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La Divine Comédie - Philippe Sollers Entretiens avec Benoît Chantre
par Alice Granger

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Editions Desclée de Brouwer.


En lisant ce beau livre d'entretiens sur le poème sacré de Dante, nous entendons Philippe Sollers affirmer encore et toujours sa singularité, à l'infini, alors même que cette singularité pourrait être en danger dans une société où la subjectivité est absolutisée. Il y a, tout au long de ces entretiens, une position défensive de la part de Sollers, un combat à travers lequel la justice ne peut se faire que si c'est en même temps une vengeance, et cette vengeance s'exerce contre ceux qui ont fait disparaître les Templiers. Les Templiers protégeaient les pélerins de la terre sainte, et les finançaient (il s'agit donc déjà d'un voyage). Comme par hasard, un Philippe, Philippe le Bel, convoitaient les richesses de ces Templiers, et amorça leur arrestation, leur torture et leur fin, tandis qu'un pape, Clément V, protesta. Philippe le Bel fait mourir le Templier, c'est une sorte de parricide, et un autre Philippe, Philippe Sollers, se met du côté du pape Jean-Paul II et d'une catholicité nouvelle, tandis que, au début de ses entretiens avec Benoît Chantre, il s'affirme depuis toujours tourné vers l'océan (mot masculin pour dire la mer après la défaite du père-Templier ?) très loin de cette " forêt obscure " dans laquelle Dante se retrouve au début de son poème sacré. Philippe tue le Templier et se tourne vers l'océan, quelque chose qui pourrait évoquer l'inceste, mais en même temps Philippe en appelle à ce Pape polonais qui n'eut pas un mince rôle dans la fin de la guerre froide, ce Pape allant se recueillir sur le mur des Lamentations à Jérusalem, et Philippe s'offre en holocauste à Dieu comme le poète Dante au Paradis dans le feu de l'ardent désir. La vengeance est la même chose que la justice en matière de singularité lorsqu'un voyage ignitiatique conduit jusqu'à ce désir ardent intérieur, jusqu'à ce triomphe qu'on pourrait dire christique, donné au lecteur en exemple, donc en nourriture.
Benoît Chantre se propose de faire sortir Sollers de l'alternative indemne/ruine, rédemption/damnation, France moisie/autre France, insistant avec Péguy, Simone Weil, Heidegger, sur la patrie voire le peuple. Un autre mot s'impose dans le Paradis de Dante, le " lecteur ", en nombre innombrable, hors calcul et hors espace géométrique, qui ne fait plus peuple bien sûr, mais les voici affamés et prêts à venir se servir à la table dont parle Dante, prêts à se nourrir de l'expérience transhumaine du poète, prêts à s'incorporer eucharistiquement le corps si vivant du Christ en triomphe. Corps qui s'incarne par le fait même qu'il fait envie, et que des lecteurs aient envie de s'en nourrir. Tout l'amour dans un volume.
Lire La Divine Comédie ne peut se faire que de manière très personnelle, à l'intérieur d'un combat engagé pour que la singularité en sorte indemne, et comme si personne ne l'avait vraiment lue avant soi.
En tenant compte que Philippe a tué le Templier, nous entendons bien que le malfaisant, le damné, est un passage indispensable pour entendre un désir tendu vers un état originaire. Sorte de parricide pour mesurer la puissance du désir originaire qui est à l'intérieur de Philippe, désir qui se manifeste par l'envie d'avoir les richesses du Templier. Lucifer tombe du ciel parce qu'il est trop vert, il croit qu'il suffit de s'approprier les richesses du Templier pour réaliser son désir d'un état originaire. Le voici en enfer. Pour connaître la grâce, il faut connaître la ruine.
L'enfer sert à prendre la mesure du mal, c'est-à-dire de l'erreur. En ce sens, il est, comme le dit Schelling, le spirituel le plus pur. L'enfer, ce n'est pas du tout les autres, comme on le croit trop de nos jours. L'enfer vient du malfaisant en soi, qui a cru que le désir qu'il avait en lui-même pouvait coïncider exactement avec les richesses qu'il voyait à l'extérieur de lui-même, les richesses du Templier, le Temple maternel.
