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La thématique de la présomption chez Montaigne et Charron.
par Marc Foglia

Communication présentée le vendredi 14 janv. 2005, dans le cadre du séminaire d’histoire de la philosophie “ les théories de l’amour-propre ”, dir. Denis Kambouchner, 2003-2005, à Paris-I Sorbonne.


La thèse que nous voudrions soutenir, c’est que la pratique du jugement chez Montaigne doit, entre autres, protéger l’expérience morale contre le discours conventionnel de la présomption. Le discours de la présomption et ses corollaires, celui de la dévalorisation ou de l’auto-dénigrement, ainsi que celui de la profession de sincérité, font obstacle à la vie morale authentique. Ce sont en effet des discours qui font obstacle, d’une part, à la connaissance de soi, et d’autre part à l’autonomie du jugement, autonomie dont il faut s’assurer l’effectivité si l’on veut bien juger. Or, comme l’autonomie du jugement est ce qui semble le plus nécessaire à la vie morale, chez Montaigne (nous ne démontrerons pas ce point ici, mais nous en trouverons dans la thématique de la présomption une illustration), la vie morale effective suppose que soit écarté le discours de la présomption.

La présomption apparaît comme un obstacle à l’expérience morale. Si l’on se rapporte au passage attendu sur ce sujet, c’est-à-dire au début du chapitre “ De la présomption ” (II,17), la présomption “ nous représente à nous-mêmes autres que nous ne sommes ”. Comment dire plus clairement que la présomption fait écran, devant l’exigence et la possibilité d’une connaissance morale authentique de soi ? C’est d’ailleurs cet effet qui retient l’attention de Montaigne, sans qu’il ait besoin de définir la nature : la présomption est à la fois une affection, une opinion et un discours. Ces trois manifestations de la présomption ont toutes pour effet d’empêcher l’exercice du jugement droit. Le dessein d’une perception morale exacte et authentique de soi est formulé à l’encontre d’un tel obstacle. (Texte 1)

&ldq Il y a une autre sorte de gloire, qui est une trop bonne opinion que nous concevons de nostre valeur. C’est un’affection inconsiderée, dequoy nous nous cherissons, qui nous represente à nous mesmes autres que nous ne sommes : comme la passion amoureuse preste des beautez et des graces au subjet qu’elle embrasse, et fait que ceux qui en sont espris, trouvent, d’un jugement trouble et alteré, ce qu’ils ayment, autre et plus parfaict qu’il n’est. Je ne veux pas que, de peur de faillir de ce costé là, un homme se mesconnoisse pourtant, ny qu’il pense estre moins que ce qu’il est. Le jugement doit tout par tout maintenir son droit : c’est raison qu’il voye en ce subject, comme ailleurs, ce que la verité luy presente. Si c’est Caesar, qu’il se treuve hardiment le plus grand Capitaine du monde 1 .”

La perception juste de soi est occultée par la présomption, ou inversement, par la peur de tomber dans la présomption. L’expérience morale personnelle doit être exhumée, ce qui suppose que l’on écarte à la fois le discours de la présomption et le discours de l’humiliation. L’époque est tout à fait consciente du manque de vérité propre à l’anti-discours de la présomption, ou, si l’on préfère, au discours de la contre-présomption, discours de “ l’humilité subtile ” sous laquelle se cache encore la même affection “ inconsidérée ” : ce discours est une manœuvre rhétorique, pour augmenter son crédit et embellir son image auprès d’autrui.

“ Il est certaine façon d’humilité subtile qui naist de la presomption, comme cette-cy, que nos reconnaissons nostre ignorance en plusieurs choses, et sommes si courtois d’avouer qu’il y a és ouvrages de nature aucunes qualitez et conditions qui nous sont imperceptibles, et desquelles nostre suffisance ne peut descouvrir les moyens et les causes. Par ceste honneste et consciencieuse declaration, nous esperons gaigner qu’on nous croira aussi de celles que nous dirons entendre 2 . ”

“ les rudoyments mesmes desdaigneus, dequoy ils se battent, ce ne sont que mignardises et affetteries d’une faveur maternelle, suivant Aristote, à qui et se priser et se mespriser naissent souvent de pareil air d’arrogance 3 . ”

On se valorise tout en se dévalorisant, et l’on se dénigre pour mieux se placer en position d’autorité. La stratégie de la présomption et de l’humilité est un obstacle à l’expérience morale : Montaigne le fait ici comprendre à l’aide de la métaphore de la passion amoureuse, qui nous empêche de juger objectivement des qualités ou des défauts de l’être aimé. C’est l’image projetée par notre désir que nous aimons, plutôt que la personne réelle. Pour empêcher ces distorsions, la raison doit retrouver un rôle positif en ce qu’elle représente l’exigence même du jugement droit : “ c’est raison que le jugement voie ce que la vérité lui présente 4  ”. L’exigence de droiture morale est cautionnée par l’autorité de la raison contre les prétentions injustifiées de la présomption. Or, s’il faut faire particulièrement attention, c’est que “ l’affection inconsidérée ” de la présomption est quant à elle couverte par l’autorité de discours conventionnels, dont les discours de la présomption auto-accusatoire et de l’humilité feinte. Montaigne rapproche les discours moraux ordinaires de la pudibonderie du langage des femmes. L’éducation sexuelle des femmes, beaucoup plus éclairées sur ce point qu’elles ne le laissent paraître, fait que leur langage relève nécessairement de la “ cérémonie ” et s’accompagne d’hypocrisie.

“ Nous ne sommes que ceremonie : la ceremonie nous emporte, et laissons la substance des choses ; nous nous tenons aux branches et abandonnons le tronc et le corps. Nous avons apris aux Dames de rougir oyant seulement nommer ce qu’elles ne craignent aucunement à faire ; nous n’osons appeler à droict nos membres, et ne craignons pas de les employer à toute sorte de desbauche 5 . ”

Le discours moral ordinaire est un discours coupé de la réalité. Comme le langage des femmes, dont les tabous ne correspondent à aucune interdiction réelle, il n’a pas d’influence sur notre conduite. Ce n’est pas ce discours qui pourra nous ouvrir l’accès à une vérité morale.

Pour que l’expérience morale personnelle retrouve un sens, il faut que les discours convenus de la présomption et de l’humiliation de l’homme disparaissent. Cette thèse est paradoxale, si on garde à l’esprit l’affirmation suivante :

“ La presomption est nostre maladie naturelle et originelle 6 . ”

À propos de cette phrase, Jean-Yves Pouilloux conclut : “ Bien. Mais la formule est si générale qu’elle constitue un jugement “ en gros 7  ”, imparfaite en ce qu’elle ne dessine pas de pratique, en ce qu’elle n’indique pas de voie pour modifier le comportement quotidien, la relation de soi à soi 8 . ” Dire que la présomption est notre maladie la plus naturelle, c’est déjà adopter le discours de la présomption, comme discours général sur l’homme. Ce discours fait écran devant l’expérience morale. Mais, s’il faut écarter le discours de la présomption pour ne pas recouvrir l’expérience morale d’un tissu de mots convenus, ne risque-t-on pas de tomber précisément dans le vice de présomption, par manque de méfiance suffisante ? L’exercice du jugement devrait pouvoir donner lieu à une éthique de la modestie.

Résumons l’argument : dans le dessein d’assurer un lien vivant avec l’expérience morale, Montaigne tente de faire échapper la connaissance de soi au discours sur la présomption et à la réaction contre ce discours. Le traitement du thème de la présomption, dans les Essais, est de plus en plus gouverné par le souci de préserver l’expérience morale, expérience qui semble devoir être faite en personne, de la manière la plus directe possible. L’essayiste se montre conscient des dangers que fait courir le discours moral à la libre enquête du jugement. L’activité de la conscience doit être libérée, étant le plus souvent étouffée par le conformisme des conventions.

Le jugement doit conquérir une position d’indépendance et d’extériorité par rapport à son objet. Pour bien juger de soi, il faudrait être capable de rendre témoignage de soi comme d’une chose tierce. Montaigne se dit capable de se considérer lui-même d’un œil étranger, “ comme un voisin, comme un arbre 9  ”. Il rend honneur à son propre courage en ces termes :

“ Car le n’oser parler rondement de soy a quelque faute de cœur. Un jugement roide et hautain et qui jugement sainement et seurement, il use à toutes mains des propres exemples ainsi que de chose estrangere, et tesmoigne franchement de luy comme de chose tierce. Il faut passer par dessus ces regles populaires de la civilité en faveur de la verité et de la liberté 10 . ”

Le regard porté sur soi est motivé par l’exigence d’objectivité et de droiture. Si l’on cherche des antécédents historiques, on pourrait évoquer ce que les humanistes appellent l’experientia. L’expérience est constituée de témoignages dont on peut rendre en son nom propre ; elle est indissociable d’un engagement en faveur de la liberté et la vérité. Or, l’expérience morale est menacée par les “ règles populaires de la civilité ” qui régissent des “ discours 11  ” conventionnels. L’invention et la reproduction de ces discours est séparée de l’expérience morale personnelle. Ce dessein, échapper aux constructions langagières, dans lesquelles l’esprit et la conscience se retrouvent prisonniers, constitue l’une des impulsions premières de la philosophie morale de Montaigne. L’esprit humain “ s’empêche soi-même 12  ”, il s’empêtre dans ses propres productions telle une souris prise dans la poix (Mus in pice, selon l’adage d’Érasme reproduit par Montaigne). La construction des discours théoriques est loin de constituer un domaine de liberté pour l’esprit :

