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Le tueur - Colin Wilson
par Catherine Nohales

Manitoba, 1998.

Je me trouvais sur un site consacré à Jack l'Éventreur, le premier tueur en série de l'ère moderne. La lecture de Colin Wilson y était recommandée. M' y voici.

Il ne s'agit pas d'un roman policier au sens classique du terme. Effectivement, les policiers sont absents, ou bien ne sont que des ombres lointaines, rares. L'enquêteur est un psychiatre, un médecin de l'âme qui va plonger, et nous avec, dans les méandres d'un esprit tortueux, retors et...attachant.

L'investigation démarre le 19 juin 1967. Samuel Kahn doit rencontrer un patient interné à Rose Hill, une prison expérimentale. Le romancier nous ravit par cette phrase inaugurale :" Le criminel le plus dangereux que j'aie jamais rencontré n'était pas enfermé dans le quartier de haute sécurité de Durham. Il se trouvait à la prison expérimentale de Rose Hill [...]"

Ce détenu a pour nom Arthur Lingard:"Lingard me posa le dilemme le plus étrange de toute ma carrière".

Malgré ces propos spectaculaires et saisissants, qui nous dérobent à la réalité du monde, ce thriller ne verse jamais dans le sanguinaire le plus extrême, le plus racoleur. Ce n'est pas l'intention de l'auteur qui a voulu écrire un roman dont le réalisme serait clinique, à la manière d'un ouvrage scientifique :

"Le professeur Berg avait montré la voie. C'était le psychiatre nommé pour examiner Kürten en prison. Son livre sur Kürten est aussi passionnant qu'un roman, mais il présente également un réalisme clinique qui lui donne cet impact brutal que ne possède pas un roman. J'avais essayé d'obtenir cela dans une pièce de théâtre, et apparemment l'expérience n'avait pas été concluante. Dans le présent roman, j'ai tenté à nouveau de retrouver l'impact de l'ouvrage de Berg sur Kürten".

Samuel Kahn, en véritable scientifique, veut comprendre l'esprit du psychopathe interné. Il doit, pour ce faire, déjouer les pièges qui lui sont tendus, ne pas devenir l'objet d'un homme manipulateur, qui feint la démence. Car Arthur Lingard n'est pas fou, ce qui le dédouanerait de tous les meurtres qu'il a commis.

Le narrateur découvre, au fil de confidences difficiles à obtenir, que son patient a vécu dans un huis-clos infernal où régnaient l'inceste et la violence, ainsi que le silence complice d'une mère adoptive qui savait mais qui a choisi de se taire.

Le père adoptif, l'oncle du meurtrier, nourrit une passion coupable pour sa nièce à qui il fera l'amour. Arthur ne le supporte pas, lui qui a trouvé en Pauline, le substitut de sa mère morte lors du bombardement de Londres en 1942. Promiscuité, dérive morale et solitude le conduisent aux portes de la folie. Samuel Kahn entrevoit, au fil de discussions pénibles, que son patient est fétichiste, qu'il dérobe des culottes en nylon et en soie dans lesquelles il se masturbe.

Pour échapper à cette horde, il devient, dans sa tête d'enfant déglingué, un super criminel. Son imagination s'enrichit de lectures populaires mettant en scène des supers héros. Mais lui choisit le Mal. Délibérément. Arthur se découvre un pouvoir, celui de briser toute volonté par des séances d'hypnotisme. Il obtient ce qu'il veut, manipule à loisir. Et puis les meurtres s'enchaînent. Il punit, venge la mort de sa mère, la disparition de la soeur tant aimée.. Il tue et mutile, garde des trophées : les culottes en nylon.

La violence est pesante et l'atmosphère de ce roman, oppressante. On étouffe. Voilà pourquoi j'ai mis tant de temps à le lire. Le sordide n'est pas dévolu aux classes populaires, laborieuses. La bourgeoisie est aussi sale, ce que nous montre le meurtre brutal de Simon, l'amant du jeune tueur en série. Parce qu'il est jeune...

Samuel Kahn est médecin : pas d'emphase dans ce roman, pas de dérives sanglantes et bon marché si ce n'est celles d'un petit bonhomme complètement détruit. Sa narration est sobre, détachée et détaillée.  Il rédige un rapport, sans grandiloquence malsaine qui érigerait le meurtrier au rang de modèle, d'exemple à suivre. Dans Le Tueur, l'horreur absolue réside dans un récit distancié d'un quotidien épouvantable

La force de ce thriller cafardeux ? Son réalisme clinique et donc brutal. Le tueur n'est pas saisi dans l'accomplissement de crimes monstrueux et hors normes. On le connaît tout petit et on suit avec écoeurement et émotion le chemin qu'il décide de prendre.

Ce que je reproche à tous ces romanciers anglo-saxons qui ont fait d'Hannibal le Cannibale et consorts des figures quasi mythologiques, c'est un spectaculaire souvent gratuit. On tue dans leurs romans pour tuer, on éviscère car ça fait frissonner. Plus il y a de sang, mieux c'est. On ne cherche plus à savoir pourquoi et comment, on abreuve le lecteur de sang jusqu'à la lassitude. Le loup-garou s'est installé au firmament de la littérature policière.

Le Tueur de Colin Wilson ne s'inscrit pas dans cette veine-là. Il la dépasse.


Catherine Nohales
03/2004

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