Or, par la voix de Virgile, la Dame du ciel, Béatrice (bea, trice), fait descendre l'amour jusqu'au poète entrant en enfer. Cette Dame a l'intellect d'amour.
Comment cette Dame a-t-elle l'intellect d'amour ? En donnant ce qu'elle n'a pas. En combinant la poésie biblique et la poésie des troubadours. Alors que le maternisme ambiant dans notre société s'imagine que ce qu'on trouve à portée de mains à l'extérieur, comme donné de manière oblative par une mère parfaite, correspond exactement au désir intérieur, précipitant dans la subjectivité absolutisée dont parle Sollers, voici que la Dame du ciel affirme que non, le désir intérieur va très vite s'apercevoir que cela ne correspond pas, que ces richesses extérieures sont de l'abject, que reste un écart incomblable entre le désir et ce qui est supposé l'assouvir. Donc, la Dame qui a l'intellect d'amour se situe d'emblée séparée de ce qui va très vite s'avérer abject, ne correspondant pas du tout, comme la Dame de l'amour courtois. L'enfer dantesque, et l'enfer de Philippe Sollers, ainsi que l'enfer de Rimbaud, de Baudelaire, de Bataille, c'est celui de l'abjectivité et non pas celui de la subjectivité. Sollers le dit à sa façon en répétant qu'il est tourné vers l'océan et non pas égaré dans la forêt obscure de la subjectivité, prisonnier de la reine de la nuit.
La poésie biblique sur laquelle insiste Philippe Sollers, c'est d'abord Eve tendant la pomme, qui est la richesse du Templier. Alors, Philippe peut comme le serpent Ouroboros se lover tel le fœtus dans le liquide amniotique originaire, dans les vagues de la subjectivité. Le sexe est cet accrochage à la subjectivité. Mais aussi sa séparation. Sexe comme sexion. Comme sortie hors de l'enfer en s'agrippant aux poils du sexe de Lucifer. En enfer, il ne passe, comme Rimbaud, qu'une saison. Le fruit de l'arbre de la connaissance du mal est aussi celui de la connaissance du bien, qui est la sortie. Sortie qui s'avère possible parce que la subjectivité est en réalité une abjectivité. L'arbre de la connaissance du bien et du mal est un premier aspect de l'arbre de la vie enraciné dans le ciel. Le poète, au bas de la montagne du purgatoire, revoit le ciel, et tout un univers poétique s'offre à lui comme autre chose que les richesses infernales et gelantes du Templier. Sons, couleurs, voix. Et le désir qui grandit, le corps qui fait de l'ombre.
Au haut de la montagne du purgatoire, le feu du désir est maximun. C'est le buisson ardent dans lequel Dieu parle à Moïse, dans lequel la puissance du père se fait entendre dans toute son ardeur. Le père est celui qui laisse intact et singulier ce désir, alors même que comme le doux père Virgile, père semblant maternisé comme ceux d'aujourd'hui, il a joué à être tué par le fils dans l'histoire de la fin des Templiers. La Transfiguration du Christ entre Moïse et Elie, au début du Paradis, est très intéressante. Le Christ triomphe dans l'incarnation du désir dans son corps parce qu'il se trouve entre Moïse et son buisson ardent (le désir retrouvé intact et puissant sans rien à portée de mains pour le réduire par le consumérisme) et Elie et le silence fracassant de Dieu lorsqu'il est sorti de la caverne. Cela veut dire que le Christ-poète, s'il veut garder intact et puissant le désir qui est en lui, doit se proposer aux lecteurs, se proposer à l'incorporation symbolique. Par rapport à cela, il s'agit de la Pietà de Michel-Ange, la Vierge qui a sur ses genoux le corps inanimé du Christ tombé de la croix. Le corps du Christ ne peut re-susciter l'envie de se nourrir de lui, envie eucharistique que chaque écrivain rêve sans doute de susciter chez le lecteur, que si ce lecteur existe par son désir de sortir de l'abjectivité. L'esprit, c'est l'amour qui rend possible pour un nombre infini de personnes, la sauvegarde d'une vérité intérieure. Mais dans un combat. Et aussi par ce banquet dans lequel quelqu'un, en triomphe corporellement et par la parole, est nourriture pour d'autres, à l'intérieur d'une mêmeté de désir. Un désir mélodieux, musical, séraphique.