“ Au rebours, nous obscurcissons et ensevelissons l’intelligence ; nous ne la descouvrons plus qu’à la mercy de tant de clostures et barrieres. Les hommes mescognoissent la maladie naturelle de leur esprit : il ne faict que fureter et quester, et va sans cesse tournoiant, bastissant et s’empestrant en sa besongne, comme nos vers de soye, et s’y estouffe. Mus in pice 13 . ”

“ Notre discours est capable d’estoffer cent autres mondes et d’en trouver les principes et la contexture. Il ne luy faut ny matiere ny baze ; laissez le courir : il bastit aussi bien sur le vuide que sur le plain, et de l’inanité que de matiere, dare pondus idonea fumo. Je trouve quasi par tout qu’il faudroit dire : Il n’en est rien 14 . ”

Le “ discours ” désigne à la fois un type d’activité de la raison, et son résultat, la construction verbale. La raison manque de rationalité, en ce qu’elle perd en cours de route la possibilité de vérifier la pertinence de ses constructions dans l’expérience. Les discours moraux conventionnels, en apparence très rationnels, ont pour effet de placer le jugement individuel en position subordonnée. Ils ont aussi pour effet d’obscurcir l’intelligence morale que chacun peut avoir de soi. Le discours moral est l’une de ces clôtures et de ces barrières qui ferment l’accès à l’expérience morale. Sous le thème de la présomption, on trouve chez Montaigne la critique de l’un de ses fils de soie, dans lesquels l’esprit se constitue sa prison dorée. Il est à craindre que l’on reste prisonnier, sans l’aide d’un philosophe capable de trouver un remède à cette maladie de l’esprit.

Assurer la possibilité de l’expérience de soi, c’est écarter ces discours qui compromettent la possibilité d’une saisie authentique de soi. Il ne suffit pas d’écarter le reproche de présomption, car les discours moraux conventionnels vont précisément s’engouffrer dans cette brèche, pour ne pas dire dans cette blessure ouverte par autrui. Les discours qui condamnent de manière générale le discours sur soi, jugé nécessairement présomptueux, font partie de ce que Montaigne appelle la “ cérémonie ”. Or, si ces discours conventionnels régis par la coutume doivent être écartés, c’est aussi parce qu’ils rendent l’expérience morale fluctuante et incertaine.

“ Voylà comment tous ces jugemens qui se font des apparences externes, sont merveilleusement incertains et douteux ; et n’est aucun si asseuré tesmoing comme chacun à soy-mesme 15 . ”

“ Il n’y a que vous qui sachiez si vous êtes lâche ou généreux, ou loyal et devotieux ; les autres ne vous voyent poinct, ils vous devinent par conjonctures incertaines ; ils voyent non tant vostre nature que vostre art 16 .”.

L’expression “ par conjectures incertaines ” dans le passage cité ci-dessus vient de Nicolas de Cues, qui désigne ainsi la manière dont l’homme s’approche de la vérité 17 . Le même instrument conceptuel est repris par Montaigne pour distinguer entre la perception de soi par soi, et la perception qu’autrui a de nous. La perception morale d’autrui se fait par approches successives, confirmées ou non au cours du déroulement de l’expérience. D’un autre côté, la perception morale que chacun a de soi-même jouit d’un privilège certain, que nous sommes moralement tenus de revendiquer. Ce privilège est celui de l’appréhension immédiate et directe.

Le jugement moral doit pouvoir rendre témoignage de la vie morale à la première personne. Mais comment reconquérir l’expérience morale, face aux artifices et aux conventions ?  L’expérience morale est bien proche de la conscience, entendue comme juge intérieur. Montaigne admet l’existence d’un savoir moral de soi dont la conscience est à la fois le siège et l’organe. Chacun est à la fois juge et témoin dans l’expérience morale : le travail philosophique dont Montaigne nous montre la voie consiste à restituer à l’expérience morale son effectivité et son authenticité, en exerçant son jugement en conscience. En raison de l’espace qui nous est imparti, nous ne pouvons bien sûr relire l’ensemble des Essais dans cette perspective. Nous poserons la question de la possibilité d’une expérience morale de la présomption. Y a-t-il une intuition première qui permettrait de considérer la présomption comme une catégorie légitime de la connaissance morale de soi ? Si ce n’est pas le cas, la notion de présomption doit-elle être cependant prise en compte dans la vie morale ?

Si l’on veut que l’expérience morale de soi se substitue au langage moral ordinaire, il faut maintenir le jugement dans son droit, ce qui revient à faire la preuve de la droiture de son jugement. L’expérience est le moyen dont on met à l’épreuve l’authenticité de la vie morale. Le jugement doit maintenir son droit à juger  : ce qui veut dire qu’il doit faire la preuve de sa capacité à répondre à l’exigence de droiture, en s’opposant à la fois à l’occultation par le discours de la présomption, et à la torsion que la passion de la présomption risque de lui faire subir. Il faut donc non seulement débouter le discours de la présomption et son contre-discours de leurs prétentions, mais saisir la présomption là où elle affecte réellement le jugement. Le chapitre II,17 vise à écarter ces deux régimes d’hétéronomie de la vie morale (discours de la présomption ou discours de l’auto-dénigrement d’un côté, affection inconsidérée de la présomption de l’autre) de manière à ce que le jugement s’exerce en toute indépendance, et ouvre ainsi l’espace d’une expérience morale personnelle.

La présomption fait entrer la vie morale dans une sorte de piège. D’un côté, la présomption est une passion réelle, dont il semble difficile de se débarrasser. De l’autre, le discours moral qui condamne la présomption occulte la vie morale. Il soumet la vie morale à un tabou : parler de soi, ce serait nécessairement montrer de l’orgueil - nous dirions aujourd’hui être égocentrique. Cependant, on a affaire à un tabou d’ordre coutumier, inspiré par la morale chrétienne de l’humilité et passé dans les mœurs. Il n’est donc possible de parler de soi qu’en se rabaissant de manière excessive et systématique, en niant ses qualités et ses mérites, ce qui conduit à parler contre sa conviction, et contre ce que l’on pourrait sinon reconnaître comme la vérité. Le chapitre II,6, “ De l’exercitation ” évoque la difficulté d’une réflexion morale sur soi et d’une connaissance morale de soi. (Texte 4)

“ Or, comme dict Pline, chacun est à soy-mesme une très bonne discipline, pourveu qu’il ait la suffisance de s’espier de près. Ce n’est pas ici ma doctrine, c’est mon estude ; et n’est pas la leçon d’autruy, c’est la mienne. (…) Il n’est description pareille en difficulté à la description de soy-mesme, ny certes en utilité. Encore se faut-il testoner, encore se faut-il ordonner et renger pour sortir en place. Or je me pare sans cesse, car je me descris sans cesse. La coustume a fait le parler de soy vicieux, et le prohibe obstinement en hayne de la ventance qui semble tousjours estre attachée aux propres tesmoignages. Au lieu qu’on doit moucher l’enfant, cela s’appelle l’enaser. La peur d’une faute nous conduit à un crime (Horace). Je trouve plus de mal que de bien à ce remede. Mais, quand il seroit vray que ce fust necesserement presomption d’entretenir le peuple de soy, je ne doy pas, suivant mon general dessein, refuser une action qui publie cette maladive qualité, puisqu’elle est en moy ; et ne doy cacher cette faute que j’ay non seulement en usage, mais en profession. Toutesfois, à dire ce que j’en croy, cette coustume a tort de condamner le vin, parce que plusieurs s’en enyvrent. On ne peut abuser que des choses qui sont bonnes. Et croy de cette regle qu’elle ne regarde que la populaire defaillance. Ce sont brides à veaux, desquelles ny les Saincts, que nous oyons si hautement parler d’eux, ny les philosophes, ny les theologiens ne se brident. Ne fay-je, moy <je ne le fais pas moi non plus> quoy que je soye aussi peu l’un que l’autre 18 . ”

Jean-Yves Pouilloux commente : “ Cette addition termine l’essai “ De l’exercitation ” comme pour insister une fois de plus sur l’énigmatique disproportion entre ce qu’un homme pense de lui-même, la figure dans laquelle il se présente et la “ réalité ” de son comportement, de ses gestes, de ses paroles. “ Réalité ” à vrai dire peu accessible, puisque l’expérience ne donne à sentir que des différences, des écarts entre visions ou sensibilités hétérogènes, et ne permet jamais de s’arrêter sur une vue stable, pure, indiscutable, qui serait la vérité (…). Cette disproportion < entre soi et l’image que l’on a de soi> semble la première rencontre sur la voie du “ connais-toi toi-même ”, et elle constitue un obstacle peut-être rédhibitoire, en tout cas elle indique une extrême difficulté 19 . ” Reflet de cette difficulté réelle, sans doute, la difficulté du texte est manifeste. La notion de présomption doit-elle être conservée en morale ?

Les obstacles à l’expérience de soi semblent se multiplier à mesure que le désir d’une telle expérience s’accroît. Face à l’expérience, Montaigne reconnaît tout d’abord à la coutume une autorité suffisante, pour ne pas se sentir autorisé à en contester radicalement et en bloc la pertinence. La faute que la coutume impute systématiquement au discours sur soi est acceptée sous la forme d’une hypothèse, avant d’être toutefois écartée : même si le fait de parler de soi est condamnable – c’est le jugement qu’impose la coutume - l’essayiste décide de passer outre et de manifester la présomption qui est en lui en parlant de lui. Le discours sur soi, quel qu’en soit le contenu, reflète la réalité de la présomption de celui qui parle, et dit par conséquent une vérité 20 . Il est peut-être moralement condamnable de parler de soi, si parler de soi c’est montrer de la présomption. Cependant, s’il faut dire la vérité sur soi, alors le présomptueux se connaît et se fait reconnaître par autrui comme présomptueux, en parlant de lui-même.

