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Une clairière dans le bush - Zoe Wicomb
par Guillaume Cingal

Exigence : Litterature

Traduit de l'anglais par Lise Brossard
Le Serpent à plumes, Paris 2000


Le premier livre de Zoe Wicomb, You Can't Get Lost in Cape Town, a mis presque dix ans à trouver les chemins de l'édition française, et c'est un vrai bonheur que ce recueil de nouvelles, qui se situe dans la lignée double de Katherine Mansfield et de Nadine Gordimer, puisse être enfin lu par un lectorat francophone.

Plus que d'un recueil de nouvelles au sens strict, il s'agit d'un collage narratif : la voix narrative demeure en partie insaisissable, et, à ce titre (mais aussi en raison du retour de certains personnages périphériques), il est possible que ces locutrices, si différentes soient-elles, soient des versions d'un même personnage. Entre autres constantes de ce personnage central et fuyant, notons l'obésité, figure physiologique récurrente de l'embarras ou du malaise existentiel au sens large, et le statut équivoque de la jeune fille métisse.

Néanmoins, il ne faut pas s'imaginer que l'écriture sombre dans le narcissisme ou l'auto-apitoiement. L'horizon est vaste, la parole foncièrement altruiste, à tel point que de nombreuses nouvelles semblent s'intéresser plus aux autres personnages qu'à la narratrice elle-même : Tamieta dans "Une clairière dans le bush", Moira dans "De la cendre sur la manche", Skitterboud dans "Un échange équitable". L'hétérogénéité des personnages implique une absence totale de manichéisme : ainsi, dans la dernière nouvelle, "Une expédition au Gifberge", la mère, si elle a ses défauts, parvient à devenir attachante au terme d'une épiphanie manquée. Notons d'ailleurs que Wicomb s'offre une belle envolée en abyme dans cette même nouvelle : la mère reproche à sa fille de publier des "histoires atroces" et d'avoir choisi la vocation d'écrivain. En dépit de cette incompréhension et des nombreuses tensions, le courant passe entre la mère, la fille et le lecteur.

Tel une suite (ou un cycle) de nouvelles, Une clairière dans le bush explore en creux l'univers d'une jeune fille, puis d'une jeune femme, qui ncest à chaque fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Ainsi, la narratrice insiste sur son propre corps et sur la perception qu'elle en a. C'est là une des figures les plus emblématiques du récit : en quoi la pudeur et la retenue du texte s'accommodent-elles d'une société déréglée et d'un corps encombrant ?

Enfin, et c'est sans doute ce qui frappe le plus à la lecture d'Une clairière dans le bush, Zoe Wicomb a le don de faire voir le paysage sud-africain dans son infinie variété (veld, montagne, rythme des saisons, milieu urbain) et de faire entendre les différentes langues de la nation arc-en-ciel, sans omettre le contexte de l'apartheid et de la discrimination sous toutes ses formes. Bien entendu, le décalage éditorial risque de perturber un peu les lecteurs français, mais gageons que, les qualités intemporelles de l'écriture de Wicomb aidant, cette oeuvre majeure saura convaincre.


Guillaume Cingal

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