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Le génie féminin - Mélanie Klein, Julia Kristeva
par Alice Granger

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Editions Fayard.


Dans ce livre qui analyse l'oeuvre et la pratique de Mélanie Klein avec beaucoup d'intelligence, ce qui ressort est bien sûr l'importance énorme de la mère découverte par cette psychanalyste pionnière en ce qui concerne la petite enfance, mais aussi le fait que la mère réelle peut s'écarter infiniment du rôle et non pas s'éterniser et s'emprisonner dans le fantasme d'omnipotence sur son enfant. Il est beaucoup question de matricide dans ce livre et dans l'oeuvre de Mélanie Klein, comme si ce terme-même portait la trace de la difficulté extrême que les femmes auraient à faire le deuil de leur rôle de mère, comme si elles ressentaient cette perte dans leur corps-même. Matricide, cela sonne, malgré tout, de manière très réaliste. Peut-être que si on disait matrice au lieu de mère, ce serait très différent.
Avec sa découverte d'un inconscient primaire chez le petit enfant dès sa naissance, d'un savoir du corps donc d'un savoir qui n'est pas le fait d'une éducation extérieure, un savoir fait de sensations, inné en ce sens qu'il vient de l'état de flottaison idyllique intra-utérin, d'une douleur et d'une angoisse énormes consécutives à la perte, au traumatisme de la naissance, d'une frustration originaire très vive, Mélanie Klein, ainsi que le note Julia Kristeva, montre que c'est l'enfant qui, en quelque sorte, mène le jeu, que c'est du coeur de lui-même, d'une sorte de négativité originaire, que se construit sa dynamique pulsionnelle . Dès sa naissance, il y a pour lui un dedans et un dehors, parce qu'il a en lui, morcelé par la perte de cette unité que lui donnait la flottaison d'avant, un objet intense, une sorte de trace qui est tout son corps séparé, immature, et qu'une peur pour la vie le pousse à retrouver le matriciel au dehors par un savoir, une sorte de référence omnipotente intérieure et corporelle. Dehors, il y a l'autre, la présence, le sein maternel sur lequel le nouveau-né a un fantasme d'omnipotence pour en faire du matriciel, et par rapport à quoi la mère réelle est toujours imparfaite, même si elle a le fantasme de pouvoir totalement substantifier le matriciel perdu pour son bébé. La référence originaire du bébé, c'est l'état de flottaison matriciel qui réalisait l'unité corporelle perdue à la naissance en particulier parce que l'immaturité mise en relief par le poids du corps a pour conséquence le morcellement angoissant. Dès le commencement, la mère réelle et la mère fantasmatique sont confrontées à cette matrice originaire qui leur enlève à jamais le premier rôle, l'omnipotence. L'enfant en a la trace unique en lui, cet a-bject dont parle Julia Kristeva, et aucune mère réelle ou fantasmatique ne peut espérer rivaliser avec elle. La notion de matricide vient peut-être de là. Du deuil à faire, encore à faire, du premier rôle, du rôle unique.
Pourtant, du deuil que chaque mère réelle et fantasmatique a à faire du premier rôle il y a un bénéfice énorme. Celui de pouvoir se repositionner elle-même, enfin s'orienter par rapport au matriciel perdu et dont la trace reste unique, une sorte d'étrange dictature que personne ne peut monopoliser à son profit. Etrange dictature qui est en soi, cet a-bject dont parle Julia Kristeva.
La vie est l'aventure sacrée des retrouvailles rythmiques avec ce matriciel perdu. C'est parce que, dès le début, les retrouvailles sont imparfaites, sans durée, que cela peut se poursuivre à l'infini. La perfection, si elle met fin à cette peur pour la vie, en annulant la perte originaire, paralyse, emprisonne.
Au début de la vie, habité par la douleur, l'angoisse, par une sorte d'agonie matricielle, mais aussi par le fantasme d'omnipotence sur la présence extérieure qu'il sent, le bébé, en position schizo-paranoïde, en particulier à cause de l'immaturité de son corps et de ses sens, a du mal à faire correspondre l'objet extérieur avec celui dont la trace en négatif est à l'intérieur de lui comme un diktat. De plus, s'il le dévore, il croit qu'il le détruit. C'est très persécuteur. ( A entendre, dans le verbe persécuter le verbe poursuivre. En effet, le bébé ne progresse-t-il pas par la pulsion persécutrice de son a-bject, de la trace en lui relançant sans fin la recherche de satisfaction, et qui prend acte par la pulsion de mort de l'imperfection, du fait qu'il y a du bon et du mauvais, dans l'objet extérieur, le sein maternel sur lequel il projette l'identité intérieure, corporelle, sensorielle morcelée avec la naissance? ).