Dans un second temps, l’essayiste renverse son jugement : “ Toutefois, à dire ce que j’en crois, la coutume a tort de condamner le vin parce que plusieurs s’enivrent ”. Le jugement proclame son indépendance, il fait acte de sécession par rapport à la coutume, et aux convictions que la coutume impose. Tout se passe comme si le jugement demandait : mais qui a dit que parler de soi, c’était nécessairement montrer de la présomption ? Montaigne s’en prend à une fausse conviction morale. C’est une mauvaise solution d’interdire le parler de soi sous prétexte qu’il serait par nature l’expression de la présomption. La réflexion de l’essayiste tient à la fois du proverbe, de l’humour et de la sagesse populaire : on ne peut abuser que des bonnes choses qui sont bonnes. La solution de la censure ou du tabou langagier est plus vicieuse que le mal. Ce n’est pas moucher l’enfant, c’est lui couper le nez, sous prétexte qu’il a parfois de la morve. Montaigne affiche son hostilité à la censure, entrave à la liberté et obstacle à la manifestation de la vérité : ce sont “ des brides pour les veaux ”. En outre, les hommes saints n’ont-ils eu raison de se proposer en modèle ? L’essayiste récuse cependant aussitôt les discours des saints, des théologiens et des philosophes. Ce n’est pas par fausse modestie, mais parce que ces trois modèles - la sainteté, la philosophie et la théologie - auraient à nouveau pour effet de soumettre le jugement à un régime d’hétéronomie. Ces discours préfabriqués ruinent pas avance l’espoir de saisir la vie morale dans son caractère personnel, immédiat et authentique 21 . Le “ parler de soi ”, chez Montaigne, correspond ainsi à un engagement moral fondamental, celui de faire effort pour se connaître soi-même. Il faut que le jugement “ maintienne son droit ”, et que le discours soit un discours sincère, l’expression de ce que le jugement aura reconnu comme vrai.

Montaigne écarte les philosophies présomptueuses. La présomption consiste essentiellement à nier le caractère corporel et fini de la condition humaine. (Textes 4)

&ldquo Il en est de nostre jeunesse qui protestent ambitieusement de fouler aux pieds les voluptés naturelles : que ne renoncent ils encore au respirer ? que ne vivent ils du leur, sans secours de leur forme ordinaire ? (…) Ces humeurs vanteuses se peuvent forger quelque contentement, car que ne peut sur nous la fantasie 22  ? ”

&ldquo La philosophie fait bien l’enfant à mon gré quand elle se met sur ses ergots pour nous prescher : Que c’est une farrouche alliance de marier le divin avec le terrestre, le raisonnable avec le desraisonnable, le severe à l’indulgent, l’honneste au deshonneste ; que la volupté est qualité brutale, indigne que le sage la gouste 23 (…). ”

&ldquo A quoy faire ces poinctes eslevées de la philosophie sur lesquelles aucun estre humain ne se peut rassoir, et ces regles qui excedent nostre usage et nostre force ? Je vois souvent qu’on nous propose des images de vie, lesquellles ny le proposant ny les auteurs n’ont aucune esperance de suivre 24 . ”

La philosophie présomptueuse n’est pas proportionnée aux capacités de l’homme. Elle n’est pas faite pour nous, mais pour des hommes idéaux. Cette critique ne vise pas seulement la philosophie stoïcienne : c’est plutôt une manière de philosopher que Montaigne remet en question, lorsque l’on propose des “ images de vie ” qui ne peuvent pas guider réellement la vie 25 .

La question se pose de savoir ce qui peut constituer une expérience morale première, susceptible de fonder et de faire connaître la présomption, comme affection propre. Est-ce que le jugement peut faire l’économie de toute médiation par les usages, la coutume et les conventions ? Quelle place accorder par exemple aux manifestations corporelles, ou au témoignage d’autrui ? (Texte 5)

“ Il me souvient donc que, des ma plus tendre enfance, on remarquoit en moy je ne scay quel port de corps et des gestes tesmoignants quelque vaine et sotte fierté. J’en veux dire premierement cecy, qu’il n’est pas inconvenient d’avoir des conditions et des propensions si propres et si incorporées en nous, que nous n’ayons pas moyen de les sentir et reconnoistre. Et de telles inclinations naturelles, le corps en retient volontiers quelque pli sans nostre sçeu et consentement (…). Je ne sçay si ces gestes qu’on remerquoit en moy, estoient de cette premiere condition, et si à la verité j’avoy quelque occulte propension à ce vice, comme il peut bien estre, et ne puis pas respondre des bransles du corps ; mais, quant aux bransles de l’ame, je veux icy confesser ce que j’en sens. (…) (C) S’il y a de la gloire, elle est infuse en moy superficiellement par la trahison de ma complexion, et n’a point de corps qui comparoisse à la veue de mon jugement. J’en suis arrosé, mais non pas teint 26 . ”

Montaigne écarte de la vie morale les attitudes corporelles dont on ne peut pas avoir conscience, et par conséquent, dont on ne peut répondre. Cette exclusion est assez paradoxale, dans la mesure où il se sert aussi de tels indices aux fins de connaître autrui, suivant le principe que “ tout mouvement nous révèle 27  ”. Cependant, les indices ou informations que les autres tirent de l’observation du corps, du maintien physique, de la voix, risquent de soumettre la vie morale propre à un régime d’hétéronomie. La connaissance morale de soi est circonscrite à ce qui peut faire l’objet d’une aperception du jugement. La morale ne concerne pas le corps proprement dit : l’attitude corporelle incriminée ne constitue un témoignage valable, qu’à la condition de pouvoir faire l’objet d’une expérience. Le corps propre livre une expérience morale lorsqu’il devient terrain d’enquête pour le jugement L’expérience morale est ce dont on peut répondre à la première personne : si l’on veut constituer les indices livrés par le corps en témoignages moraux, il faut que ces indices “ comparaissent ” à la vue du jugement. C’est pourquoi, de la même façon, le témoignage d’autrui ne peut fonder à lui seul un témoignage moral. Il faut que la présomption dénoncée par autrui présente des symptômes vérifiables par le jugement personnel. La connaissance morale de la présomption propre est possible, mais elle suppose toujours une activité du jugement. Il faut écarter les discours qui mettent la vie morale en régime d’hétéronomie. Pour parler vraiment de soi, il faut que le discours moral se fonde sur une expérience morale, au lieu d’imiter les discours conventionnels cautionnés par l’usage et la coutume. Le “ discours ”, la “ cérémonie ”, le “ pédantisme ”, sont des manières de faire tomber la vie personnelle dans des régimes d’hétéronomie 28 . La vie morale trouve une expression authentique que dans le discours moral sur soi, à la condition qu’il soit le fruit d’un exercice réel du jugement. L’attention socratique à soi est la condition d’une vie morale authentique.

Si l’on suit la vulgate critique, la connaissance de soi serait le projet qui aurait mûri peu à peu dans l’esprit de Montaigne ; la connaissance de l’homme serait le plus bel achèvement philosophique et littéraire concevable, et les Essais sa réalisation magistrale. Pour Gustave Lanson, on aurait affaire au “ passage de l’individu nommé Montaigne à la description générale de l’homme 29 . ” Cette opinion est reprise par la critique contemporaine, qui parle en l’espèce d’une fondation de l’anthropologie moderne dans les Essais 30 . La connaissance de soi est alors réduite à n’être qu’un thème parmi d’autres, même si on lui attribue une importance prééminente à l’intérieur de l’œuvre. On lui réserve alors un traitement thématique, sans chercher à en montrer la nécessité philosophique 31 . Cependant, comme il faut se connaître pour bien juger, il est évident que le “ connais-toi ” fait étroitement partie de la série des essais du jugement. Sous la forme d’une condition nécessaire à l’exercice du jugement, c’est-à-dire d’une condition de la droiture du jugement et de la réflexion sur ses propres opérations, la connaissance de soi est indispensable à l’entreprise philosophique. La connaissance de soi remplit une fonction aussi indispensable que précise : si Montaigne ne laisse rien subsister en lui sans le soumettre à la vue du jugement, c’est parce que la connaissance de l’homme est indispensable à l’homme qui juge. Comme Montaigne le souligne dans l’Apologie de Raymond Sebond, ce n’est pas un jugement pris in abstracto qui juge, mais le jugement d’un homme sujet à des passions et à des intérêts divers 32 . Cette situation rend le jugement impartial très difficile, voire impossible. Comme image parfaite de la raison, comme instrument parfaitement neutre, détaché de toute inclination et de toute passion, le jugement a toutes les chances de ne pas exister. Cependant, à moins de renoncer à juger et de maintenir son jugement impassible, comme le font les Pyrrhoniens, il faut apprendre à se connaître soi-même. C’est la voie choisie par Montaigne, celle de la connaissance de soi et de l’exercice du jugement.

Concluons à présent, non pas sur la présomption chez Montaigne, parce que notre perspective est ici trop étroite, mais sur la manière dont l’essai du jugement intègre le thème traditionnel de la présomption à la réflexion morale. L’originalité de Montaigne consiste principalement à se tenir à distance les discours convenus, ce qui lui permet de rendre à la présomption son caractère originel de passion, d’affection inconsidérée et quasi inévitable. La réticence à tenir le discours de la présomption (dont on a vu qu’il communique avec celui de l’humilité) contribue à la restauration d’une vie morale authentique, personnelle, ouverte puis enrichie par l’exercice indépendant du jugement. Montaigne part à la recherche de sa présomption, comme objet moral singulier et nouveau. De cette enquête, on ne peut bien sûr établir le résultat et fixer les enseignements à l’avance : c’est par une série d’expériences, qui incluent le moment de la réflexion, que chacun prend la mesure de sa présomption.


