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il était une fois... Céline - Nicole Debrie
par penvins

Nicole DEBRIE

il était une fois...
Céline

LES RESONANCES PSYCHANALYTIQUES

Refusant les lectures simplistes de Céline, Nicole Debrie nous en donne une lecture très cohérente à partir de ses rapports à la Loi.

Céline insulte la Loi pour se faire punir à tort et la disqualifier. p 390

Refusant également de lire les idées de Céline d'un point de vue politique - ce en quoi elle semble parfois l'exonérer des conséquences de ses actes et de ses écrits - mais un point de vue analytique n'a sans doute pas à se préoccuper du réel ?? - elle met à jour les ressorts de ce que j'appelle la haine et souligne en même temps le regard critique de l'écrivain sur le monde qui était en train de naître au début du XXème siècle et dont Céline fait remonter les racines à la Renaissance.

Ce monde est un monde qui a perdu le sens du qualitatif:

Au monde du qualitatif est opposé le "tape à l'oeil", la fabrication industrielle substituant la série, le quantitatif, la répétition homogénéisante : p226

Ma mère, il avait bien fallu qu'elle suive aussi cette infection ! Elle en avait fourré partout de ces nouvelles camelotes immondes.(...) De voir pendre à présent chez elle, de toutes les tringles et des tablettes ces kilomètres de roustissures, ça lui faisait pas un peu de chagrin, ça lui foutait la colique! ... Mais y avait plus à chicaner... Les juifs à quatre pas de chez nous, au coin de la rue des Jeûneurs, ils s'en tassaient d'énormes monceaux de la même, à boutique ouverte, comptoirs noyés comme à la foire, à la bobine! Au décamètre! Au kilos!... (Mort à crédit)

Ainsi s'éclairent les rapports sociaux de Louis-Ferdinand, les conséquences de son manque d'agressivité - hormis verbale - et de son attachement excessif au pôle maternel.

Les textes ayant trait à la sexualité sont toujours dépourvus de toute agressivité et font au contraire la plus large part à ce que Freud a nommé "instinct de mort" : la fascination et la jouissance de la dédifférenciation. p108

Commentant un passage du Voyage au bout de la nuit, Nicole Debrie ajoute:

Inspirée d'images maternelles archaïques, cette plongée qui "reçoit" Bardamu sansqu'il ait à manifester l'agressivité propre à Eros. Il ne pénètre pas la basilique tiède, il y est accueilli, comme par faveur, indulgence... par une tolérance qui, en somme, lui pardonne d'exister. p108

C'est dans ce rapport à la mère - cette mère si proche au point que - lorsque Louis songera à déserter en 1912 - elle ira trouver son lieutenant ! - et dans cette incapacité à se défaire des interdits familiaux que se situe le drame de Céline.
Il ne cesse de s'en prendre à la Loi, cette loi familiale très pesante, représentée par
ce père jaloux dont il parle ainsi quand on lui demande ce qu'il aurait pensé du Voyage au bout de la nuit :

Oh, il aurait pas aimé...Il était jaloux, en plus... il ne me voyait pas du tout écrivain, et moi non plus d'ailleurs, on était d'accord au moins sur un point... CC2 p 165

ce père qui lorsqu'il rentre d'Allemagne au printemps 1908, réuni un jury présidé par un traducteur juré auprès de la cour d'appel pour évaluer ses connaissances, ce père qui lorsqu'en 1912 Louis-Ferdinand part travailler à Nice le fait surveiller étroitement par l'employée de l'hôtel où il réside.
Et lorsqu'à la fin de sa vie on viendra interroger Céline à Meudon ...

Les spectateurs de ses diatribes sentiront bien leur caractère ambigu, d'où cette impression d'exagération; mais qui pourrait comprendre que ses plaintes sont autant d'agressions contre les Pères qui l'ont si injustement malmené? Dans son économie libidinale bien particulière, il faut l'avouer, Céline souffre, c'est un fait, mais en même temps il trouve une extraordinaire compensation à sa souffrance: il la flanque à la gueule des pères, ne se nourrit plus, se vêt en clochard, tel un vivant reproche adressé à des interlocuteurs invisibles: "Voyez ce que vous avez fait de moi".p394

Ces interlocuteurs, il leur a donné un nom, nourri de l'antisémitisme de son époque et notamment de celui de son père, ce sont les juifs

maîtres dans le domaine du concept et du négoce, ils lui apparaissent comme des ennemis nés de la poésie qui exige émotion et gratuité enthousiaste; p310

