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Claudio Magris
par Meleze

Claudio Magris

J'avais lu de Lui Danube que j'avais aimé jusqu'à en recopier des passages entiers à la main. Et de nouveau la même magie surgit de Utopie et désenchantement. J'ai voulu en recopier des passages à la main. J'ai eu le sentiment de tomber sur une source vivante, ou quelque chose comme des braises qui ne devaient pas s'éteindre avant que d'avoir contribuer à  Exigence Littérature.

Et pourtant comme dans Danube il y a d'énormes défauts dans cette pensée, qui d'une part confine à l'universel par sa familiarité avec la philosophie, et d'autre part crée d'elle-même dans son propre discours, plein de trous.

Ainsi pour tous ceux qui auraient lu Danube il semble évident que la nostalgie de l'empire romain y est très forte. Ce livre à son époque, les années 1990 ? s'est identifié à un projet de reconquête de l'Italie en Europe. Et bien si vous en croyez l'auteur lui-même, ce n'est pas tellement vrai. On ne devrait pas, déclarait-il à Maurice Nadeau, dissocier le cours du Danube de mon travail général  commencé, puis développé par un natif de Trieste et un frontalier du Rideau de Fer sur le thème des frontières . On est donc en présence d'un trou, ou, autrement dit, d'un défaut de définition de l'identité de l'auteur. Là où je ressens une pression pour une conquête territoriale, l'écrivain se défausse en disant qu'il ne sait de quel côté de la frontière il est né.

Le mieux pour développer mon propos est de consacrer une première partie à citer Magris pour que vous vous rendiez compte à la fois de son talent et de sa direction. Puis dans une deuxième partie nous reprendrons le fameux adage que ce qui est vrai en deçà des Alpes est souvent mensonge au-delà


L'exigence littéraire de Claudio Magris

L'histoire littéraire de l'Occident durant ces deux derniers siècles est l'histoire de l'utopie et du désenchantement, de leur indivisible symbiose. La littérature se pose souvent par rapport à l'histoire comme l'autre face de la lune, laissée dans l'ombre par le cours du monde. Ce sentiment d'un grave déficit dans la vie et dans l'histoire est l'exigence de quelque chose d'irréductiblement autre, d'une rédemption messianique et révolutionnaire, manquée ou niée par chaque révolution historique. L'individu sent une blessure profonde qui rend difficile pour lui de réaliser pleinement sa personnalité en accord avec l'évolution de la société et lui fait sentir l'absence de la vraie vie.

La littérature du désenchantement qui n'est que l'autre face de l'histoire ne joue pas son rôle, ne s'élève pas à l'exigence de l'oeuvre d'art comme les maîtres du passé.

Dans sa fidélité au cour boueux des évènements, la littérature est aussi un sismographe des évènements politiques qui, dans le désordre de leur immédiateté, souvent ne laisse pas entrevoir leur logique et leur sens. Carlo Bo, évoquant les moments les plus confus et les plus dramatiques de l'histoire récente de l'Italie disait que ces vicissitudes troubles et convulsives semblaient attendre un narrateur qui leur donnerait forme. Dans son essai sur les rapports entre littérature narrative, journalisme et critique littéraire, littérature bâtarde, Claudio Marabini, rappelant que l'écriture littéraire implique avant tout de se mettre le plus possible dans la peau des autres, observe que les désordres sanglants des dernières décennies et années de notre vie collective - l'assassinat d'Aldo Moro, la mort de Roberto Calvi, Tangentopoli et tant d'autres évènements tantôt douloureux, tantôt tragi-comiques - constituent le matériau d'un gigantesque labyrinthique feuilleton qui attend que quelqu'un l'écrive. Peut-être que quand nous l'aurons, si nous l'avons un jour, ce grand roman, nous pourrons savoir ce qu'a été cette Italie dont personne, même pas ceux qui ont vécu ces évènements de près dans l'oeil du cyclone ne parvient à voir le visage.

Ici Claude Magris a tout à fait raison. Il définit une exigence littéraire qui emporte mon enthousiasme alors que je sais très bien pourquoi ces romans qui devraient parcourir les années 60 à 2000 n'ont pas été écrit.


