternité, déjà, redescend sur ces lieux où elle a sa demeure et qu'elle n'avait jamais vraiment quittés."

 

Florence Trocmé

12/05/2002

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