Charron.

Je commencerai par penser que l’on doit s’intéresser, plus qu’à ce que Charron dit de la présomption, à la place et au statut de cette dernière dans l’économie de l’œuvre.

Le contenu de ce que dit Charron vient littéralement de Montaigne ou de Guillaume du Vair 33 . Je cite Charron, et l’on reconnaîtra dans ce passage un emprunt à l’Apologie de Raymond Sebond (II,12,450a). On croira aussi entendre un passage célèbre des Pensées de Pascal 34 . Charron dénonce l’importance exagérée que l’homme s’attribue dans la nature :

“ Et le povre miserable est bien ridicule. Il est icy bas logé au dernier et pire estage de ce monde, plus eslongné de la voulte celeste, en la cloaque et sentine de l’univers, avec la bourbe et la lie, avec les animaux de la pire condition, subject à recevoir tous les excremens et ordures, qui luy pleuvent et tombent d’enhaut sur la teste ; et ne vit que de cela, et à souffrir les accidens, qui luy arrivent de toutes parts ; et se fait croire qu’il est le maistre commandant à tout ; que toues creatures, mesmes ces grands corps lumineux, incorruptibles, desquels ils ne peut sçavoir la moindre vertu, et est contraint tout transi les admirer, ne branlent que pour luy, et son service 35 . ”

Le langage de Charron est plus stoïcien que celui de Montaigne : l’homme est voué “ à souffrir les accidents qui lui arrivent de toutes parts ”, alors qu’il pensait être le “ maître commandant à tout ”. On reconnaît l’opposition stoïcienne entre le non-sage et le sage, le premier étant ballotté par les événements, et sujet aux coups de la fortune, l’autre étant maître de son destin parce qu’il en connaît les causes.

Charron emprunte, sans beaucoup changer ce qu’il emprunte : cette manière de faire apparaît aujourd’hui au mieux comme un défaut de talent, au pire comme un manque de vergogne. Il n’en allait cependant pas de même aux yeux de Charron lui-même : se considérant comme l’héritier légitime de Montaigne, il se sent tenu de perpétuer la pensée 36 . D’autre part, de manière plus classique, il reconnaît ne pouvoir mieux dire que ses sources prestigieuses. Voici comment il présente son œuvre dans la Préface de la première édition (1601) :

&ldq C’est le recueil d’une partie de mes estudes : la forme et l’ordre sont à moy. Si je l’ay arrangé et agencé avec jugement, et à propos les Sages en jugeront, car meshuy en ce subject autres ne peuvent estre mes juges, et de ceux-là volontiers recevray la reprimende : et ce que j’ay prins d’autruy, je l’ay mis en leurs propres termes, ne le pouvant dire mieux qu’eux 37 . ”

Si l’on veut juger du travail de Charron, il faut s’intéresser surtout à la forme et à l’ordre, qui sont à lui. C’est ce que nous ferons, en nous interrogeant sur la place de la présomption dans l’économie de l’œuvre et dans le système de la Sagesse. D’autre part, Charron demande pour juger de son œuvre des jugements qualifiés et sages. Le lecteur doit remplir une sorte de cahier des charges, pour avoir qualité à juger de son contenu. Cette purgation des vices est établie précisément dans une œuvre dont le but est la possession de la sagesse. Pour bien juger de la présomption de l’homme, il faudra un jugement qui en soit exempt, ce qui nous oblige à chercher le remède correspondant dans le livre II, et la vertu correspondante dans le livre III.

La description de la présomption intervient dans le premier livre, dont le dessein général est “ la cognoissance de soy et de l’humaine condition. ” C’est d’abord une “ exhortation à s’estudier et cognoistre ”. Le deuxième livre est consacré aux “ instructions et règles générales de la Sagesse ”, c’est-à-dire aux moyens de guérir l’homme de ses défauts et de l’instituer dans la sagesse. Le troisième livre concerne les “ quatre vertus morales ” caractéristiques de la sagesse, prudence, justice, force, tempérance. L’œuvre comporte donc trois étapes - descriptive, prescriptive et morale. La présomption intervient dans la quatrième section du livre I. La première section est consacrée à la “ considération naturelle de l’homme ”, la seconde à la considération de l’homme par comparaison avec les autres animaux, et la troisième une considération de l’homme par sa vie. La quatrième est une considération de l’homme moral, “ par ses mœurs, humeurs, conditions ”. Si l’on suit l’ordre de la seconde édition, on doit remarquer que la présomption ne fait pas partie de la condition naturelle de l’homme, mais de sa condition morale. La vanité, la faiblesse, l’inconstance, la misère et la présomption ne sont pas des passions naturelles, comme peuvent l’être par exemple l’amour, l’ambition, l’avarice, l’amour charnel, l’espoir et le désespoir, la colère, la haine dans la section 1. C’est une première différence qu’il faut éclaircir : pourquoi Charron n’a-t-il pas fait de la présomption une passion naturelle, mais l’un des éléments de la condition morale de l’homme ?

On trouve une physiologie et une psychologie des passions dans le chapitre XVIII de la section 1, “ Des passions en général ”. Cette analyse psychologique de la passion n’existait pas dans la première édition. Charron se sert des métaphores offertes par une république et par une armée 38 . Il faut que le souverain commande, que les magistrats exécutent, que les citoyens obéissent :

“ Ainsi en l’homme, l’entendement est le souverain, qui a sous soy une puissance estimative et imaginative comme un magistrat, pour cognoistre et juger par le rapport des sens, de toutes choses qui se presenteront, et mouvoir nos affections pour l’execution de ses jugemens 39 . ”

La passion se produit lorsque les magistrats se laissent corrompre par les citoyens, au lieu d’exécuter les ordres du souverain. Charron la définit comme “ un mouvement violent de l’ame en la partie sensitive 40  ”, et montre qu’à l’origine de cette violence contre nature, on trouve un dérèglement et un vice, dû à la “ puissance estimative et imaginative 41  ”. L’imagination se laisse “ corrompre ou tromper, en ce qu’elle juge mal et témérairement ”, de telle sorte qu’elle “ remue nos affections mal à propos ”, “ et nous remplit de trouble et d’inquiétude. ” La passion, phénomène naturel mais déréglé, fait que l’homme s’émeut “ sur l’apparence et opinion ou d’un bien, ou d’un mal 42 . ” Par exemple, lorsque se présente un bien à venir, je suis ému par la passion de l’amour à l’égard de ce bien. Si le bien est présent, si l’âme en jouit en soi-même, la passion s’appelle plaisir et joie. Les passions sont plus ou moins violentes, suivant qu’elles passent plus ou moins dans la partie irascible. Des premières passions de l’amour, du désir, de la joie, de la haine, de la tristesse, de la pitié, et de la crainte, peuvent naître alors par redoublement l’espoir et le désespoir, la peur ou l’audace, la colère, etc. Par rapport aux passions naturelles, la vanité, la faiblesse, l’inconstance, la misère et la présomption jouissent d’un statut spécial. Si l’on y regarde de plus près, la différence semble tenir à ceci : la passion peut se définir à partir d’un certain rapport à l’objet, alors que les éléments constitutifs de la condition morale de l’homme ne le peuvent pas.

Dans la première édition, Charron avait placé au début du premier livre la peinture de la vanité et de la présomption de l’homme. Ce ne sera plus du tout le cas dans la seconde. La table des matières, composée après coup pour montrer les correspondances entre la première édition et la nouvelle, montre que les chapitres 36 à 40 de la seconde édition correspondent aux chapitres 3 à 7 de la première 43 (Texte 1). On peut donc supposer qu’entre 1601 et 1604, Charron a voulu réduire l’importance de la vanité et de la présomption, voire mettre de côté cet élément, dans la description de l’homme et dans la connaissance que l’homme doit avoir de lui-même. Dans l’itinéraire de l’homme vers la sagesse, la vanité et la présomption jouent à présent un rôle mineur. Qu’est-ce qui a motivé ce changement de statut ?

On pourrait faire l’hypothèse que le premier livre, qui commençait par une “générale peinture de l’homme 44  ”, a été jugé trop sévère par certains lecteurs. Cette peinture contenait en effet : vanité (chap.3) faiblesse, inconstance, misère, et présomption. Un critique biographe écrit : “ Malgré le haut patronage du duc d’Epernon, la Sagesse ne fut pas aussi bien accueillie que le théologal de Condon l’avait espéré 45 . ” Le livre fait l’objet de vives critiques ; pour calmer ces dernières, Charron envisage aussitôt une seconde édition. “ Je sais, écrit-il un an après la première publication, que ce livre est diversement pris (…). Il y a des choses un peu hardiment dites ; c’est pourquoi je l’ai revu et corrigé, et en plusieurs lieux je l’ai adouci 46 . ” Charron compose alors une nouvelle préface où il répond fièrement aux attaques dont il a été l’objet 47 . Il la soumet à Claude Dormy, évêque de Boulogne, qui s’est pris de sympathie pour lui. “ Ces additions et corrections tendent à éclaircir et fortifier, et en quelques lieux à adoucir. Aucuns de mes meilleurs amis de deçà, gens clairvoyants et nullement pédants, en sont bien édifiés et satisfaits, et sans cela ne le sont pas. ” Cependant, l’évêque de Boulogne est hostile à tout changement. Charron envoie à son ami Rochemaillet ce billet, qui ne doit pas être découvert par l’évêque de Boulogne, et donc brûlé une fois lu : “ Ledit sieur ne sera pas peut être de cet avis, de mettre aucune addition ni correction à mon livre (…). D’autre part, cependant, je connais qu’il est fort expédient, pour fermer la bouche aux malicieux, pour contenter les simples, faciliter une approbation des docteurs, de mettre celles que je vous envoie, lesquelles, sans rien altérer du sens et de la substance, servent beaucoup à ces trois fins. C’est pourquoi je veux prier de tenir la main que mes dites additions et corrections soient insérées en cette seconde édition, nonobstant l’avis contraire dudit seigneur 48 . ” Malgré ces modifications, Charron n’obtiendra ni l’approbation des docteurs de la Sorbonne, ni celle des évêques.

