23 ans !





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Le droit de se perdre
par Meleze

 

Curieusement bien que des milliers de pages aient été écrites sur Paris et sa région je n’ai trouvé nulle part qu’il ait été fait mention de cette caractéristique qui dépayse le touriste et désoriente l’habitant et qui est la géographie des fourches. En y réfléchissant elles sont bien naturelles dans une ville qui bien que ronde n’est pas dessinée par un géomètre. Il faut bien que le piéton s’éloigne du centre. Mais justement le marcheur qui voit cela à son échelle et ne domine pas le plan d’ensemble s’éloigne plus ou moins directement du centre jusqu’à perdre sa direction..

Les fourches sont si célèbre qu’il y en a même une, celle de l’avenue de Clichy et de l’avenue de Saint-Ouen qui a donné son nom à la station de métro. Et celle qui m’a donné le plus de mal du point de vue de l’orientation c’est celle de la nationale 34 et de la nationale 4 dans le bois de Vincennes.

Parmi elles, une fourche s’est prise à son propre piège. Dans un tracé si inconsciemment caractéristique de la région parisienne, il y en a une dont une des branches change de nom sans que personne en ait jamais été informé.

Cette branche se trouve au Bourget. Elle s’appelle la nationale 2 puis la nationale 17. C’est la branche nord de la fourche, tandis que l’autre branche, la N2 disparaît à l’est car on a utilisé son trajet pour refaire l’autoroute. Elle ne réapparaît donc sous son nom que du coté de Soissons.

Ainsi on peut se surprendre en montant du Bourget ?à Marly la Ville, à aller absolument tout droit alors qu’on a changé de route. La construction de l’autoroute du nord date des années 60. A cette époque j’avais commencé à l’emprunter comme auto stoppeur. Le Bourget avait sacrifié sa "Nationale" pour offrir une piste de décélération idéale pour arrêter les voitures à destination d’Amsterdam tout en triant pour l’auto stoppeur les grands trajets et les petits.

35 ans plus tard le secret de l’orientation en région parisienne n’a toujours pas été révélé: Leo Mallet tu dors!

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Aujourd’hui dans la Région Parisienne, quelque soit l ‘endroit où on se perd, il aurait existé une façon plus simple de s’y rendre, par une limite extérieure, après avoir emprunté une voie rapide.

Ainsi on peut dire, en région parisienne, que "l’infiniment perdu n’existe pas". Impossible de s’éloigner à l’infini en étant de plus en plus perdu. On retombe toujours, fatalement sur une limite, en général un de ces cercles concentriques hérité des fortifications ou autoroutier dont les militaires puis le génie civil ont raffolé.

Parfois le besoin de se perdre triomphe cependant du cartésianisme. C’etait le cas autrefois avec la "zone", qui s’était établie sur l’ancienne fortification. La limite s’était elle même transformée en "no man’s land".

J’ai découvert que de nos jours il y avait encore plus remarquable. Car on a commencé à construire des autoroutes en hauteur par dessus des ponts et des viaducs. Donc, quand on veut se perdre on trouve comme limite la vie souterraine qui s’est développé en dessous des échangeurs. Elle se glisse sous la limite et s’échappe dans l’irrationnel.. "L’ile" c’est ainsi que

J.G. Ballard anglais et specoaliste de la sauvagerie urbaine appelle ces zones.

NONEVILLE existe: c’est le nom d’un quartier d’Aulnay sous bois;

N’est ce pas d’ailleurs un jeu de mot avec l’anglais signifiant que la ville qu’on cherche a disparu qu’il n’y en a plus aucune (none). Claude Nougaro aussi l’a relevé dans sa chanson: ‘il y avait une ville et il n’y en a plus rien". En tout cas aussi rationnellement qu’on ait voulu aménager cette région on y a créé des limites puis on a tenté de les supprimer alors qu’on avait juste réussi à les déplacer.

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La fourche à bien des égards sépare Céline, le docteur Destouches et Henry Miller. Piétons ils prenaient la même branche de la FOURCHE, l’avenue de Clichy qui les conduisait l’un vers Clichy et l’autre jusqu’à Bezons car c’étaient de fameux marcheurs. Mais écrivant ils ont suivi chacun une branche. Un ami de Miller prétend que dans l’hiver 1934 (où était-ce une autre année) Miller qui était correcteur de nuit chez Denoël, aurait eu le "Voyage au bout de la nuit", manuscrit, entre les mains et qu’il en a été terriblement influence pour son tropique du capricorne. Mais Céline était un introverti tandis que Miller s’est lancé dans un éloge débridé de l’hétérosexualité.

Un homme et une femme que cela fait du bien. C’est aussi un sens de la fourche. La ville telle qu’elle existait à l’époque offrait de nombreuses possibilité de se perdre. Ils ne se reconnaîtraient plus aujourd’hui

 

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Pourquoi un juif parisien irait-il coloniser Israël? C’est ce que je me demandais à la suite d’une discussion sur le cas d’une jeune fille qui en cette fin de siècle voulait s’installer la bas.

Ne suis-je pas né ici! Ma famille n’est-elle pas installée en région parisienne depuis la nuit des temps. La Région parisienne j’en suis plein dans tous mes écrits. Je la parcoure tellement dans tous les coins, qu’elle sue de mes pages, de mes thèmes de mes mots, broyant mon imagination.

Alors la vérité ne serait-elle pas que je suis utile? Une sorte de veilleur dans cette région que j’habite et que j’ai pu voir se nuire à elle-même, se déformer, s’enlaidir. Si je partais ailleurs, comme émigré n’est-ce pas que je n’aurais pas finalement reconnu mon incapacité d’y participer, de l’empêcher de se détruire un peu plus?

Céline aussi l’adorait, et y a été enfermé pour les même raisons. Bien plus qu’après la guerre de 1914 les blessures de cette région sont impossibles à réparer. Mais ce ne sont pas les autres les coupables. Nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-même. Je ne vis pas enfermé sur "la cote des gardes moi"!

Quelque part en moi j’ai encore l’espoir qu’on va revenir en arrière, qu’on me rendra le droit de perdre mon chemin.

Les limites entre les communes ou entre les départements cesseront d’être des autoroutes pour redevenir des collines ou des croisements. Les rivières redeviendront rivière; les côtes de la Seine porteront des vignes; et quand on montera sur le plateau du cote de Trappes ou dans la plaine de France on craindra les embruns on se réfugiera dans les vallons et on détruira les promotions immobilières qui de fient orgueilleusement le climat et les vents dominants en faisant le malheur de ceux qui y logent. Autour des parcs comme celui de la Courneuve se construiront de belles allées bourgeoises; les jeunes et les amoureux retrouveront le canal de la bastille à Gennevilliers comme Miller qui prenait le coche d’eau pour aller à St- Cloud ou au Vésinet.

Mélèze

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