Dans un premier temps, temps du fantasme d'omnipotence et de la position schizo-paranoïde de l'enfant par rapport au dehors, la mère n'a-t-elle pas aussi le fantasme de pouvoir substantifier le matriciel perdu? D'être la matrice avec son sein-cordon ombilical? Hélas, le bébé n'arrête pas de prouver que le fantasme d'omnipotence est de son côté à lui, et qu'il n'y a pas une parfaite équation entre lui et elle.
La position dépressive semble commencer au moment où, le corps et les sens ayant acquis une certaine maturité, l'enfant peut avoir une notion totale de l'objet aussi bien au-dehors que dedans. La dépression, c'est comme si l'enfant pouvait perdre l'objet extérieur, le sein maternel, parce que, une fois acquis le fait que son imperfection n'est pas due à son caractère morcelé mais à son inéquation originaire avec la trace unique intérieure à lui, alors il peut le laisser tomber.
Mais ce matricide pourrait-il se réaliser si le père ( qui n'est peut-être pas si absent que cela de l'oeuvre de Mélanie Klein, confortant finalement le désir de maternité des femmes au nom de cette position féminine originaire qui serait d'après Klein et comme le souligne Kristeva commune aux filles et aux garçons ) ne manifestait pas par sa présence même la solution d'une certaine réparation des dégâts consécutifs à ce matricide subis par la figure maternelle, afin que, au bout du compte, le désir de maternité perdure?
En effet, pour Mélanie Klein, et aussi pour Julia Kristeva, dès le commencement le père intervient comme pénis du père, objet à l'intérieur de la mère, instaurant une sorte d'Oedipe archaïque. Ce deuxième objet est déjà de l'ordre du symbole, l'objet interne pouvant entrer dans une sorte de deuil puisqu'il y a la possibilité de faire comme le père, pénétrer dedans, d'où ce proto-Oedipe fait de rivalité précoce avec le père. Ce père comme possession de la mère. Comme l'écrit Julia Kristeva, il faut se déprendre de la mère pour penser, même si penser cela sert à trouver comment rentrer à nouveau dedans, ce dedans étant représenté par plein de choses. Le père kleinien semble être là pour monter comment rentrer au bercail, pour presque être le créateur d'un objet maternel-matriciel réparé par son extension au monde perçu, la perception rendant un jugement qui répare le maternel par le fait que des choses en nombre infini peuvent dans un lien de ressemblance et par leur effet de bien-être le restituer. Ce qui reste intact dans ce processus de réparation par l'intermédiaire de ce père qui se montre heureux à l'intérieur de la mère ( de tout ce qui la représente ) c'est l'image omnipotente de la mère.
Très curieusement, Julia Kristeva, racontant comment la fille passe d'un Oedipe-prime à un Oedipe-bis, insiste sur le fait que celle-ci reste cependant une exilée par rapport à cette dynamique oedipienne, comme si elle ne pouvait, elle, vraiment rentrer sur sa terre originaire, retrouver de tout son corps et de toute son âme l'orient éternel dont elle garde la trace ineffaçable et ineffable en elle, que par la maternité. Par la maternité, en se faisant toute matricielle, toute bienveillante, elle se relie, selon Kristeva, au premier autre, son enfant. Dans l'idéalité du rôle réparé, la femme devenant mère pourrait-elle enfin se lover, tel un foetus flottant dans une enveloppe malmenée mais finalement sauvegardée?
Pourtant, il y a dans l'oeuvre de Mélanie Klein, et sans doute encore plus dans celle de Julia Kristeva, le germe d'une autre possibilité. A propos du fantasme comme métaphore incarnée. Toute la dynamique pulsionnelle de la vie partant de cet objet intérieur, cette trace d'avant la naissance que chaque humain garde en lui pour toujours, qui se manifeste d'abord par une ardente avidité et par la douleur, la frustration, l'angoisse, tout objet extérieur, y compris la première présence qu'est le sein maternel, a à adopter une position d'humilité. Jamais l'objet extérieur ne pourra vraiment égaler l'objet, dit a-bject par Kristeva, intérieur originaire. Toujours, l'objet extérieur subira des hauts et des bas, objet de culte et de destruction, forcé de rejoindre l'humus comme la matrice l'a fait à l'accouchement. Alors, il est vain pour la présence maternelle de s'éterniser, voire de s'exténuer, à vouloir substantifier la matrice perdue. L'idée géniale réside dans la position métaphorique et non pas substantifique.
La mère réelle admettant qu'elle est irrémédiablement dehors, et que, même dans un fantasme omnipotent de substantification matricielle, comme si elle coïncidait vraiment avec une matrice restituée à son enfant, elle ne pourra jamais faire un avec, pénétrer dedans. Elle est un autre objet. A l'extérieur. Elle est une métaphore. Son fantasme sera celui d'être une métaphore, un objet imaginaire ressemblant comme une goutte d'eau à l'objet originaire, mais quand même un autre. Mais, à ce stade archaïque de la vie, cette métaphore ne peut en être vraiment une, efficace, que si elle est incarnée, que si elle répond au fantasme d'omnipotence du bébé à un niveau corporel, sensoriel, de bien-être matriciel. Une métaphore qui puisse être mangée, mais aussi saignée comme le placenta à la naissance. L'important, c'est que la mère sache qu'elle joue le jeu, que son fantasme de métaphore incarnée est son jeu, sa façon de faire comme si, en réponse au fantasme de l'enfant qui est celui qui mène vraiment le jeu imaginaire. Si cette métaphore incarnée est de l'ordre de l'imaginaire, la mère existe en dehors d'elle, elle joue, elle fait comme si, mais elle est aussi autre chose que mère.