Procédons maintenant à l’analyse interne. Dans la première édition, la vanité, la faiblesse et la présomption ouvraient la description de l’homme : se connaître soi-même, c’est essentiellement connaître sa vanité. Dans la seconde édition, l’œuvre s’ouvre sur le passage suivant, tiré de la Genèse, passage très élogieux à l’égard de l’homme dans sa condition naturelle :

“ Selon la peinture que nous donne Moyse de l’ouvrage et creation du monde (…) l’homme a esté fait de Dieu non seulement apres tous les animaux, comme le plus parfait, le maistre et surintendant de tous (…) mais encores apres tout fait et achevé, comme la closture, le sceau et cachet de ses œuvres (…). Et en un mot la derniere main, l’accomplissement, le chef d’œuvre, l’honneur et le miracle de nature. C’est pourquoy Dieu l’ayant fait avec deliberation et apparaît, et dixit faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram, s’est reposé 49 . ”

L’exégèse historique permet de penser que ce n’est pas un retour à la Bible qui motive cet éloge de l’homme, mais le souci de louer l’homme qui a besoin de trouver une caution dans la Bible. Charron se sert de sources diverses dans ce dessein : la préface du livre I est inspirée de Ficin. “ Par la connaissance de soi, l’homme monte et arrive plutôt et mieux à la connaissance de Dieu, que par toute autre chose, tant pour ce qu’il trouve en soi plus de quoi le connaître, plus de marques et traits de la divinité, qu’en tout le reste qu’il peut connaître. ” Charron se sent d’ailleurs tenu de se justifier lorsqu’il évoque la présomption dans la seconde édition. Ce point confirme à la fois l’hypothèse d’une disparition de la présomption, et l’hypothèse que ce changement serait dû aux objections et aux protestations des lecteurs. (Texte 2 )

“ Or tout cecy ne déroge aucunement à la doctrine commune, que le monde est fait pour l’homme, et l’homme pour Dieu : car outre l’instruction que l’homme tire en general de toute chose haute et basse pour cognoistre Dieu, soy, son devoir (…) il en tire profit ou plaisir ou service. De ce qui est par dessus soy qu’il a moins en intelligence et nullement en sa puissance, le ciel azuré tant richement contrepointé destoilles et ces flambeaux roulants sans cesse sur nos testes, il en a ce bien que par contemplation, il monte et est porté en admiration, crainte, honneur et reverence de leur auteur et maistre souverain de tout, et en ce sens a esté bien dit par Anaxagoras, que l’homme estoit creé pour contempler le ciel et le soleil (…). Mais se persuader qu’en faisant toutes ces choses, l’on n’aye pensé qu’à l’homme, et qu’il soit la fin et le but de tous ces corps lumineux et incorruptibles, c’est une trop folle et hardie presomption 50 . ”

La présomption est réduite à une erreur de jugement : l’homme pense que l’univers entier a été créé pour lui. Or, ce jugement n’est pas fautif, puisque le monde est fait pour l’homme, et l’homme pour Dieu ! Le reproche de présomption ne désigne plus qu’une application excessive de cette vérité.

Dans la seconde édition, la présomption vient après la description de l’homme dans sa condition naturelle (section 1), après la comparaison de l’homme et des animaux (section 2) et après la réflexion sur la brièveté de la vie humaine (section 3). Dans la première édition, en revanche, on trouvait l’avertissement suivant dès la préface :

“ D’autant que l’homme est composé de deux pieces fort diverses, esprit et corps, il est mal aisé de le bien d’escrire entier et en bloc. Aucuns raportent au corps tout ce que l’on peut dire de mauvais de l’homme : le font excellent et l’élevent par dessus tout pour le regard de l’esprit : mais au contraire tout ce qu’il y a de mal, non seulement en l’homme, mais au monde, est forgé et produit par l’esprit : et y a bien plus de vanité, inconstance, misere, presomption en l’esprit, qu’au corps 51  (…).

Or, nous considerons icy l’homme au plus vif, que n’avons encores fait, et le pincerons ou il ne se demangeoit pas et raporterons tout à ces cinq points ; Vanité Foiblesse Inconstance Misere et Presomption, qui sont ses plus naturelles et universelles qualités : mais les deux dernieres le touchent de plus pres. ”

Le statut de la présomption était assez exceptionnel dans la première édition. Dans la seconde édition, Charron substitue la référence à la Genèse, qui fait de l’homme la créature la plus noble, à la référence au livre de Job qui stigmatisait la présomption de l’homme, “ la plus calamiteuse et miserable chose du monde ”, “ esponge d’ordures, sac de miseres en son milieu, puantise et viande de vers en sa fin 52  ”, pour le dire avec ces mots plus crus. Charron entendait par là “ exprimer en un mot toute l’humanité 53  ” dire ce qui constitue “ le propre de l’homme ” ou encore “ la plus essentielle et propre qualité de l’humaine nature 54  ”.

La présomption est un thème que Charron utilise, et modifie en fonction de desseins déterminés. Le thème de la présomption s’efface entre 1601 et 1604. Ce phénomène est à relier à celui de la disparition du scepticisme dans l’œuvre de Charron 55 .

Marc Foglia, Université de Paris-I Sorbonne






Exemplier.

Texte 1. Charron, De la sagesse, Paris, Fayard, 1986, “ Table des chapitres ”.

Texte 2. Charron, “ De la présomption ”, op. cit., pp.274-275

&ldquo Or tout cecy ne déroge aucunement à la doctrine commune, que le monde est fait pour l’homme, et l’homme pour Dieu : car outre l’instruction que l’homme tire en general de toute chose haute et basse pour cognoistre Dieu, soy, son devoir, encores en particulier de chacune, il en tire profit ou plaisir ou service. De ce qui est par dessus soy qu’il a moins en intelligence et nullement en sa puissance, le ciel azuré tant richement contrepointé d’estoilles et ces flambeaux roulants sans cesse sur nos testes, il en a ce bien que par contemplation, il monte et est porté en admiration, crainte, honneur et reverence de leur auteur et maistre souverain de tout, et en ce sens a esté bien dit par Anaxagoras, que l’homme estoit creé pour contempler le ciel et le soleil, et par les autres Philosophes appelans l’homme ouranoskopon : des choses basses il en tire secours, service, commodité. Mais se persuader qu’en faisant toutes ces choses, l’on n’aye pensé qu’à l’homme, et qu’il soit la fin et le but de tous ces corps lumineux et incorruptibles, c’est une trop folle et hardie presomption. ”

Texte 3.

Les Essais de Michel de Montaigne, II,17,631-632a.

&ldquo Il y a une autre sorte de gloire, qui est une trop bonne opinion que nous concevons de nostre valeur. C’est un’affection inconsiderée, dequoy nous nous cherissons, qui nous represente à nous mesmes autres que nous ne sommes : comme la passion amoureuse preste des beautez et des graces au subjet qu’elle embrasse, et fait que ceux qui en sont espris, trouvent, d’un jugement trouble et alteré, ce qu’ils ayment, autre et plus parfaict qu’il n’est. Je ne veux pas que, de peur de faillir de ce costé là, un homme se mesconnoisse pourtant, ny qu’il pense estre moins que ce qu’il est. Le jugement doit tout par tout maintenir son droit <Montaigne a barré le terme “ avantage ”, pour le remplacer par “ droit ”> : c’est raison qu’il voye en ce subject, comme ailleurs, ce que la verité luy presente. Si c’est Caesar, qu’il se treuve hardiment le plus grand Capitaine du monde. ”

Texte 4. II,6,377-379c.

“ Or, comme dict Pline, chacun est à soy-mesme une très bonne discipline, pourveu qu’il ait la suffisance de s’espier de près. Ce n’est pas ici ma doctrine, c’est mon estude ; et n’est pas la leçon d’autruy, c’est la mienne. (…) Il n’est description pareille en difficulté à la description de soy-mesme, ny certes en utilité. Encore se faut-il testoner, encore se faut-il ordonner et renger pour sortir en place. Or je me pare sans cesse, car je me descris sans cesse. La coustume a fait le parler de soy vicieux, et le prohibe obstinement en hayne de la ventance qui semble tousjours estre attachée aux propres tesmoignages. Au lieu qu’on doit moucher l’enfant, cela s’appelle l’enaser. La peur d’une faute nous conduit à un crime (Horace). Je trouve plus de mal que de bien à ce remede. Mais, quand il seroit vray que ce fust necesserement presomption d’entretenir le peuple de soy, je ne doy pas, suivant mon general dessein, refuser une action qui publie cette maladive qualité, puisqu’elle est en moy ; et ne doy cacher cette faute que j’ay non seulement en usage, mais en profession. Toutesfois, à dire ce que j’en croy, cette coustume a tort de condamner le vin, parce que plusieurs s’en enyvrent. On ne peut abuser que des choses qui sont bonnes. Et croy de cette regle qu’elle ne regarde que la populaire defaillance. Ce sont brides à veaux, desquelles ny les Saincts, que nous oyons si hautement parler d’eux, ny les philosophes, ny les theologiens ne se brident. Ne fay-je, moy <je ne le fais pas moi non plus> quoy que je soye aussi peu l’un que l’autre. ”

Textes 5.

