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Cadavre mon bel amant - Ousmane Aledji
par Alice Granger

Editions NDZE.

 

Cette pièce de théâtre, écrite par l'Africain né au Bénin Ousmane Aledji, met apparemment en scène un drame de l'Afrique, sur fond de tueries, de viols, de cadavres, de dictateurs et leurs agents secrets, de corruptions inexorables, et toute l'ironie contre l'aide humanitaire que les pays riches envoient.

Mais cette pièce de théâtre peut aussi s'entendre comme la mise en scène d'un drame beaucoup plus étendu, interpellant chacun sur la planète. Cela se passe en Afrique, cela se raconte la nuit, dans une gare, entre un prêtre, un homme, et une jeune fille, mais cela se passe aussi ici, chaque ici où une jeune fille, jouant de la flûte, s'aperçoit que son bel amant est un cadavre.

Il y a une façon très intelligente d'entendre le drame de l'Afrique d'un tout autre angle, si bien qu'on peut aussi l'entendre comme un drame humain actuel, et c'est ça le tour de génie de Ousmane Aledji.

Cela commence par cette attente d'une autre sorte de voyage, dans la nuit qui n'appartient à personne. L'homme se tient en un lieu qui n'appartient à personne, en position de retrait et de désir, là où rien, rien d'humanitaire ni rien de toutes les marchandises, ne peut venir y répondre. C'est pourquoi l'homme dit qu'il ne veut pas connaître des hommes, que c'est con, bref il commence par manifester une non-appartenance, une solitude, un retrait. Il est dans une gare d'Afrique, comme il pourrait être dans n'importe quelle autre gare symbole du départ. Mais aussi gare comme symbole du voyage de la lucidité. En savoir long, faire ce voyage jusqu'à la vérité, cela change tout, et le cadavre a réussi à se faire entendre comme cadavre. Le personnage principal de la pièce est un cadavre qui désire se faire reconnaître comme tel. La jeune fille n'est pas arrivée à mourir, il faut qu'elle soit vivante, pour constater le cadavre, il faut qu'elle soit vivante pour que la vérité se dise. Il ne s'agit pas du tout d'espérer un voyage où il n'y aurait plus de cadavre, car c'est impossible. Le cadavre est là, déjà dans l'homme, déjà dans le prêtre, et il doit se dire comme vérité, non seulement celle de l'Afrique, mais peut-être bien aussi comme celle de la planète.

Il pourrait attendre, l'homme, quelque chose d'autre. L'ouverture. Pourtant, non, il attend celle avec laquelle il va partir. Car le départ, c'est le départ en cadavre. Et il y a tout un enchaînement logique qui indique que ce départ cadavre a pour cause quelque chose qui est arrivé à la mère, aux femmes, à la jeune fille, qui se dit à travers viol, assassinat, nana pharmacie bien dans sa chair avec de gros seins dormants. Ce n'est pas seulement l'Afrique, c'est la jeune fille, et ainsi le drame de l'Afrique, avec ses politiques corrompus et l'aide humanitaire et pharmaceutique pourrie qui lui est parachutée dessus, s'entend depuis un drame plus général, et qui s'amorce depuis une jeune fille violée, une mère violée et puis retournement en nana pharmacie.

D'une certaine façon, c'est partout comme cela, même si en Afrique le massacre est à ciel ouvert, même si en Afrique le système de contrôle des humains devenus des animaux de laboratoire soumis pour leur bien aux expériences dont au final la rentabilité est le seul critère est visible à travers des agents-doubles et leur radiocassette soupçonnables dans chaque personne en survie.

La pièce va formidablement loin. C'est en l'aimant que la jeune fille transforme l'homme en cadavre, l'homme qui l'attend la nuit à la gare pour qu'ils fassent ensemble le voyage du dévoilement, le voyage de la vérité.

La jeune fille arrache les couilles de ses violeurs, et les tue, c'est-à-dire que dans ce processus infernal, ils ne sont plus des hommes, puisqu'ils n'ont plus de couilles, puisqu'ils ne font plus qu'obéir, que survivre, que ne plus voir qu'à travers l'aide humanitaire, les réseaux de l'Occident, le règne de la marchandise et des profits comme si tout cela s'était muté en mère effrayante ordonnant de consommer tout ça, et tout ça, et tout ça, souffrez de la faim de tout ça, corrompez-vous au nom de la faim de tout ça dont vous souffrez, et cette mère est affreuse, cette nana pharmacie, cette fille violée encore plus par cette ère planétarisée de la marchandise et du profit qui ne laisse pas le choix d'avoir faim d'autre chose et besoin d'autre chose que par des chefs militaires qui n'en finissent pas de rire, puis de mourir.

Bien sûr, sa mère, à l'homme, c'est autre chose que cette mère violée et qui n'a même pas de tombe. Détail très important, l'absence de tombe. Elle ne peut pas avoir de tombe, cette mère, puisqu'elle est usurpée dans sa disparition, dans la séparation que chaque humain vit d'avec elle, par le fait que de partout s'impose la mère humanitaire, la mère technique, la mère marchandise, la mère science, la mère qui suscite l'envie et la jalousie, la corruption.

