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L’Instant éternel - Michel Maffesoli
par Alice Granger

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Editions Denoël.


Ce livre s'intéresse à l'homme sans qualité, l'homme ordinaire, banal. Notre époque post-moderne semble, à lire l'analyse faite par Michel Maffesoli, pouvoir matérialiser pour le plus grand nombre, voire pour le peuple, pour tous les hommes sans qualité, une certaine joie de vivre dans un monde certes précaire mais dans lequel il y a le retour cyclique d'instants éternels dont jouir, le tragique de la précarité exacerbant la jouissance de ce qui est, de ce qui se présente. Monde de la présentation, et non plus de la représentation. D'où images de plus en plus omniprésentes.
Michel Maffesoli en parle très peu, mais sans doute les immenses progrès technologiques y sont pour quelque chose dans le fait que, pour la première fois, une sorte de matrice se présente, se matérialise, pour prendre en son sein tous ces hommes sans qualité. Des choses sont, dans ces instants éternels qui font cycliquement retour, et de ce qui est on peut jouir, ce qui est pris est pris. Des choses qui sont publicité est faite : des images, des personnes au sens de masques apparaissent incitant à jouir comme elles, à communier dans la même jouissance précaire mais intense, ce sont des totems.
L'époque post-moderne produit du matriciel, du ventre, de la terre. L'époque post-moderne produit du naturel. Présente de multiples et variées occasions de jouir de ce qui est, de ce qui se présente, dans une émotion collective. Le plus grand nombre, les hommes sans qualité, comme jamais peuvent être apaisés, calmés, par ces bains émotionnels où leur rage peut s'éclater, ceci soudé par ce qui est commun à tous, qu'on l'appelle inconscient collectif, archétype, ou tout simplement l'état de foetus et de flottaison retrouvé en ces instants éternels dans le matriciel présenté en images et en totems. Bien sûr, cela requiert initiation. Tous ces hommes précaires et sans qualité, dont la rage sauvage, la révolte face aux inégalités, pourrait n'être que destructrice, si on leur dit que font éternellement retour ces instants de jouissance, d'éclatements, collectivement et de manière très variée, alors ils sont canalisés. Il faut les initier par l'émotion, en les mettant dans le bain, en les faisant s'éclater, en leur faisant goûter aux trois coupes, celle fade comme l'ennui de l'époque moderne finissante de l'individualisme, celle de l'amertume de se sentir si précaire dans l'impermanence radicale des choses avant d'en accepter le destin tragique par intégration à doses homéopathiques de la mort, celle qui est sucrée par l'émotion collective, l'égrégore qui se produit à apprendre à jouir ensemble des petites voire folles choses qui se présentent au jour le jour, de ces instants d'éternité, de sensation d'être enveloppé dans le matriciel, d'être intensément englobé, de s'éclater dans le grand tout, dans le macrocosme. Initiation nécessaire, connaître rituellement que la jouissance sucrée des choses qui sont, banales, simples, terre à terre, ou folles comme les rave-parties, comme la techno, implique d'accepter la précarité, l'impermanence, l'inégalité foncière des hommes, implique d'admettre la prédestination qui fait que le destin de chacun est, qu'il faut faire avec, s'y plier, combiner donc avec la mort qui fait jouir si intensément des petites bonnes choses de tous les jours. C'est le pathos, ce tragique qui marquerait chaque homme sans qualité, qui l'introduit au matriciel, au présent cycliquement de retour des choses dont jouir par tous ses sens, d'une manière orgiaque, dionysiaque, qui en fait une sorte de possédé.
Dans ce matriciel que la technologie et la logique de marché présentent, présentation englobante et interactive en ce sens que l'homme sans qualité lui-même peut comme dans un jeu de rôle ou de masque faire la publicité de ce dont il aime jouir et devenir un totem pour sa petite ou grande tribu, la vie intense, la vie sensuelle, la joie de vivre, de s'éclater, avec un corps baignant dans l'eau de la religion collective soudant une tribu, c'est comme un jeu éternel, une sorte d'école maternelle joyeuse avec plein de jeux de rôles, d'interactivité, de sensualité partagée, d'oralité, d'analité, etc... Ce matriciel que l'époque post-moderne présentifie, cette sorte de monde indiciel où cycliquement tout baigne et tout semble à portée de mains mais de manière impermanente, tragique, pour chaque homme sans qualité ensemble avec tous les autres avec lesquels il est uni par le même pathos, le même fatum , le même destin, prédestiné comme chacun d'eux, ce matriciel n'est pas incestueux. Il n'est pas frappé d'interdit. Il ne se rejoint pas en bravant un interdit. Il est possible. Ce n'est pas un monde séparé, coupé, perdu par un acte de naissance ou interdit par l'instance paternelle. C'est seulement un milieu intime, un ventre, une éternité féminine de flottaison idyllique et indolente, qui est marqué par la précarité, par l'impermanence, mais qui revient cycliquement. Le passé, le présent et le futur se referment en boucle. L'époque post-moderne, avec sa