III,13,1107b  : “ Il en est de nostre jeunesse qui protestent ambitieusement de fouler aux pieds les voluptés naturelles : que ne renoncent ils encore au respirer ? que ne vivent ils du leur, sans secours de leur forme ordinaire ? (…) Ces humeurs vanteuses se peuvent forger quelque contentement, car que ne peut sur nous la fantasie ? ”

III,1113c : “ La philosophie fait bien l’enfant à mon gré quand elle se met sur ses ergots pour nous prescher : Que c’est une farrouche alliance de marier le divin avec le terrestre, le raisonnable avec le desraisonnable, le severe à l’indulgent, l’honneste au deshonneste ; que la volupté est qualité brutale, indigne que le sage la gouste (…). ”

III,9,989b :  : “ A quoy faire ces poinctes eslevées de la philosophie sur lesquelles aucun estre humain ne se peut rassoir, et ces regles qui excedent nostre usage et nostre force ? Je vois souvent qu’on nous propose des images de vie, lesquellles ny le proposant ny les auteurs n’ont aucune esperance de suivre. ”

Texte 6. II,17,632a-635c

&ldquo Il me souvient donc que, des ma plus tendre enfance, on remarquoit en moy je ne scay quel port de corps et des gestes tesmoignants quelque vaine et sotte fierté. J’en veux dire premierement cecy, qu’il n’est pas inconvenient d’avoir des conditions et des propensions si propres et si incorporées en nous, que nous n’ayons pas moyen de les sentir et reconnoistre. Et de telles inclinations naturelles, le corps en retient volontiers quelque pli sans nostre sçeu et consentement (…). Je ne sçay si ces gestes qu’on remerquoit en moy, estoient de cette premiere condition, et si à la verité j’avoy quelque occulte propension à ce vice, comme il peut bien estre, et ne puis pas respondre des bransles du corps ; mais, quant aux bransles de l’ame, je veux icy confesser ce que j’en sens. Il y a deux parties en cette gloire : sçavoir est, de s’estimer trop, et nestimer pas assez autruy. (…) (C) S’il y a de la gloire, elle est infuse en moy superficiellement par la trahison de ma complexion, et n’a point de corps qui comparoisse à la veue de mon jugement. J’en suis arrosé, mais non pas teint ”.


Annexes I. Montaigne et Aristote sur la présomption.

II,6,379c : “ De dire moins de soy qu’il n’y en a, c’est sottise, non modestie. Se payer de moins qu’on ne vaut, c’est lascheté et pusillanimité, selon Aristote. ”

Dans quelle mesure peut-on considérer l’exigence de maintenir le jugement dans son droit comme une vertu du juste milieu, au sens aristotélicien ?

Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, IV,7, 1123b1-5 : “ On pense d’ordinaire qu’est magnanime celui qui se juge lui-même digne de grandes choses, et celui qui en est réellement digne ; car celui qui, sans en être digne, agit de même, est un homme sans jugement, et au nombre des gens vertueux ne figurent, ni l’homme sans jugement, ni le sot 56 . ”

Ethique à Nicomaque, IV,13,1127a20 : “ De l’avis général, le vantard est un homme qui s’attribue des qualités susceptibles de lui attirer de la réputation tout en ne les possédant pas, ou encore des qualités plus grandes qu’elles ne sont en réalité ; inversement, le réticent dénie les qualités qu’il possède ou les atténue ; enfin, celui qui se tient dans un juste milieu est un homme sans détours, sincère à la fois dans sa vie et dans ses paroles, et qui reconnaît l’existence de ses qualités propres, sans y rien ajouter ni retrancher. La sincérité et la fausseté peuvent l’une et l’autre être pratiquées soit en vue d’une fin déterminée, soit sans aucun but. Mais en tout homme le véritable caractère se révèle dans le langage, les actes et la façon de vivre, toutes les fois qu’il n’agit pas en vue d’une fin. ”

1127b10 : “ Quant à l’homme qui a des prétentions dépassant la réalité de ses propres mérites, tout en n’ayant aucune fin en vue, il apparaît assurément comme un être méprisable (autrement il ne prendrait pas plaisir à mentir) mais il donne pourtant l’impression d’être plus vain que méchant. ”

1127b25 : “ Les réticents qui ne parlent d’eux-mêmes qu’en atténuant la vérité, apparaissent comme étant de mœurs plus aimables (car on admet qu’ils ne parlent pas en vue du gain, mais qu’ils fuient l’ostentation). Pour ces derniers aussi, il s’agit principalement des qualités donnant une bonne réputation, qualités qu’ils déclarent ne pas posséder, suivant la manière de faire de Socrate. ”


Annexes II. Le vice de la présomption dans la tradition du “ socratisme chrétien 57  ”.

Le socratisme traverse aussi le Moyen-Âge, principalement sous la forme d’un héritage du Redi in te ipsum d’Augustin.

Saint Bernard écrit : “ Ce n’est pas être sage que de ne pas l’être pour soi. L’homme sera sage s’il l’est pour soi. Qu’il soit donc le premier à boire l’eau de son propre puits. Commence par te considérer toi-même ; bien plus, finis par là. Où que ton jugement s’échappe, ton salut gagnera à ce que tu le rappelles vers toi 58 .”

Examinant le sens du “ connais-toi toi-même ” de Saint Bernard, Étienne Gilson montre qu’il est l’une des origines du thème de la grandeur et de la misère de l’homme 59 . Il y a pour Saint Bernard deux causes qui font que nous nous ignorons nous-mêmes : une timidité excessive, qui nous porte à nous humilier outre mesure, et une témérité plus dangereuse encore, qui nous invite à trop présumer de nous-mêmes. Contre ces deux obstacles à l’humilité chrétienne, il faut chercher à se connaître, à faire l’expérience de soi 60 .

Sur ce thème du socratisme médiéval, on fera aussi référence à Boèce, Consolation de la philosophie, II,5,29 : “ car la condition de la nature humaine, c’est de ne dominer le monde qu’au moment où elle se connaît elle-même ; elle s’abaisserait cependant au-dessous des bêtes, si elle cessait de se connaître (…). ”

Au début du Policraticus, Jean de Salisbury écrit : “ est-on jamais plus indigne qu’en refusant d’avoir connaissance de soi ? Quis enim eo indignior, qui sui ipsisus contemnit habere notitiam ? ” On lira aussi la Préface au livre I du De remediis utriusque fortunae de Pétrarque 61 .

Montaigne a hérité du socratisme chrétien médiéval par l’intermédiaire de Raymond de Sebond 62 . Ce fil historique doit permettre un réexamen de l’Apologie de Raymond Sebond 63  : il faudrait examiner dans quelle mesure le discours moral de Montaigne sur la misère de l’homme revêt un caractère emprunté et déclamatoire 64 .

Le courant du socratisme chrétien ne s’arrête pas avec Montaigne. On le trouve au XVII°siècle, par exemple, chez Guez de Balzac 65 .


Annexe III. Le socratisme fonde la légitimité du discours moral.

De nombreux passages peuvent être rattachés au “ socratisme ” de Montaigne, et considérés comme l’expression de la légitimité du discours sur soi, en vue de la connaissance de soi.

I,3,15c : “ Ce grand precepte est souvent allegué en Platon : Fay ton faict et te cognoy. Chascun de ces deux membres enveloppe generallement tout nostre devoir, et semblablement enveloppe son compagnon. ” 

I,25,137a. “ Nous sçavons dire : Cicero dit ainsi ; voilà les meurs de Platon ; ce sont les mots mesmes d’Aristote. Mais nous, que disons nous nous mesmes ? que jugeons nous ? que faisons nous ? Autant en diroit bien un perroquet. ”

II,6,379c. “ Dequoy traitte Socrates plus largement que de soy ? A quoy achemine il plus souvent les propos de ses disciples, qu’à parler d’eux, non pas de la leçon de leur livre, mais de l’estre et branle de leur ame ? Nous nous disons religieusement à Dieu, et à nostre confesseur, comme noz voisins à tout le peuple. ”

II,6,379c. “ Mon mestier et mon art, c’est vivre. Qui me defend d’en parler selon mon sens, experience et usage, qu’il ordonne à l’architecte de parler des bastimens non selon soy, mais selon son voisin ; selon la science d’un autre, non selon la sienne. Si c’est gloire de soy-mesme publier ses valeurs, que ne met Cicero en avant l’eloquence de Hortence, Hortence celle de Cicero ? ”

II,6,379c : “ Je tien qu’il fut estre prudent à estimer de soy, et pareillement consciencieux à en tesmoigner, soit bas, soit haut, indifferemment. ”

II,6,380c : “ Par ce que Socrate avoit seul mordu à certes au précepte de son Dieu, de se connoistre, et pas cette estude estoit arrivé à se mespriser, il fut estimé digne du surnom de Sage. Qui se connoistra ainsi, qu’il se donne hardiment à connoistre par sa bouche. ”

III,9,1001b : “ C’estoit un commandement paradoxe que nous faisoit anciennement ce Dieu à Delphes : Regardes dans vous, reconnoissez vous, tenez vous à vous ; vostre estprit et votre volonté, qui se consomme aillleurs, ramenez la en soy ; vous vous escoutez, vous vous respandez ; appilez vous, soutenez vous, on vous trahit, on vous dissiple, on vous desrobe à vous. Voy tu pas que ce monde tient toutes ses veues contraintes au dedans et ses yeux ouverts à se contempler soy-mesme ? C’est tousjours vanité pour toy, dedans et dehors, mais elle est moins vanité quand elle est moins estendue. Sauf toy, ô homme, disoit ce Dieu, chaque chose s’estudie la premiere et a, selon son besoin, des limites à ses travaux et desirs. Il n’en est une seule si vuide et necessiteuse que toy, qui embrasses l’univers : tu es le scrutateur sans connoissance, le magistrat sans jurisdiction et apres tout le badin de la farce. ”



Bibliographie succincte.

