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L’étoile des amants - Philippe Sollers
par Alice Granger

Alice GRANGER-GUITARD

Editions Gallimard.

L'île du sud-ouest, sur laquelle le narrateur est venu avec Maud, une étudiante exceptionnelle, est le jardin, est le paradis terrestre, d'où lui, c'est sûr, n'a jamais chuté, et d'où elle apprend qu'elle ne chute pas, pas encore en tout cas. Ceci, de manière si nouvelle, inaugure un autre statut des femmes, non pas par rapport à la chute et à la reproduction, non pas par rapport au fait que les femmes, à la suite de Eve, auraient à parler les premières, avant Adam, en continuité avec la mère. Frère et sœur en paradis terrestre: c'est ceci qu'il nous semble que le narrateur enseigne à l'étudiante Maud! Frère et sœur en sensorialité et intellect! Et ce qui aliène, de manière transmissible, les filles à leurs mères et à la mère, se trouve dans ce roman, on dirait, raconté entre les lignes comme quelque chose dont il est possible d'être quitte, d'où prendre la tangente. Toute une série de femmes prennent la tangente par rapport à leur univers habituel, comme de rien, quittes, sœurs de ce frère en paradis terrestre, d'occident en orient!

A la fin du roman, le narrateur est à Venise, qui fait écho à l'île du sud-ouest, Venise où il se sent tellement chez lui, intimement. Aux portes de l'Orient.

Ile du sud-ouest, mais aussi un bateau qui a pour nom l'étoile des amants, qui vogue sur l'océan et les amants à l'intérieur. Le paradis terrestre, et un trésor de sensations, et de choses nommables: les oiseaux aux noms variés et infinis, les fleurs, le ciel, le soleil et la lune, les étoiles, les galaxies, les couleurs, la lumière, l'arc-en-ciel, les parfums, l'orage, les vagues de l'océan, le sommeil, le silence, la respiration de Maud. Donc, du temps pour avoir la sensation, cette richesse de sensations, de tout cela, et pour nommer.

Deux réfractaires à la société des spectacles, à la vie ordinaire et reproductive, l'un qui s'arrange depuis toujours pour prendre la tangente, l'autre, jeune étudiante, qui peut encore, et pour toujours ou pas, ne pas se sentir concernée. Un intervalle, entre les deux amants, par la différence d'âge, qui fait que rien d'autre que cette vie de sensations et d'amour, au paradis terrestre dans cette île océanique, n'est possible entre eux. Le temps pour ça, dans cette nature, dans ce jardin. Maud est étudiante surtout par rapport à ça. Elle est enseignée par celui qui ne chute pas du paradis, qui se fait entendre d'une manière si convaincante, qui parle le premier et jamais sous la dictée d'une Eve au serpent, c'est un véritable traité des sensations qu'il lui donne à lire et à vivre, et qu'elle écrit, il semble, à son tour.

Il lui enseigne, cet amant, né sous une bonne étoile, ayant une foi indéfectible, à savoir se faire entendre à partir de son propre jardin, son paradis terrestre singulier, fait d'un trésor de sensations qu'il faut apprendre à reconnaître, à accueillir, au sein d'une nature peut-être pas si naturelle que ça, mais la nature d'un poète, qui prend le temps de la nommer à partir de son goût, en mémoire, des plaisirs subtils, infinis. Entendre le chant des oiseaux, noter les couleurs, humer les parfums, admirer les fleurs, s'enivrer de vin, et de rires, et de douceur, n'est pas si facile que ça! Prendre ce temps-là, surtout dans notre société, c'est assez fou.

Ce qui est étonnant, dans ce roman, c'est que l'écrivain, et Maud, mais aussi chacune des femmes qui y sont évoquées, par exemple la poissonnière, la Hollandaise, l'Egyptienne, etc… , a on pourrait dire matériellement ce paradis terrestre. Ils en ont les moyens, d'une manière ou d'une autre. Ils ont fait attention à s'en donner les moyens, et les moyens d'en être quittes;

Brièvement, exceptionnellement, ou bien éternellement, chacun d'eux a la sensation de pouvoir en jouir, que c'est là, c'est ça, c'est le temps de ça. Sensation d'un paradis terrestre tactilement vérifiable, sensuellement, corporellement, ceci peut-être avec l'incroyable conscience d'être, par ailleurs, quitte, de pouvoir cueillir les fruits. Je suis quitte, je m'acquitte, donc je peux me permettre, librement, cette escapade au paradis terrestre, vivre comme tout le monde dans la société du spectacle et des marchés financiers, avec mari, enfants, boulot, voilà je m'acquitte, je me quitte, je n'ai jamais chuté du paradis terrestre, à la suite de celui qui y parle le premier, qui se fait entendre, je m'entends, en silence et solitude, depuis là. Peut-on parler d'initiation, entre l'écrivain et l'étudiante Maud? Plutôt, elle apprend d'où cela s'initie. Du paradis. Et d'autres femmes, aussi.

Bien entendu, Philippe Sollers nous écrit du paradis terrestre un beau et singulier roman, mais comment il y est resté, lui, exceptionnellement, ce n'est pas si facile que ça de le comprendre car, silence.

Alice Granger-Guitard

22 septembre 2002

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