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Bernis le cardinal des plaisirs - Jean-Maire Rouart
par Alice Granger

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Editions Gallimard.


Jean-Marie Rouart n'a-t-il pas trouvé une voie d'excellence pour évoquer son propre cas en choisissant le personnage de sa biographie? L'élection à l'Académie française ne semble pas la seule chose qui fasse lien entre l'écrivain d'aujourd'hui et le cardinal des plaisirs.
Etre écrivain n'est-ce pas réussir à dire quelque chose de très personnel en restituant quelque chose de très personnel de la vie d'un autre personnage qui se présente au seuil du livre comme un nouvel ami?
Quelqu'un est important au début du livre, dont le message arrive à la fin du livre: le père de Bernis. Père ruiné au début, et Bernis ruiné à la fin. Image finale: celle de Bernis du haut de l'échec. Haut parce qu'ayant réussi à prendre la place du père, de manière œdipienne? Et le père lui disant à travers l'échec final, voilà, ce que tu m'enviais c'est ça, cet ennui, cette langueur, bref cet échec?
La fin du livre évoque ce roi, Louis XV, qui ne s'est pas vraiment conduit en roi, puisqu'il a laissé une femme, la marquise de Pompadour (qui représente l'irruption de la bourgeoisie et d'un certain art de vivre dans une aristocratie décadente), exercer le pouvoir. Un père qui ne s'est pas conduit en père, qui a laissé son fils s'en remettre au pouvoir des femmes, et à cette intelligence bourgeoise d'un art de vivre centré sur le plaisir. Un père ruiné (comme aussi le roi apathique, rongé par l'ennui, se laissant engourdir par sa liaison bourgeoise avec la marquise de Pompadour), donc on pourrait dire un père ruiné intérieurement par sa préférence pour une vie indolente agréablement rajeunie par sa version bourgeoise qui fait irruption au XVIIIe siècle, qui ne fait rien pour son fils. De même que le cardinal de Fleury, premier ministre de Louis XV, ne fait rien pour le jeune Bernis. A travers ce cardinal de Fleury, nous soupçonnons que malgré les apparences la figure du père est forte, elle donne la direction, celle d'un pouvoir qui, semblant passer par les femmes, aboutit à ce que le père passe le message au fils en ce qui concerne un idéal de vie immobile comme l'inceste que l'irruption bourgeoise dans le XVIIIe siècle a fait représenter par des images fastueuses.
Le roi lui-même est sous la coupe de son premier ministre le cardinal de Fleury, comme le fils se laissant guider par le père. Le roi lui-même a attendu que son premier ministre meure, comme Bernis qui a rencontré en ce cardinal une figure du père qui ne le laisse pas passer, qui ne se laisse pas tuer. Le père a quelque chose à lui dire, et ce qu'il a à lui dire exige un passage par les femmes, par les salons, par le plaisir donné par un art de vivre dont le déploiement doit beaucoup au coup de jeunesse donné par la bourgeoisie.
Le roi enchaîné par sa vie bourgeoise avec la marquise de Pompadour, Bernis favori de la favorite, Bernis accueilli dans ces salons tenus par des femmes et dans lesquelles s'est jouée son élection à vingt-neuf ans à l'Académie française (inscription de l'emprise de la mère, qui était femme d'esprit et de lettres).
Abandonnés aux femmes, aussi bien le roi que Bernis.
Une époque où la reine accueille bien la marquise de Pompadour, et où les maris, en France mais aussi à Venise et à Rome, ne voient aucun inconvénient à ce que leurs femmes aient des amants, et vice-versa. Le cocufiage qui promeut les plaisirs semble représenter l'abandon des fils au monde des femmes par les pères, ceci pour que le message passe, qui est révolutionnaire comme la monarchie mise à mal, comme l'ennui qui fait des ravages par la monotonie même des plaisirs.
Par les femmes (et leurs salons), puis par madame de Pompadour, Bernis monte vers une certaine gloire (Académicien à vingt-neuf ans, nomination ecclésiastique, ambassadeur à Venise, splendide abbaye, cardinal, ministre des Affaires Etrangères, ambassadeur à Rome), mais curieusement il y a toujours des temps d'attente qui privilégient pour lui un univers de plaisirs (les femmes des salons, la religieuse M.M. à Venise avec Casanova, l'Infante fille de Louis XV, la princesse Santa-Croce à Rome, le dernier sourire qui est celui de la duchesse de Polignac) plus que celui du pouvoir.
Cette remarque dans les dernières pages de cette biographie sur un roi qui ne s'est pas comporté en roi, qui n'est pas arrivé à l'ingratitude nécessaire vis-à-vis de la marquise de Pompadour et surtout vis-à-vis de son idéal de vie douillet, sonne de manière si vive, si actuelle, dans notre société où la fonction paternelle semble avoir disparu. Mais, si le message est entendu, le père est-il vraiment si absent, ou bien sa ruine même n'est-elle pas sa force ?
Au fils qui rêve d'être le petit monarque dans sa cour fastueuse magnifiant un univers maternel renouvelé par la montée d'un désir de la bourgeoisie d'être comme les aristocrates au moment où ces aristocrates ont besoin des moyens financiers des bourgeois, le père répond par une sorte de geste d'abandon. Il l'abandonne au pouvoir des femmes, pour mieux l'amener à s'en sevrer. La montée de l'anticléricalisme avec la Révolution française, qui ruine le cardinal Bernis, ne correspond-elle pas à une prise de conscience du caractère contradictoire de ce désir d'être le monarque (ambassadeur à Rome, Bernis est un peu le roi de Rome)? Le peuple révolutionnaire qui fait sien le désir d'un état privilégié d'aristocrate qu'il prend de force ne vient-il pas faire écho au désir d'en être séparé, d'en être sevré, qui habite peu à peu celui qui en est gavé ?La marquise de Pompadour, qui apparaît comme une femme qui jamais ne reconnaît son erreur, et qui laisse monter de plus en plus la haine (et l'envie) du peuple, n'est-elle pas aussi l'instance qui fait écho au désir d'être dépossédé qui naît chez tous ceux, dont Bernis, qui perçoivent bien que la décadence est inhérente à ce trop de plaisirs, que l'ennui, la langueur, l'engourdissement les saisissent parce que tout leur réussit. Il s'agit de couper le cordon ombilical. En laissant le peuple désirer violemment ce que les aristocrates ne désirent intimement plus. Le coup de couteau de Damien apparaît comme celui qui coupe le cordon ombilical.

Alice Granger 

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