à tel point que, lorsqu'il agresse les juifs comme les adversaires de l'art, les tenants du quantitatif, de l'abstraction, du dogmatisme, il oublie que c'est tout de même à travers Bergson qu'il a intuité la qualitatif et l'épaisseur du temps; que l'esprit de la biologie non-structuraliste lui a été enseigné par Claude-Bernard, que c'est tout de même à travers Freud qu'il a appréhendé une conception de l'homme qui lui ménage une grande liberté poétique. p316

pour lui, que sa mère avait envoyé dans une école catholique, ce sont les juifs qu'il décrit comme

les représentants privilégiés de l'intelligence conceptuelle et abstraite; comme ceux qui, refusant de se laisser "dissiper" par la sensibilité, manifestent un pouvoir viril qui donne une forme au monde à partir d'un projet intérieur. p214

qui sont responsables de cette conception exclusivement déterministe du monde qu'il récuse

L'univers n'est pas qu'en atomes! diable diantre! c'est le scandale qu'éclatera un jour. La science se fourvoye? très bien! vous verrez un peu la suite! Ah, l'atome croit que c'est arrivé! Normance p 143

Nicole Debrie commente:

(...) le rationalisme scientifique est (...) un danger social dans la mesure où il ne procure aux hommes aucun objet leur permettant d'élaborer leur monde pulsionnel, de préciser leur désir, de s'affirmer. p 252

et Louis-Ferdinand Céline prédit

Comment que le nègre va gagner ! Qu'il va venir abolir tout ça ! toute cette forcènerie sinistre ! lui l'Anti-machine en personne ! qui déglingue tout ! raccommode rien ! l'Anti-Raison force de nature ! Il l'aura beau pour trépigner toute cette valetaille abrutie, ces chiens rampants sous châssis !... Beaux draps p 167

et précise en quoi les sciences exactes ne peuvent suffire aux besoins des hommes:

Bien sûr il faut des certitudes, du pondérable, des poids, des mesures, des sciences exactes, des découpetages d'Algèbrie, des mathématiques (...)
Fort bien ! Très bien ! Nous sommes contents ! (...) Tout de même faudrait que ça passe en second... en tout honneur et révérence... que ça décervelle pas l'enfance... autrement c'est plus qu'un désastre, (...) Mais je vois l'homme d'autant plus inquiet qu'il a perdu le goût des fables, du fabuleux, des Légendes, inquiet à hurler, qu'il adule, vénère le précis, le prosaïque, le chronomètre, le pondérable. Ça va pas avec sa nature. Il devient fou, il reste aussi con.
(Les Beaux draps)

il rend les juifs responsables de cette dérive et ce d'autant plus facilement qu'il se souvient de la guerre, cette première guerre mondiale où triomphèrent les armes modernes,

Quand ça deviendra trop compliqué, Thorez s'en ira au Caucase, Blum à Washington (s'ils sont pas butés) chargés de mission très complexes, toi t'iras voir dans les Ardennes, te rendre compte un petit peu, de l'imitation des oiseaux par les petites balles si furtives... si bien piaulantes au vent... des vrais rossignols, je t'assure... qui viendront picorer ta tête... (Bagatelles pour un massacre)

et que Freud - dont il connait par ailleurs les théories analytiques - ose avancer

que la jalousie provoquée par un peuple qui prétendait être le premier né et le favori de Dieu le Père n 'est pas encore éteinte aujourd'hui, comme si les autres peuples eux-mêmes ajoutaient foi à une pareille prétention. P 317 cf Moïse et le monothéisme p 123

Ainsi se jouera la vie de Louis-Ferdinand Céline, ainsi se fera-t-il une image des juifs, lui qui au fond restait imprégné d'une religion où l'image première est celle de la mère, lui qui dans Semmelweis écrivait:

Aussi longtemps que la force physique permit tous les exploits, tant que le muscle fut l'instrument même de la puissance, la virilité resta la base de nos sociétés mais aujourd'hui la force physique c'est peu de chose. Demain ce ne sera plus rien, demain l'audace bruyante, vite épuisée, ne sera d'aucun prix, il faudra pour être vraiment fort respecter la vie, et c'est, en réalité, le propre des médecins et surtout la qualité majeure des femmes qui anticipent dans le monde actuel les destinées de l'avenir. CC3 P93



Penvins
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