Apparemment, Philippe qui tue le Templier pour avoir ses richesses, pour se lover dans la subjectivité maternelle, est le fils de sa mère. Mais, en prenant la mesure de l'abjectivité, par une traversée transhumaine de sa contradiction, c'est, au paradis terrestre, plutôt la puissance du père qu'il entend à travers la puissance du désir qui l'habite lui-même qui fait que qui voit le père le voit aussi. Point immobile et ardent de son désir, que fixe Béatrice, Dame que son intelligence de la métaphore incarnée cible de l'abjection la fait ne pas coïncider avec cette métaphore, elle-même donc ramenée à ce premier mobile, ce désir originaire qui l'habite aussi.
Marie, vierge mère, et fille de son fils. La révolution. Mais au terme de la traversée transhumaine du poète, fils qui, parce qu'il est sorti de l'abjectivité après l'avoir entièrement vécue comme une saison en enfer, est alors à même d'entendre pour lui-même la puissance du père (Moïse et le buisson ardent) ainsi que son silence avec Elie, puissance qui ne peut se garder intacte et ardente que par l'esprit, par l'amour incarné qui suscite l'imitation au sein de l'innombrable, chez les lecteurs aussi, l'envie d'en prendre de la graine.Marie, vierge mère, par ce temps très long laissé au fils pour sa traversée transhumaine, pour qu'il transhumane, comme si son désir à elle était absolument silencieux. Puis fille de son fils seulement lorsque celui-ci a retrouvé en lui-même l'ardent désir, l'amour qui met tout en mouvement en même temps que c'est un point fixe. Marie retrouve en elle ce désir originaire, elle le retrouve pour elle-même, parce que le fils l'a retrouvé de telle manière que cela le tourne vers tous ceux, innombrables, chez qui, dans le futur, il va réveiller le même désir par son exemple éclatant. Marie devient fille de son fils en pouvant aussi prendre de la graine de lui. Et en pouvant aussi donner de la graine en s'enfuturant. Alors que Béatrice se situe dans une distance par rapport à la métaphore incarnée qui rend possible la traversée de l'abjectivité infernale, Béatrice qui est une sorte de Eve dédoublée, une Eve se différenciant d'elle-même proposant la pomme abjectale, Marie se situe par rapport à l'enfuturisation, par rapport au fruit, à la graine qu'est la figure christique (ou le poète vraiment lu donc apportant la parole à la parole) pour les gens du futur.
Les néologismes de Dante soulignés par Sollers et Benoît Chantre sont très important. S'enciéler. S'envériter. S'enventrer. S'enfuturiser.Le désir reste le même. Immobile. Mais sa réalisation ardente, son incarnation, son corps glorieux, ne s'accomplit qu'en même temps qu'il suscite le même désir, par voie d'envie, chez les gens du futur. C'est donc un désir qui n'est plus du tout prisonnier de la subjectivité, du mental ou du psychique, mais se déploie à travers l'effet que fait quelqu'un en gloire par tout son corps et sa parole, par tout son corps parlé et écrit, sur les habitants surgissant du futur qui seront amenés à faire ainsi la même traversée transhumaine. La même ignitiation au feu du désir originaire des fidèles d'amour.
Donc,des entretiens qui visent à la sauvegarde de ces droits transhumains.

Alice Granger 

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