23 ans !





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Rien de grave - Justine Levy
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

Editions Stock.2004

 

Le titre de ce roman dit: constate, papa, j'ai réussi, comme tu m'as dit de le faire, à me blinder. Rien de grave, je suis désormais blindée! Comme dire, aussi, je m'appelle Lévy, on ne choisit pas un pseudonyme quand on s'appelle Lévy! Se blinder, c'est-à-dire ne jamais dépendre d'un homme, ne jamais dépendre de personne, ne jamais mettre l'amour au poste de commandes!

Or, comment se blinder, quand on n'est pas dans la situation de devoir se blinder, quand on ne sait pas contre quoi se blinder? Le monde n'est pas gentil, dit papa? Mais, pourtant, papa, si intelligent, arrange toujours tout! Un si gentil papa! C'est peut-être ça, le problème! Comment cela peut-il se terminer, cette gentillesse de papa, qui occulte tout le temps ce contre quoi il s'agit de se blinder? Par Terminator, par une femme que la jeune Louise nomme Terminator, au regard de tueuse, qui rend possible le sevrage, la dépendance vis à vis de l'intelligence amphétamine de papa, l'intelligence tranquillisante de papa? Louise flotte un certain temps, allant jusqu'aux frontières de la mort, entre les amphétamines et les tranquillisants, et les antidépresseurs, se droguant pour être à la hauteur de ce qu'attend d'elle son mari Adrien lorsque, poursuivant son ambition très grande, il va dans ses soirées et manifestations mondaines et politiques.

C'est curieux comme on a tellement l'impression, en lisant, qu'Adrien flirte très étroitement avec le personnage du père de Louise, brillant et intelligent comme lui, et, comme lui demandant à sa fille de lire trois livres par semaine bref d'être à la hauteur de l'image qu'il attend d'elle Adrien demandant à sa jeune épouse d'être aussi à la hauteur, d'accompagner, en somme, de manière gémellaire, son ambition.

C'est très très incestueux, tout ça! Adrien finit par prendre à son père sa maîtresse au regard de tueuse, que Louise appelle Terminator, et cette histoire œdipienne où le fils devient ainsi comme son père par cette femme interposée, et où ce père peut dire que son fils est sa seule œuvre, se double de l'histoire du mariage d'Adrien avec Louise, devenus encore presque des enfants amoureux fous l'un de l'autre, un amour de Belle du Seigneur, un amour comme entre jumeaux, entre siamois, un même corps et deux têtes, une même tête et deux corps, ce mariage, donc, qui permet à Adrien d'avoir accès au père si intelligent et brillant de Louise, et à Louise, par laquelle cette opération passe, d'être remise dans une situation fusionnelle avec son père par l'amour fou de son mari.

Adrien est obsédé par les pères, par le sien, et par celui de Louise. Et cette obsession entre en résonance folle avec l'amour de Louise pour son père. D'où l'amour fou entre eux, l'amour en symbiose! Louise, l'occasion inespérée d'avoir accès au père, à ce personnage si brillant, être comme lui, se l'incorporer littéralement pour réussir la ressemblante ambition! Pour cela, il a besoin d'être accompagné de Louise, de la fille! Mais celle-ci n'est pas à la hauteur! Comme si, bizarrement, ce père si gentil, ce père qui arrange tout, justement, la seule chose qu'il n'avait pas arrangée, c'était cette initiation à être à la hauteur! Louise face à face avec l'incroyable douleur de n'avoir jamais, en fait, accompli d'initiation incestueuse avec son père qui l'aurait présentée toute prête à bien servir les ambitions de son jeune mari!

D'où l'infernale descente aux enfers en suppléant à la non-initiation incestueuse par le père par la prise des amphétamines qu'elle trouve dans son bureau, alors elle a l'illusion d'être aussi intelligente que lui, d'avoir le cerveau de papa, d'être téléguidée par lui, initiée, et tout cela se passe dans l'enfer de l'inceste bravant l'interdit! Et le gentil papa, comme par hasard, ne s'aperçoit pas, même lorsqu'elle est au plus mal, même lorsque l'effet papa intelligent ne joue plus sur elle et que ne reste malgré l'augmentation effarante des doses alternées avec des doses effarantes de tranquillisants que le risque de plus en plus réel de mort, que sa fille va mal, il la laisse face à face avec ce par rapport à quoi elle a à se blinder! Ce père qui, pourtant, l'a pendant longtemps, comme elle dit, blasée, pour dire gâtée!

