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Le viol de l’imaginaire - Aminata Traore
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

Editions Hachette littératures. 2004

Africaine du Mali, où elle fut ministre de la Culture et du Tourisme, très dérangeante à ce poste où elle osa dire la corruption des dirigeants et surtout leur assujettissement aux grandes institutions financières mondiales au détriment des intérêts de leur peuple, très engagée dans son pays et au plan international pour l'avènement et la viabilité d'une nouvelle Afrique, militant pour un nouvel ordre mondial social, par exemple aux côtés d'ATTAC, ayant participé entre autres au sommet de Porto Alegre, ce n'est pas seulement les Africains qu'elle exhorte à se remettre aux commandes de leur propre vie, en faisant la preuve qu'au niveau de leur imaginaire, de leur structure psychique, de leur cerveau, encore plus qu'au niveau de leur terre, de leur pays, la colonisation c'est vraiment fini même dans son prolongement néolibéral!

Il est aussi le nôtre à Paris et en Occident, c'est l'admirable et si intelligente leçon qu'elle nous donne, son combat vraiment immunitaire pour résister au viol de l'imaginaire africain, à une colonisation devenue mentale, où les pays riches imposent leurs modes de vie à des pays africains censés ne pas avoir de culture, de traditions, de valeurs à eux, ou bien jugées inférieures, méprisables, impuissantes, où ces pays les imposent par le biais d'institutions financières mondiales telles le FMI, la Banque mondiale, et par l'OMC, comme si eux savaient et les pauvres Africains non, comme si l'unique façon de savoir c'était savoir faire de l'argent, et l'unique façon de vivre c'était consommer tous pareil, et alors les pauvres Africains doivent recevoir passivement et docilement les leçons d'un Occident lui-même asservi, colonisé, par la logique de marché, par le système néolibéral, un Occident dont les membres ne seraient plus que de gentils consommateurs en état d'addiction, ne rêvant que de l'état de nantis, c'est-à-dire d'être à jamais une sorte de fœtus avec les choses dont s'imbiber mis à portée de mains par l'argent!

Aminata Traoré nous enseigne que sur notre planète, en danger si une organisation immunitaire ne se met pas d'urgence en place, la solidarité humaine doit être l'affaire de chacun car tout se tient, lorsqu'une personne au Mali a réussi cette véritable révolution personnelle en se mettant aux commandes de sa vie donc en ayant une autre image de soi et des autres, un souci de soi et des autres, une responsabilité pour soi et pour les autres, cela a une conséquence incalculable pour une personne à Paris, et vice-versa! Par cette révolution incroyable, qui consiste tout simplement à se dire, mon cerveau n'est pas colonisable, pas violable, par des normes et des diktats que d'autres m'imposent, j'exige que les autres me reconnaissent ma capacité psychique à me débrouiller avec mon propre environnement africain enrichi de tout un passé, une culture, des valeurs, qui n'est donc pas cette pauvreté et cette infériorité dont vous nous renvoyez l'image humiliante, donc par cette révolution incroyable qui ose affirmer que mon cerveau est à moi, n'est pas plagiable, je peux dire "je" et, en même temps, "nous", un nous planétaire, car si je me reconnais à moi cette capacité, je dois aussi la reconnaître à l'autre où qu'il soit sur la planète! "Je" suis responsable de moi et de l'autre! Aminata Traoré, très souvent, invoque la figure de la mère, mère africaine, à travers sa mère, et des mères qui ont perdu leurs enfants. Elle se place du point de vue d'une mère qui a cette sagesse incroyable d'admettre que la seule solution pour des enfants viables sur terre, c'est de leur reconnaître une capacité psychique, laquelle se développe dans une interactivité avec un environnement bien réel, riche mais aussi à ne pas détruire, donc une capacité psychique qui rime avec responsabilité. Une position écologique très adulte, très responsable.

Afrique saignée, depuis l'esclavage et la traite des Noirs, en passant par la colonisation qui fut la solution inventée pour pallier au manque à gagner qui résulta de la fin de l'esclavage, jusqu'au système néolibéral mondial et sa logique de marché qui utilise l'Afrique comme réserve de matières premières pour les pays riches, comme source de capitaux par l'engrenage du remboursement de la dette qui asservit les Africains à une logique de chantage selon laquelle le pays pauvre n'est aidé que s'il rembourse et que s'il adopte la logique des dominants centrée sur l'impératif de faire de l'argent (par exemple, pour son agriculture, un pays africain va cultiver un produit exportable, enrichissant des multinationales et quelques privilégiés africains, au détriment de produits locaux dont aurait besoin la population, ceci à un prix imposé par les multinationales, qui décident des bas salaires, de tout, si vous voulez que nous vous aidions vous devez tout accepter, nous savons pour vous, et surtout nous savons comment faire des choses compétitives, peu importe la paupérisation de votre population exsangue, chômeurs, morts, pourvu que notre machine à faire de l'argent mettant les choses à portée de mains pour une poignée d'Occidentaux nantis soit, elle, parfaitement vivante, c'est la seule chose qui compte!), et comme réserve de consommateurs pour écouler les produits uniformisés du marché mondial!