  • Adam, Michel, Études sur Pierre Charron, Presses Universitaires de Bordeaux, 1991.

  • Aristote, Ethique à Nicomaque, IV, 13.

  • Balzac, Guez de, Socrate chrétien, Amsterdam, chez I. Pluymer, 1662

  • Bonnefon, Paul, Montaigne et ses amis, La Boétie, Charron, Mlle de Gournay, Paris, 1898 (t.2, pp.213-315).

  • Chanet, Pierre, Considérations sur la Sagesse de Pierre Charron, Paris, Claude le Groult, 1643.

  • Charron, Pierre, Les Trois Veritez contre les athées, idolâtres, juifs, mahometans, heretiques et schismatiques, le tout traicté en trois livres, Bourdeaus, Simon Millanges, 1596.

  • Charron, Pierre, Discours chrestiens de la Divinité, Création, Rédemption et Octave du Sainct-Sacrement, Paris, P. Bertault, 1604.

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  • Charron, Pierre, Œuvres, t. II, Slatkine Reprints, Genève, 1970. Contient Les Trois Veritez, derniere edition, reveuë, corrigée, & de beaucoup augmentée, par Pierre Le Charron, à Paris, J. Villery, 1635.

  • Du Vair, Guillaume, De la saincte philosophie, in Œuvres, Slatkine Reprints, Genève, 1970.

  • Érasme, Eloge de la folie, chap. XLIII & XLIV, in La philosophie chrétienne, introduction, traduction et notes par Pierre Mesnard, Paris, Vrin, 1970.

  • Garasse, François, La doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps ou pretendus tels, Paris, S. Chappelet, 1624.

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  • Jon, François du, Amiable confrontation de la simple verité de Dieu, comprise es Escritures sainctes, avec les livres de M. Pierre le Charron, Leyden, Pierre de Sainct-André, 1599.

  • Kogel, Renée, Pierre Charron, Genève, Droz, 1972.

  • La Primaudaye, Pierre de, Academie françoise, en laquelle il est traicté de l’institution des Mœurs, & de ce qui concerne le bien et heureusement vivre en tous Estats et conditions : Par les Preceptes de la doctrine, & les exemples de la vie des anciens sages, & hommes illustres, par Pierre de la Primaudaye, Escuyer, (…) Gentilhomme ordinaire de la chambre du Roy, Au Roy tres chrestien Henry III, troisiesme Edition reveue, corrigee, augmentee & cottee par l’Autheur, à Paris, Chez Guillaume Chaudiere, 1581, Slatkine Reprints, Genève, 1972. En particulier la “ Sixième journée : De l’ambition ”, pp. 67 et sq.

  • Lanson, Gustave, “ la philosophie définitive des Essais ”, in Les Essais de Montaigne, 1948, chap. VII.

  • Mersenne, Marin, L’impiété des déistes, athées et libertins de ce temps combatuë, et renversee de point en point par raisons tirées de la Philosophie et de la Theologie. Ensemble de refutation du Poeme des Deistes, Paris, P. Bilaine, 1624.

  • Mersenne, Marin, La vérité des Sciences contre les Sceptiques ou Pyrrhoniens, Paris, 1625.

  • Mesnard, Jean, "Sur le terme et la notion de philautie" dans La Culture au XVIIe. Enquète et synthèse, PUF, 1992, pp.48-67.

  • Naudé, Gabriel, Bibliographia politica, Venetiis, F. Baba, 1633.

  • Pascal, Pensées, B.62 : “ parler de ceux qui ont traité de la connaissance de soi-même ; des divisions de Charron, qui attristent et ennuient. ”

  • Plattard, Jean, Montaigne et son temps, Paris, 1933.

  • Plutarque, Sur l’E de Delphes, in Œuvres morales, tome VI, texte établi et traduit par Robert Flacelière, Paris, Les Belles Lettres, 1974. Les trois “ dialogues pythiques ” traduits par R. Flacelière, De E delphico, De Pythiae oraculis, et De defectu oraculorum, se suivent déjà dans l’édition d’Henri Estienne, 1572.

  • Popkin, R.H., The History of scepticism from Erasmus to Descartes, Assen, 1964 ; Histoire du scepticisme d’Erasme à Spinoza, traduite de l’anglais par Christine Hivet, Paris, PUF, 1995.

  • Pouilloux, Jean-Yves, “ Connois-toi toi-même ”, un commandement paradoxe, dans Lire les Essais de Montaigne, Actes du Colloque de Glasgow 1997, Noël Picock et James J. Supple (éd.), Paris, Champion, 2001, pp. 91-106.

  • Sabrié, Jean-Baptiste, De l’humanisme au rationalisme, Pierre Charron, 1541-1603, l’homme, l’œuvre, l’influence, Genève, Slatkine Reprints, 1970 (Alcan, 1913).

  • Tahureau, Jacques, Les Dialogues, non moins profitables que facetieux, Max Gauna (éd.), Paris, Droz, 1981.

  • Taranto, Davide, “ Il posto dello scetticismo nell’architettonica della “ Sagesse ”, pp. 8-34, dans La Sagezza moderna, temi e problemi dell’opera di Pierre Charron, Atti del convegno di studi in memoria di Giampiero Stabile, Napoli, 1987

  • Villey, Pierre, Les sources et l’évolution des Essais, Paris, Hachette, 1933, t. II, chap. iii : “ La Morale de Montaigne. Philosophie de la Nature ”, pp.390-411.






1 II,17,630-631a. Cf. supra : “ C’est pareillement faillir de ne veoir pas jusques où on vaut, ou d’en dire plus qu’on n’en void. ”

2 II,37,763a

3 III,13,1069c. Voir aussi II,37, 763a, cité supra. Voir Aristote, Ethique à Nicomaque, IV, 13 (Annexes)

4 voir supra.

5 II,17, ibid. : “ La ceremonie nous defend d’exprimer par parolles les choses licites et naturelles, et nous l’en croyons ; la raison nous defend de n’en faire point d’illicites et mauvaises, et personne ne l’en croit. Je me trouve icy empestré és loix de la ceremonie, car elle ne permet ny qu’on parle bien de soy, ny qu’on en parle mal. Nous la lairrons <laisserons> là pour ce coup. ”

6 II,12,452a 

7 III,8,943b : “ Tous jugements en gros sont lasches et imparfaits ”.

8 Jean-Yves Pouilloux, 2001, p. 93

9 III,8,942c : “ J’ose non seulement parler de moy, mais parler seulement de moy : je fourvoye quand j’escry d’autre chose et me desrobe à mon suject. Je ne m’ayme pas si indiscretement et ne suis si attaché et meslé à moy que je ne puisse distinguer et considerer à quartier : comme un voisin, comme un arbre. C’est pareillement faillir de ne veoir pas jusques où on vaut, ou d’en dire plus qu’on n’en void. ”

10 III,8,942c.

11 Voir par ex. I,26,168c : “ Le vray miroir de nos discours est le cours de nos vies. ” En I,21,105b, on trouve un passage proche de l’idée précitée de Charron : “ Les discours sont à moy (…). ”

12 Voir II,14, “ Comment nostre esprit s’empesche soy-mesme ”.

13 III,13,1068b

14 III,11,1027b

15 II,17,626a : “ Voylà comment tous ces jugemens qui se font des apparences externes, sont merveilleusement incertains et douteux ; et n’est aucun si asseuré tesmoing comme chacun à soy-mesme ”

16 III,2,807b

17 Voir Nicolas de Cues, De Conjecturis. Les Œuvres du Cardinal avaient été publiées par Lefèvre d’Etaples et imprimées par Josse Bade à Paris, en 1514, puis par Henri Petrus à Bâle en 1565. Montaigne possédait l’édition de Bâle.

18 II,6,377-379c

19 Jean-Yves Pouilloux, 2001, p.92.  

20 Cf. 875b : "Je corrigerois bien une erreur accidentale, dequoy je suis plain, ainsi que je cours inadvertemment ; mais les imperfections qui sont en moy ordinaires et constantes, ce seroit trahison de les oster ”.

21 Concernant les Saints, Montaigne pourrait ainsi faire allusion au discours de la contrition. Voir Guillaume Du Vair, Œuvres, Slatkine Reprints, Genève, 1970, De la saincte philosophie, p. 8 : “ Mais voyons come nous commencerons ceste tant belle & profitable action. Sainct Jean Chrysostome nous l’apprend, & nous en donne une instruction excellente. Il faut (dit-il) que nous nous contemplions nous-mesmes, & ayans compassion de nostre misere, nous froissions & fletrissions nostre cœur : que nous ayons la bouche toujours pleine de la confession de nos fautes, & le reste de nos actions d’une grande & singuliere humilité. ”

22 III,13,1107b 

23 III,1113c

24 III,9,989b

25 Pierre Villey écrit : “ Donc, aux yeux de Montaigne, la philosophie stoïcienne n’est que présomption, elle éblouit à fausses enseignes, surtout elle est vaine parce qu’elle ne répond pas aux besoins de l’homme. ” (Les sources et l’évolution des Essais, t. II, p. 392).