C'est la tombe de sa mère qui est enlevée à l'homme, c'est l'inscription symbolique de sa naissance, d'une séparation irrémédiable. L'état de dépendance par rapport à tout, dans cette Afrique vulnérable et censée la pauvre n'avoir pas la capacité de vivre, n'avoir pas de ressources en elle, de réserves, une Afrique censée avoir faim de tout ce qu'il y a dont avoir faim et qui se fait miroiter par les réseaux, cet état de dépendance c'est comme être forcé de renier sa mère parce qu'une autre mère, planétaire, est beaucoup mieux, sait beaucoup mieux, et c'est comme retourner, totalement capturé, totalement mort en tant qu'être singulier, dans ce qui s'occupe de soi où qu'on soit sur la planète, et pas seulement en Afrique. Le drame, version hard en Afrique, est en version soft partout ailleurs. Nombreux sont les noms des assassins de la mère de l'homme. Seule la flûte témoigne d'une masse énorme de gens bâillonnés, réduits à ne faire que côtoyer la vie, témoigne du sang des rêves avortés.

Incroyable donc que, dans cette pièce de théâtre qui semble jouer un drame de l'Afrique, l'homme africain qui joue celui dont la vérité est de n'être plus qu'un cadavre, cet homme, en entendant une voix de femme, dise qu'il faut la retrouver. Comme le prêtre lui demande ce qu'il lui veut, à cette femme, l'homme répond qu'il veut connaître le visage de son assassin. Tout de suite après, il est question de cette pute présidentielle, cette nana pharmacie. Incroyable comment il réussit à dévoiler d'où ça part, le drame, la terrible mutation responsable des massacres, massacres réels ou virtuels. D'une femme. N'importe quelle "une" femme. "Une" femme, violée, arracheuse de couilles, tueuse, et enfin nana pharmacie. "Une" femme, comme quelque chose à convoiter, à prendre, sur la planète à sa suite il n'y a plus que des choses à convoiter, à prendre, dont avoir faim, faim, en Afrique on a surtout appris à avoir faim, à vouloir tout ça qu'avant ils ne savaient pas vouloir, ensuite ils ont su, ils ont su savoir ce qu'ils veulent, et alors l'aide humanitaire, merci, merci, et la corruption, et les agents doubles.

L'homme, dit la jeune fille, a le même rire que les autres, ceux qui l'ont violée. Après avoir tué son père. L'homme aussi s'est fait corrompre. De même le prêtre. Tous des agents doubles. Des complices. Parce que ce ne sont que des survivants, forcés à ces expédients, et dont l'ultime sursaut, l'ultime résistance, consiste à faire dire la vérité du cadavre. Ils ont l'air vivant, mais ce sont des cadavres.

La jeune fille venait de naître, elle avait crié trois fois, et une musique de flûte l'avait endormie. Sa musique, celle du cœur, ils l'ont tuée à coup de viols.

Il reste envers et contre tout à dire "la poésie de la mère moineau échouée dans un grenier de blé", et il reste à "pisser le monstre".

L'homme, qui sait très bien, si bien, qu'il est un esclave moderne, a toujours une bouteille d'acide sur lui, pour en finir. Ils ont capturé son âme, ils ont séquestré sa pensée, il n'y a plus de vie en lui, il n'est qu'un vieux cadavre, qu'il n'y a plus à tuer, mais à enterrer.

L'erreur de la jeune fille: elle veut épouser l'humain, pas un humain, pas celui-là, l'être singulier, unique, non, l'humain en général, réduire à l'humanitaire, tout le monde pareil, à traiter pareil, ils ont tous la même faim, le même désir, rien de singulier, un traitement général, le même, programmable, expérimentable, gérable, dont la rentabilité sera calculable, comme un gigantesque élevage d'animaux de laboratoire. Elle, la jeune fille, donc, elle épouse l'humain, pas un humain. C'est compris? Tous dans le même sac. Une communauté, le nombre. Elevage d'animaux humains. Alors, "Vous avez vu ma tête, elle est pleine, elle grouille de petits mots, des petits mots doux, des petits mots méchants, des petits mots doux-méchants", dit-elle. Et encore "j'ai envie de tes doigts de squelette dans mes cheveux crasseux", "vous voyez bien qu'ils sont là, tous ces mots, ces mots humains, dans mon magasin, bien au frais".

L'homme, avant de mourir par balles, dit: "Elle est bien quelque part cette tranche de nous, l'autre." Et il faut sept balles pour tuer un cadavre. Par la vérité. Un autre Judas est en train de naître, par cet auteur, Ousmane Aledji, non pas pour livrer le Fils de l'Homme, mais pour annoncer la bonne nouvelle à tous ceux qui tiennent encore sur leurs pieds dans l'espérance de la résurrection. La parole, les phrases, la pièce de théâtre, tout cela, c'est la résurrection.

Alice Granger Guitard

29 juillet 2003

 

 

 

 

 

 

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