L'idée géniale, avec ce fantasme de métaphore incarnée qui permet au matriciel , dont le destin depuis la naissance est de connaître des hauts et des bas comme le matriciel retrouvé et perdu dans le rythme de la vie, de jouer le jeu d'être mangé-détruit, c'est qu'une personne peut servir de nourriture à une autre personne à condition que l'humilité structure sa véritable générosité, à savoir que le triomphe qu'elle connaît à être ainsi enviée conduit à la dévoration, à l'acte d'anthropophagie qui n'est autre que retrouver l'état foetal branché au cordon ombilical nutritif, est suivi de la chute jusqu'à l'humus puisque la nourriture a été prise. C'est exactement le Christ, avec son " ceci est mon corps, prenez et mangez, ceci est mon sang, prenez et buvez ! ". Le triomphe de faire envie, d'éveiller le goût des gens pour l'autre qu'il est et qui s'est mis en relief sur sa croix. La chute, s'il a vraiment servi de nourriture, s'il a vraiment donné de la graine, du fruit. L'incarnation, c'est extraordinaire, à condition d'admettre qu'elle joue, pour les autres qui comprennent et perçoivent ce que j'incarne, par rapport à leur objet interne, à la trace qu'ils ont en eux, à cette envie originaire ardente, mais aussi persécutrice. L'incarnation s'incline du triomphe à la chute, comme la graine qui se met en terre, parce qu'elle se met en acte par rapport à cette envie originaire qui est à l'intérieur de soi, et parce qu'elle ne sera jamais éternelle dans son adéquation avec l'objet intérieur. Qui, habité par l'envie, va se mettre à manger, symboliquement, celui qui se met en triomphe, qui se fait graine, fruit, va s'incorporer ce qui est bon, et laisser ce qui ne l'est plus, comme une matrice qui ne sert plus à rien. En même temps, qui s'est incarné ne s'éternise pas dans le tombeau du rôle, et va pouvoir lui-aussi chercher de la graine, envier, être habité du goût des autres, désirer s'en nourrir.
La question de l'incarnation se bloque, chez Klein, ( chez Kristeva? ) par le père, qui se montre à l'enfant se nourrissant de la mère. En somme, c'est comme si tout pouvait se passer en famille, comme si le couple était le modèle pour les retrouvailles. Comme si les femmes pouvaient monopoliser l'incarnation, en s'éternisant dans l'imaginaire, puisque le fantasme de la métaphore incarnée monopolise l'imaginaire de l'enfant, maintient dans un espace qui se structure comme une cellule familiale.
Jésus a mis en question cette figure du père montrant comment rentrer au bercail bien gentiment dans la cellule familiale ceci en réparant l'image maternelle. Il a dit à la Vierge: " Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi ? ", marquant qu'entre eux il y a le matriciel à jamais perdu, qu'il n'y a plus rien. Et puis, il a chassé les marchands du Temple, tous ceux pour lesquels ça baigne de faire commerce de la maison de Dieu rejointe. Jésus peut faire cela à partir du moment où il s'est aperçu que lui-même pouvait susciter l'envie, devenir graine, pousser à l'incorporation. Une envie suscitée hors de la cellule familiale, donc dans un ordre symbolique et non plus imaginaire. Ce n'est plus entre maman et papa que cela se passe, l'envie de se reconnecter à quelque chose de nutritif au sens fort du terme, c'est entre les gens eux-mêmes. C'est l'idée que lorsque quelqu'un se met en relief, il peut profiter à d'autres dans les termes mêmes de la faim originaire.
Le fait de déplacer en dehors de la famille l'incarnation, vrai symbole incarné, a pour conséquence de libérer les femmes par rapport au rôle sacro-saint de mère, et du matricide. Le matricide devient inhérent à ce processus anthropophagique qui se met en place dans l'eucharistie, cette dévoration symbolique de quelqu'un par un autre qui l'envie et qui en se l'incorporant le laisse comme une vieille matrice . Le matricide est seulement la trace du placenta qui s'est perdu, et personne n'en est la cible. La mère reste vierge. Chaque femme peut aussi avoir faim de l'autre en relief. Elle aussi peut avoir le goût des autres en prenant de la graine de la leçon christique. Fille de son fils. Et cela change la rencontre des hommes et des femmes.

Alice Granger 

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