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Balzac et la Petite Tailleuse chinoise - Dai Sijie
par Alice Granger

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Editions Gallimard.


Ce roman d'un écrivain chinois vivant en France raconte, avec une belle écriture, la rééducation de deux adolescents dans un village montagneux isolé, au temps de Mao. Ils paient pour leurs pères, respectivement dentiste de renom et médecin pneumologue connu, dont le crime est d'être, pour Mao, des intellectuels, ce qui est le pire mal dans la Chine de cette époque. Le crime d'avoir des parents intellectuels étant si impardonnable, ces deux adolescents n'ont quasiment aucune chance de sortir un jour de cette rééducation physiquement épuisante et humiliante, et censée opérer un vrai lavage de cerveau afin que seule l'œuvre de Mao compte pour eux. Dans ce village perdu dans la montagne, il n'y a pas de livres. Il n'y a que des paysans montagnards incultes, mais émerveillés par le réveil que possède un des deux adolescents car ils en sont encore à évaluer l'heure par rapport à la position du soleil. Paysans émerveillés aussi par la musique qu'un des deux adolescents fait jaillir de son violon, musique de Mozart transformée pour la gloire de Mao. Ces deux adolescents, qui s'avèrent si excellents conteurs, assoiffent littéralement les paysans en leur parlant du cinéma, qu'ils ignorent totalement. Ils ont si faim et soif de ces autres choses que les deux adolescents introduisent dans leur vie par leurs paroles qu'ils les envoient régulièrement dans la ville la plus proche pour qu'ils aillent voir des films, qu'ils leur racontent à leur retour.
D'emblée, ce roman nous montre donc que même dans ce village où rien d'intellectuel ne semble exister, où chaque habitant semble, ainsi que les deux adolescents, totalement sous l'emprise d'un travail physique harassant et de l'idéologie maoïste, une simple parole nourrie d'ailleurs est capable de subversion. Supposés être rééduqués, ces deux adolescents découvrent dans le pouvoir de leur parole une arme contre cette rééducation. La fermeture n'est donc pas si totale qu'on le pense.
Mais le plus important dans ce beau roman, c'est qu'il démontre comment l'absence totale de culture chinoise dans la vie de ce village, les livres et les intellectuels étant supposés représenter le mal le plus grand, donne à la culture occidentale un relief et un pouvoir inédits. En effet, un autre adolescent, le Binoclard, également en rééducation dans un village voisin, possède, dans une valise bien cachée, qu'il a réussi à soustraire à tous les contrôles, quelques livres de la culture occidentale traduits en chinois, plusieurs romans de Balzac, Dumas, Baudelaire, Dostoïevski, Romain Rolland, Flaubert, Gogol, Kipling, etc…L'existence de ces livres interdits, de l'ailleurs en puissance, suscite une curiosité et un espoir si grands chez les deux adolescents qu'ils vont réussir à les voler. Les lisant en cachette, ils vont apprendre chez Balzac, Dumas, etc… ce qu'est l'individualisme. Physiquement complètement asservis à de durs travaux, ils ont la tête ailleurs, le germe de la liberté est en eux.
La conséquence de ces lectures occidentales sur leur vie va s'inscrire par un détour par une Petite Tailleuse chinoise très belle mais très ignorante, comme une fille campagnarde de ce village fermé sur lui-même. L'un des deux adolescents est amoureux de cette Tailleuse, elle aussi encore adolescente. Il a l'idée géniale de l'initier à Balzac, répondant à son grand désir d'apprendre. La subversion occidentale, son individualisme, prend si bien chez cette jeune campagnarde chinoise que peu à peu les vêtements qu'elle fabrique s'inspirent de la description de vêtements occidentaux décrits par Balzac et les autres auteurs. L'idylle entre elle et l'adolescent paraît sans nuages. L'adolescent est d'autant plus atteint par le dénouement inattendu : un beau matin, ayant parfaitement bien intégré la leçon d'individualisme enseignée par Balzac, la Petite Tailleuse chinoise quitte son village, son amoureux, pour aller seule vers la ville et vers sa vie. La perte originaire, la séparation, s'inscrit et s'écrit dans la vie des deux adolescents sous la forme du départ de cette jeune femme émancipée par des lectures occidentales. Sans merci, en quelque sorte, elle les quitte.
Son amoureux, avec l'aide de son ami, brûlent les livres d'Occident. L'essentiel est désormais inscrit dans leur vie.

Alice Granger

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