technologie sophistiquée et sa logique de marché destinée encore plus aux consumateurs ( ceux qui se consument en s'éclatant dans l'émotion collective brûlante ou en flottant dans le bain éternel qui les calme ) qu'aux consommateurs dont la faim n'est jamais évidente à assouvir, a les moyens de rendre présente ce matriciel comme si, dans la jouissance des instants éternels, l'homme sans qualité n'en avait jamais été séparé, comme s'il n'était jamais né, jamais expulsé. L'inceste au contraire implique l'interdit, l'impossibilité d'effacer la coupure. Le pathos, le destin, la mort comme sensation de précarité, de non durée, de non linéarité du temps, sert à se relier au retour cyclique des choses comme elles sont, ces choses orientales que les philosophies orientales ou l'époque pré-socratique permettent de bien comprendre.
Notre époque post-moderne est ourobotique en ce sens qu'elle permet au serpent de se mordre la queue, cet Ouroboros dont il est important de noter qu'il présentifie un foetus, baignant dans l'émotion bien tempérée de sa matrice. Ouroboros, passé présent futur se mordant la queue dans le retour cyclique d'instants d'éternité, de jouissance intense, d'éclatement dans le grand tout collectif féminisé. Comme si l'état de foetus, le désir que tout baigne en ces instants qui reviennent pour les hommes sans qualité, était le désir collectif, l'archétype par excellence. Comme si les hommes sans qualité, tous ces hommes ordinaires, ce peuple, cette masse, ne visaient rien d'autre que ce foetus, dont l'état de flottaison idyllique, d'éclatement symbiotique dans le grand tout matriciel, est précaire, impermanent. Etat de foetus cycliquement rejoint, le plus grand nombre avide de cela, d'où inconscient collectif avec sa vitalité venant de cette grande force dormante, flottante, mais désireuse de cycliquement retourner s'éclater dans le grand tout.
Notre époque post-moderne ourobotique a aussi l'oxymoron pour fortifier, pour renforcer le vitalisme collectif tellurien, matriciel. Oxymoron: par exemple les instants éternels, l'impermanence de l'immanence. Oxymoron: le fait que des contraires, des opposés, profitent à cette force intérieure, archétypale, afin de la fortifier au point que toute l'énergie se focalise sur l'état du foetus qui se rejoint cycliquement dans les instants éternels banals, hallucinants, simples, ordinaires, que chaque jour donne. Si la jouissance éternelle, avec tous les sens, tout le corps, ne durait pas qu'un instant, mais un instant d'éclatement dans le grand tout, d'oubli dans la flottaison retrouvée, de non-temps, alors l'homme sans qualité ne pourrait pas se tourner vers les autres choses se présentant cycliquement, et ainsi de suite. Pour que ça dure éternellement, il ne faut pas que cela dure. Il faut le mouvement pour que l'immobilisme dans la jouissance de la beauté du monde soit désirable. Toujours la même chose dans d'autres choses. La précarité, l'impermanence, alimente le marché des choses qui se présentent chaque jour dans les instants éternels. Une boîte de nuit s'appellant Oxymoron vient de s'ouvrir à Hambourg, et une autre s'ouvrira à Berlin, pour qu'à la sortie de leur travail, dès 19h, les gens sans qualité puissent en dansant s'éclater.
Grande activité en faveur de tout ce qui relève de l'inconscient collectif, de l'initiation à cette vie tribale faite de jeux, à la jouissance des choses comme elles sont, et en même temps grande passivité pour accepter cette figure de l'Ouroboros, cet état de foetus s'éclatant dans le grand tout matriciel présenté par l'époque post-moderne comme la nature elle-même, comme l'unique vouloir retrouver à l'intérieur de soi-même, tout de suite et sans coupure, de ce grand nombre d'hommes sans qualité. Une des interprétations des deux colonnes du temple de Salomon, Bohaz ( passivité ) et Iakim ( activité) . Ce n'est pas la seule interprétation.
Finalement, cette initiation du grand nombre d'hommes sans qualité à la jouissance des choses comme elles sont, dans un sentiment de finitude, de précarité, avec ce que cela comporte comme sécurisation pour chacun d'eux dans l'égrégore émotionnel qui les lie ensemble dans du festif tout simple, fait de petites choses acceptées ou de folles choses qui peuvent s'éclater dans des enclaves bien maîtrisées, pourrait s'avérer une solution très économique pour ceux, qui ne sont pas du plus grand nombre et qui ne sont pas hommes sans qualité, qui tirent profit de cette matérialisation du matriciel. En effet, le matriciel, pour apparaître comme la nature elle-même, ne doit-il pas sa présentification à toute une structure de marché planétaire ? Pas une économie de marché, mais une solution économique pour intégrer le peuple dans une façon de vivre qui, tout à la fois, lui permet d'éclater sa rage d'être précaire et inégal dans de petites jouissances de chaque jour dans la beauté simple des choses, et en même temps d'obtenir son calme, la certitude qu'il ne va pas venir mettre des bâtons dans les roues, s'aviser d'une révolution à faire.
Quant à l'initiation, il y en a, j'espère, une autre, celle qu'écrit le poète Dante.

Alice Granger 

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