Cette dette extérieure qu'aurait à rembourser l'Afrique, c'est la principale chose qu'Aminata Traoré demande d'annuler, dans sa résistance immunitaire au FMI et à la Banque mondiale! Elle a tout à fait raison! Car, démontre-t-elle si brillamment, l'Afrique a déjà tant donné, au cours des siècles, depuis l'esclavage, que franchement elle ne doit plus rien! Sa dette, si vraiment elle a existé, elle l'a remboursée depuis longtemps! Aminata Traoré nous invite à réfléchir au rôle de la traite et de l'esclavage, puis de la colonisation, sur l'origine de la richesse actuelle de l'Occident! Elle nous rafraîchit la mémoire, et nous prouve combien l'Afrique n'a aucune dette! Savez-vous, Occidentaux, quelles fortunes se sont faites au temps de la traite atlantique? Et beaucoup de questions de ce genre…

Dans sa résistance à ce qui saigne l'Afrique, en faisant avorter tant d'initiatives locales qui pourraient être si viables, résistance aux organisations financières mondiales et à l'OMC, Aminata Traoré met, entre les lignes, en relief une instance toute puissante et monstrueuse, l'argent, comme la seule chose vivante, à entretenir, à nourrir, à développer! Toute l'organisation mondiale ne devrait servir qu'à une chose, avant tout, faire de l'argent! Car l'argent, tout le monde doit croire, nous les Occidentaux qui sommes déjà bien formatés pour obéir, bien mis en état d'addiction, et vous les Africains qui devez bien gentiment apprendre comme nous à vous réduire à ce même état d'addiction qu'on appelle consommer ce qui est mis par le marché à portée de mains, que c'est ce qui sert à tisser autour de chaque habitant de la planète une sorte de matrice nourricière omnipotente et omniscience exactement comme si nous étions tous redevenus des fœtus bien entourés d'un placenta sachant pour nous, et nous maîtrisant bien! Alors, nous habitants de la planète, Occidentaux mais aussi, à apprendre à faire comme nous, les Africains et autres habitants du tiers et du quart monde, nous devons être la matrice travailleuse du fœtus argent, parce que celui-ci en retour nous met à portée de mains des produits de consommation par lesquels nous matérialisons notre rêve de redevenir nous-mêmes des fœtus! Parce qu'il n'y aurait plus qu'un seul et même rêve, à faire rentrer de force dans tous les cerveaux, quitte à violer tous les imaginaires, à ignorer par une logique invasive folle la capacité psychique des humains à se mettre aux commandes de leur vie: redevenir fœtus! Nous n'aurions pas d'autre idée! Et l'argent, ce serait le paradigme du fœtus consommateur que nous rêverions tous de redevenir, rêve de l'Occident que l'Afrique elle-même devrait aussi adopter en se laissant coloniser par ce même fœtus matriciel! Car le fœtus argent, c'est un fœtus de matrice, c'est cette matrice se faisant fœtus. Comme s'il y avait quelque part un très fou et très malin, très invasif, fantasme passant à l'acte sans aucun barrage immunitaire pour l'arrêter, décrétant: moi je peux vous remettre dedans ce lieu idyllique comme si vous n'étiez pas nés, mais alors vous avez envers moi une dette impayable, celle de me maintenir, moi, dans un état fœtal avec tout mis à portée de mes mains! La colonisation, et sa continuation maligne, ce serait ça: ne jamais admettre être né! Or, être né c'est d'abord admettre la mort de cette matrice, et qu'on a dit adieu à notre double fœtal encore censé pouvoir vivre pour nous par procuration!

En ce sens, l'Afrique est en avance sur nous, puisque son appauvrissement apparent s'impose comme une matrice en décomposition, saignante, image très forte qui accompagne le verbe naître, et fait ouvrir les yeux sur un monde très différent, sur un environnement dont il y a à apprendre qu'il n'est en rien complice d'une logique invasive de grossesse! En ce sens, ce que nous devons à l'écrivain Aminata Traoré est sans prix!

Alice Granger Guitard

5 juillet 2004

 

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