26 II,17, 632a-635c

27 I,50,302c

28 Voir Annexe III : Le socratisme de Montaigne, expression de la légitimité du discours sur soi.

29 Gustave Lanson, “ la philosophie définitive des Essais ”, in Les Essais de Montaigne, 1948, chap. VII, p. 183-185 : “ À partir du jour où il a fait cette double découverte, que Montaigne représente l’homme, et que l’homme se révèle tout entier dans le train le plus ordinaire d’une vie, la connaissance de soi et la connaissance de l’homme ne se séparent plus, tout ce qu’il confesse de lui, est document sur la nature humaine. Il contribue ainsi, plus que personne, à engager la littérature française dans la voie où l’époque classique trouvera ses œuvres les plus significatives et les plus fortes : il lui propose son objet et sa méthode, une psychologie toute d’observation, aussi affranchie qu’il est possible de la métaphysique et du dogme. ”

30 Voir par ex. Frédéric Brahami, Le travail du scepticisme, Montaigne, Bayle, Hume, Paris, PUF, 2001.

31 Voir par ex. Pierre Villey : “ En même temps, la crise sceptique précipitée par Sextus Empiricus, en donnant à Montaigne le sentiment de son originalité, l’enhardissant à exprimer ses propres jugements, et à en chercher le fondement dans les faits, spécialement dans le Moi, le fait directement connu par le moraliste. (…) Les idées de Montaigne, ses humeurs, les faits de sa vie s’y font une place de plus en plus grande. La transformation s’opère progressivement, et sans que l’auteur en ait une conscience claire. Un beau jour il s’apercevra qu’il est lui-même la matière de son livre. Il avait glissé là sans y penser ” (Les sources et l’évolution des Essais, t. 2, p. 226).

32 II,12,60a : “ Il nous faudroit quelqu’un exempt de toutes ces qualitez, afin que, sans praeoccupation de jugement, il jugeast de ces propositions comme à luy indifferentes ; et à ce conte il nous faudroit un juge qui ne fut pas. ”

33 Charron, De la sagesse, Fayard, p.153 : “ Et n’ay point veu qui les despeigne (les passions) plus naïvement et richement que le sieur du Vair en ces petits livrets moraux, dequels je me suis fort servy en ceste matiere passionnée. ”

34 Pascal, fragment 199-72, Disproportion de l’homme. “ Que l’homme contemple donc la nature entière (…). ”

35 Charron, op.cit., p. 273

36 “ Cette notion d’héritage avait d’ailleurs une telle importance aux yeux de Montaigne et de Charron, que l’un reconnut à l’autre par son testament le droit de porter ses armes ”, écrit Jean-Yves Pouilloux, dans Montaigne, l’éveil de la pensée, Champion, 1995, pp.42-43. Le critique regrette par ailleurs que ce projet d’héritage ait été conçu comme une remise en ordre. “ Cette “ mise en ordre ” de l’essai repose sur la pensée que le désordre des Essais est imputable à la maladresse, à la négligence, à l’excès de liberté (…) Les Essais sous forme de manuel ne sont plus les Essais, mais un livre de morale tiré des Essais (op. cit., p.43).

37 Pierre Charron, De la sagesse, Paris, Fayard, “ Corpus ”, p.34. Cette déclaration correspond à l’impression de la critique, voir par exemple la note précédente de Jean-Yves Pouilloux. Au XVII° siècle, Gabriel Naudé porte un jugement favorable sur la mise en ordre de la matière désordonnée des Essais : “ quod sapientiae ipsius praecepta primus quod sciam admirabili prorsus methodo, doctrina, iudicio, in artem reduxerit ”. Bibliographia politica, Venetiis, F. Baba, 1633.

38 “ Secondement pour le regard du vice, desreglement et injustice qui est en ses passions, nous pouvons à peu pres comparer l’homme à une republique, et l’estat de l’ame à un estat royal, auquel le souverain pour le gouvernement de tant de peuples a des magistrats (…). ” (op.cit., p.156 ) Sur la métaphore de l’armée, voir p.157.

39 Charron, De la sagesse, chap. XVIII, p.156.

40 Charron, op.cit., p.155

41 Charron, op.cit., p.156 : Le désordre est attribué à la “ puissance estimative et imaginative ”, “ cette puissance qui est au-dessous de l’entendement, et au-dessus des sens, et à laquelle appartient le premier jugement des choses ”.

42 Op.cit., p.158

43 Charron, De la Sagesse, Fayard pp.16-17.

44 Cette peinture correspond au chap. 2 de la première édition reconstituée (p.15).

45 Voir J.-B. Sabrié, De l’humanisme au rationalisme, Pierre Charron, 1541-1603, l’homme, l’œuvre, l’influence, Genève, Slatkine Reprints, 1970, p.108.

46 J.-B. Sabrié, ibid.

47 J.-B. Sabrié, op.cit., p.109. Selon Richard Popkin, “ les théologiens et les philosophes qu’il comptait parmi ses adversaires livrèrent une rude bataille pour empêcher la publication de l’ouvrage (De la sagesse) mais en vain : l’édition augmentée parut en 1604 et elle devait être suivie par de nombreuses réimpressions au début du XVII° siècle (R. Popkin, Histoire du scepticisme d’Erasme à Spinoza, traduite de l’anglais par Christine Hivet, Paris, Puf, 1995, p.98).

48 J.-B. Sabrié, ibid.

49 De la sagesse, op.cit., p. 52.

50 Charron, op.cit., p.275

51 Comme on le trouve encore écrit dans la première édition, op.cit., pp.227-228.

52 Charron, op.cit., p.227.

53 à propos de “ misère ”, p.253…

54 à propos de la vanité, p.229…

55 Voir Davide Taranto, “ Il posto dello scetticismo nell’architettonica della “ Sagesse ”, pp. 8-34, dans La Sagezza moderna, temi e problemi dell’opera di Pierre Charron, Atti del convegno di studi in memoria di Giampiero Stabile, Napoli, 1987. Cette hypothèse est contredite par Richard Popkin, Histoire du scepticisme d’Erasme à Spinoza, traduite de l’anglais par Christine Hivet, Paris, PUF, 1995, p.97 : “ Après la mort de Montaigne, Charron révéla la véritable étendue de son héritage en illustrant par ses écrits la splendide alliance du scepticisme et du catholicisme ” (“ After Montaigne’s death, Charron revealed the actual extent of his legacy, by showing in his writings the magnificent union of scepticism and Catholicism ”).

56 Voir François Rigolot, “ Quand Montaigne emprunte à l’Ethique à Nicomaque : la leçon des ‘allongeails’ de l’Exemplaire de Bordeaux ”, Montaigne Studies, XII, 2001.

57 Nous reprenons l’expression à Étienne Gilson, L’esprit de la philosophie médiévale, Paris, Vrin, 1944, pp. 119 et sq.

58 Saint Bernard, De consideratione, II,iii,6 ; cité par Gilson, op.cit., p.220.

59 op.cit., p.221

60 L’expérience de soi est au principe de la connaissance de soi chez Saint Bernard. “ Duae enim sunt ignorantiae sui, vel quando plus, vel quando minus de se quis aestimat, et duae sunt que hoc efficiunt, praesumptio et pusillanimitas ; duae vero horum effectuum causae, superbia et minor sui experientia. Experientia vero sui facit humiltatem, humilitas sui cognitionem. ” Brevis expositio in C.C., cap. xxii. Gilson, op. cit., p.221

61 Pétrarque, Les remèdes aux deux fortunes, livre I,1, traduction Christophe Carraud, Grenoble, Millon, 2003.

62 Voir Jaume de Puig, “ sens et limites du socratisme chrétien de Sibiuda ”, in Les sources de la pensée philosophique de Raymond Sebond, Paris, Honoré Champion, 1994, p.233-237, L’auteur fait référence à Etienne Gilson et à la catégorie de “ socratisme chrétien ”.

63 C’est d’ailleurs ce que n’ont pas manqué de faire les critiques, par ex. Hugo Friedrich, qui consacre un chapitre entier de son livre à “ l’homme humilié ” et à ses sources chrétiennes, dans Montaigne, Gallimard, 1968 (Bern, 1947, pour la première édition) chap. III, en particulier la section “ Montaigne contre la dignité de l’homme ”, pp.133 et sq. Rappelons que la plupart des références qu’utilise Montaigne sur ce point constituent des lieux communs au XVI° siècle ; on les trouve aussi bien chez des auteurs catholiques que réformés. 

64 Voir André Tournon, “ les prosopopées ironiques dans les Essais ”, pp.113-120, dans B.S.A.M., Rhétorique de Montaigne, Actes du colloque, Lestringant, F., Fumaroli, M., et Blum, C., (éd.), 1984, juil.-déc. 1985.

65 Guez de Balzac, Socrate chrétien, Balzac, Amsterdam, chez I. Pluymer, 1662. Socrate représente la juste attitude philosophique, en l’absence de la Vérité révélée avec le Christ. Guez de Balzac donne raison à l’interprétation sceptique du socratisme. Les philosophes ne pouvaient avoir que “ quelques soupçons et conjectures ” de la vérité. Car comment eussent-ils pu trouver la vérité qu’ils cherchaient, puisqu’elle n’était pas encore née ? “ Cette vérité n’est autre que Jésus Christ : Et c’est ce Jésus Christ, qui a fait cesser les doutes et les irrésolutions de l’Académie ; qui a même assuré le Pyrrhonisme. Il est venu arrêter les pensées vagues de l’esprit humain, et fixer ses raisonnements en l’air. Après plusieurs siècles d’agitation et de trouble, il est venu faire prendre terre à la Philosophie, et donner des ancres et des ports à une Mer qui n’avait ni fond ni rive. ”

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