De son côté, Adrien prend acte de l'impossibilité de Louise à être à la hauteur, il prend acte qu'en fait, son père ne lui a pas appris! Alors, bien sûr il change de femme! Il prend celle de son propre père, celle-là bien initiée, bien à la hauteur, Paula, alias Terminator! C'est avec elle qu'Adrien aura un fils, c'est-à-dire aussi qu'il se fera lui-même, ambitieusement! Avec Louise, curieusement, il se dit stérile, comme s'il lui manquait quelque chose pour sa gestation de fils sur le plan de ses ambitions. Alors, Louise, qui est elle-même une prématurée, une fille qui vit avec l'impression de ne pas être terminée, de ne pas savoir donc comment devenir une femme, qui a des seins et des règles très tard, qui n'a donc pas eu les conditions matérielles de se finir comme fille, ignore pendant cinq mois qu'elle est enceinte, enceinte en fait des ambitions que son mari Adrien a mises en elle! Lorsqu'elle l'apprend, évidemment cette grossesse tombe mal, Adrien n'en veut pas, parce que son ambition à lui n'a pas pu arriver à terme, et c'est évident que Louise n'est pas la femme avec laquelle cette autre gestation, la seule importante, celle d'Adrien devenant aussi bien que son père et celui de Louise, peut arriver à terme! Alors, cette vérité est si criarde qu'elle s'impose avec fracas! L'ambition en gestation d'Adrien est plus forte que tout! Avortement!

Ce qui frappe, lorsque Justine Lévy apparaît dans un espace public, en l'occurrence chez Ardisson, c'est sa persuasion d'être dans un temps adolescent, avec la sensation intense et effrayante des regards sur elle, et elle ne pensant qu'à les fuir vite fait une fois la promo vite faite bien faite, fuir les caméras tellement la sensation de jouissance est trop forte, trop culpabilisante, trop honteuse, trop réelle! Etre à ce point sûre d'être regardée comme cela! Et, sous ces regards, ne pas savoir quoi faire de ses mains, donc attirer le regard sur elles, rougir, bien montrer qu'elle est mal à l'aise, ne pas arriver à se blinder contre ça? , ou bien jouir au prix d'une forte sensation de culpabilité d'être blasée de ça?

En même temps, cette idée qu'elle a d'être prématurée, pas finie, pas vraiment une femme, pas vraiment une adulte, pas vraiment à la hauteur dans le monde des adultes, pas vraiment sortable, pas vraiment brillante, rime avec sa mère avec laquelle elle a été séparée dès l'âge de quatre ans, une mère qui a dû elle aussi se désintoxiquer, une mère séparée du père, pas non plus à la hauteur? , prématurée dans sa vie? , en tout cas une mère ayant laissé son cancer du sein atteindre un stade trois fatal! L'héroïne Louise, à travers son propre mariage débouchant sur un divorce, ne serait-elle pas en train d'entendre l'histoire de celui de ses parents, forcée de l'entendre dans sa propre histoire côté version de sa mère, alors que, à quatre ans, elle s'était sentie forcée de choisir son père contre sa mère? Comme si sa mère revenait aussi, envers et contre tout, comme pour lui dire pour quelle raison cela n'avait pas marché? Sa mère était partie, pour son bien, mais était revenue, comme elle avait dit! Revenue non seulement physiquement, mais aussi autrement, dans l'expérience d'un divorce qu'à son tour sa fille fait! Comme par hasard, c'est aussi à ce moment-là que le cancer de cette mère entre en scène! Louise avait en résonance vécu aussi une sorte de cancer, celui de la drogue, l'envahissement par la drogue, puis s'en était sortie.

Perte de la grand-mère, aussi! Celle qui l'avait élevée! Qui l'aimait en jean! Qui la poussait à aller en boum! Qui la poussait vers la vie!

Voilà: à la fin du roman, Louise est poussée vers la vie! Il y a Pablo! Lui, ce qu'il préfère d'elle, ce n'est pas son père! Et Louise, maintenant, est blindée contre cette vérité! Rien de grave, alors!

Alice Granger Guitard

22 mars 2004

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