Mensonge en de-ça des Alpes vérité au-delà ?

Le mieux est de m'exprimer en termes de frontières puisque c'est le concept élu par l'auteur qui essaye d'avoir autant de point de vue qu'il y a de frontières par derrière lesquelles il peut réexaminer l'histoire contemporaine.

Or malgré lui il crée une frontière intellectuelle aussi haute que les Alpes en faisant une impasse totale sur un auteur en particulier de langue allemande puisque Magris en est le spécialiste, et non des moindres puisqu'il s'agit de Stephan Zweig.

Comment ce germaniste aussi précieux a-t-il pu commettre un acte manqué de ce poids ? Comment peut-il se livrer successivement à la critique de Nietzsche puis de Dostoïevski qui sont les deux auteurs piliers d'Utopie et désenchantement , sans se référer à ZWEIG maître autrichien qui a suivi le même chemin 60 ans avant lui, deux génération à peine ? C'est ce qu'on appelle un trou, oubli dont je vous propose une tentative d'explication.

Pour Zweig, avant la 2° guerre mondiale, la mise en regard de Nietzsche et de Dostoïevski se comprend, car il y lit la fermeture du monde européen sur lui-même, le désespoir, le suicide, la faillite de la civilisation européenne. Tandis que Magris qui écrit deux générations plus tard, a eu tout le temps d'ajouter à la lecture de Dostoïevski celle de Soljenitsyne et de se demander s'il est bien exact de rattacher le créateur de Crime et châtiment, à la tradition philosophique allemande plutôt qu'à la tradition littéraire russe. Et ainsi à 60 ans d'écarts Magris après Zweig ont suivi la même compilation intellectuelle, se sont enfermé dans le même " désenchantement ", alors que ce qui est vrai pour l'un est impardonnable pour l'autre.

Comment dans ces conditions pourraient être conçus les romans du siècle ? Magris ignore-t-il l'influence de Soljenitsyne ? Le coup de tonnerre de  L'archipel du goulag aurait-il été moins fort de l'autre côté des Alpes ? Non, assurément, il ne l'ignore pas puisque de la même façon que pour moi, la visite du russe en Vendée pour la commémoration de la chouannerie, a déclenché un essai sur le " 93 " de Victor Hugo.

Voyez-vous se former cette frontière aussi haute que les Alpes ? Voyez comment ce germaniste italien qui consacre deux essais à Nietzsche et à Dostoïevski ne prend même pas la peine de réfléchir aux deux essais analogues écrits par son prédécesseur à Vienne et qui ont été à l'époque une sorte de prédiction de la mentalité fasciste dans laquelle l'Europe allait s'enfermer ? Voyez comment il ignore chez Dostoïevski la paternité dans l'expression de la bourgeoisie russe dont Soljenitsyne recherchera ultérieurement la généalogie dans les geôles de Staline ? Comment comprendre, sinon a travers Dostoïevski que cette bourgeoisie sensible à l'impuissance et au crime a laissé sa place au parti communiste par faiblesse ? C'est comme si on déclarait soudain que Sade est un auteur plus important pour la Révolution française que Victor Hugo.


Opinion

Peut-être Magris estime-t-il que l'Italie est en dehors de la zone d'influence de Soljenitsyne et n'aurait pas à surmonter cette influence pour produire le roman du dernier demi-siècle ?

C'est possible aussi dans l'édition moderne, qu'un auteur ne soit pas responsable de la collection de ses essais de sorte que si les essais ont été réunis par l'éditeur, l'auteur ne s'est pas aperçu qu'il était embourbé dans l'ornière du désenchantement creusée par Stephan Zweig 

Mais cet italien qui souhaite voir la littérature s'élever au niveau de Thomas Man et de Victor Hugo ne les compare ni l'un ni l'autre à Soljenitsyne. Il ne peut donc que se plaindre de voir l'oeuvre d'art  traînée par terre ; il ne peut que se plaindre de lire l'oeuvre de Goethe dont l'idéal exprimé est  d'élever l'oeuvre d'art à la hauteur de l'histoire  et de ne lui trouver aucun successeur en ce début du 21°siècle.

voir aussi Utopie et Désenchantement sur le site "Etudes".

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