par Alice Granger
Editions du Seuil.
Lintérêt de ce roman nest pas seulement de mettre en lumière combien larrivée dun handicapé met en question léquilibre dune famille et de la société.
Bien plus, ce roman met en relief le fantasme de la famille et de la société de faire de lenfant et du handicapé qui est comme un enfant encore plus immature ce quils veulent quil soit. Fantasme de faire un enfant idéal, parfait. Fantasme de faire disparaître le handicap. En vain. Le handicap résiste. Lenfant handicapé ne coïncide jamais avec limage normale attendue, malgré les techniques de rééducation qui peuvent être entendues comme du maternage.
Lintérêt de ce roman réside dans la résistance à luvre, qui semble ne pas être seulement celle du handicap, mais aussi celle de lenfant au maternage rééducatif. Lenfant différent trouve, tout seul, des moyens de satisfaction et de réalisation qui ne sont pas ceux prévus par lentourage et la société. Il est étonnant.
Elle est judicieuse, la réflexion de ce médecin spécialiste, qui dit que, même sans toute cette rééducation, lenfant handicapé serait arrivé au même résultat. Ce qui me semble critiqué nest pas tant toutes ces techniques mises à luvre dans lesprit de vouloir du bien à lenfant, que le fait que celles-ci devancent systématiquement la demande, le désir, linitiative de la part de lenfant. Tout se passe comme si une mère présentait systématiquement un biberon plein à son nourrisson avant quil ait faim. Peut-être problème de notre société de plus en plus maternante, mais encore beaucoup plus criant dans le cas dun handicapé.
Alors, le bien quon peut faire à un handicapé ne serait-il pas de le laisser advenir à la faim, à la demande, à linitiative, à son propre rythme, et à ce moment-là dêtre présent pour y répondre et le faire naître une deuxième fois ?
A la lumière de cette autre perspective, la position très différente du père et de la mère à légard de lenfant handicapé dans ce roman est très intéressante. Tandis que la mère est très maternante, le père, bien que toujours soucieux des meilleures conditions pour le handicap de son fils, est beaucoup plus distant. Mais cette distance ne laisse-t-elle pas le temps pour son fils dadvenir à la demande, à linitiative, à linvention et même au risque formateur ?
Alice Granger-Guitard
le 07/03/2002