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Cinéma, psychanalyse et politique - Roger Dadoun
par Alice Granger

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Editions Séguier.


Dans ce beau livre, doté d'une riche matière à réflexion, Roger Dadoun analyse le lien irréfutable entre le cinéma et la psychanalyse en ce sens que le cinéma met en jeu et en scène le désir et les pulsions que Freud a mis en lumière.
Qui dit cinéma, dit metteur en scène, cinéaste, voire photographe. Le film résulte d'un travail sur les images de la part du cinéaste. Le cinéaste oeuvre donc à partir de lui-même, avec sa logique, son idiome, à partir d'une perte, d'une séparation qui a inscrit en négatif un objet matriciel en lui qui va non seulement le pousser vers l'extérieur, vers des retrouvailles, mais va aussi l'empêcher de se faire avoir dans la tromperie, extérieure, des images familières et de celles de la société dans laquelle il vit. A l'extérieur, il y a un don d'images, par rapport auxquelles la perte peut espérer se tourner en retrouvailles. Mais ce n'est pas si simple. En quelque sorte, le cinéaste, par son travail sur les images, foisonnantes, sémouvantes, généreuses, affirme que c'est lui qui mène leur jeu, qui le dirige. Ce travail sur les images qu'est le tournage du film, travail d'organisation qui fait apparaître les scènes, les histoires, est peut-être, en fin de compte, plus un travail de résistance contre la profusion laiteuse, maternelle, de ces images extérieures, de ces images qui sont, pleines, contre leur tromperie, contre le fait que, comme le souligne si bien Dadoun, elles sont des malimages, elles ont partie liée avec le mal. Ces images, qui se présentent tel le bon objet de Mélanie Klein au nouveau-né, finissent toujours par s'avérer non en adéquation avec l'objet interne, matriciel, perdu. Le bon objet, la bonne image, le cinéma comme don, finit par s'avérer tentative d'emprise totale sur soi, totalitaire. Comme mal. Ambiguïté de ces images.
Images extérieures, qui existent en tant que telles, fournies par le milieu familial sur fond d'Oedipe, par la société, industrielle, fasciste, nazie, totalitaire, donc finalement toujours avec une sorte de prétention à être le bon objet pour toujours, à fournir un bonheur matriciel. Le cinéaste, en travaillant sur des images fournies par la société dans laquelle il vit, en faisant par un acte créateur surgir une autre histoire que celle qui veut s'imposer, à partir de son savoir, inconscient ou non, sur la tromperie de ces images, met en relief non seulement le lien du cinéma avec la psychanalyse, où pulsion sexuelle et pulsion de mort oeuvrent de concert pour s'unir avec ces images, s'y lover tel le serpent Ouroboros, fusionner et se séparer de ces images ambiguës, mais aussi le lien du cinéma avec le politique. Le cinéma fasciste et totalitaire montre bien à quel point les hommes politiques de ces régimes-là essaient d'exploiter à fond la nature-même des images, lesquelles touchent toujours, en premier lieu, le sensoriel, le corps, l'affectif, comme s'il s'agissait de restituer quelque chose de l'ordre du matriciel. Alors, les images du cinéma totalitaire, ou fasciste, ou même le cinéma du bonheur de la société de consommation, prétendent toujours faire le bien des hommes en commençant par les sensations, le coeur, l'émotion. Le cinéaste va, dans ce contexte-là, travailler à résister à la machinerie qui veut tellement de bien. Il va introduire un grain de sable dans le rouage, une souillure, du sang, des déchirures.
Comme l'écrit finement Roger Dadoun, les images dans leur cinéma, dans leur ambiguïté, ne mettent-elles pas en acte la connaissance du bien et du mal en mangeant la pomme tendue à Adam par Eve, sur les conseils du serpent? Les images-don (Lou Andreas-Salomé), à la profusion lactée voire matricielle, appellent à la tentation le serpent foetal en soi pour qu'il aille s'y lover, retrouvant les sensations corporelles originaires, ces images matérialisées, incarnées d'abord par des figures maternelles, puis par tout ce qui, dans la société, prolonge le rôle. Mais, à s'y tromper, à y aller, on fait l'expérience de la fermeture, du rétrécissement du plaisir, des sensations, et c'est le mal qui apparaît. Le cinéma, le bien et le mal. Mais le mal ne résulte-t-il pas du fait que dans ces images qui sont, à l'extérieur, il y a une sorte de défection du maternel, voire du matriciel? Des images qui ne jouent pas indéfiniment le jeu. Et aucun régime totalitaire ne peut occulter cette défection matricielle des images, donc ce coup de couteau pulsionnel qui fend sa surface idyllique comme de l'eau originaire dans laquelle flotter.
Mais si ce cinéma des images continue malgré tout à se vouloir bon objet accueillant dans son giron l'homme-enfant dans son monstrueux désir de nidation, alors l'horreur vampirique surgit. Et le sang. Film d'horreur. Oeuf humain se nourrissant des vaisseaux utérins, instance maternelle-matricielle sacrificielle.
La vie digne de ce nom requiert un cinéma des images par lequel la tentation de la fusion, de la nidation fantasmatique, se résout en séparation, parce que les images ne sont pas toutes, elles sont comme des femmes qui ne jouent le jeu maternel si indispensable que le temps que mettent leurs enfants à transformer le bon objet qu'elles leur présentent en mauvais objet, ce qui rend inutile tout sacrifice de leur part et les libère. Ainsi, elles ne sont vampirisées que le temps idyllique, cinématographique, que mettra l'enfant, et l'enfant en chaque être humain, pour se séparer de ce qui le laisse en réalité nu comme nouveau-né.
Compte tenu de la puissance du cinéma des images à mettre en scène, à jouer à réaliser l'inextinguible désir inconscient qui pousse chaque humain par sa pulsion sexuelle aux retrouvailles avec l'originaire, compte tenu de la capacité que manifeste chaque humain de résister par la pulsion de mort à toutes les immobilisations signifiant la mort pour la pulsion sexuelle de retrouvailles, le politique digne de ce nom ne devrait-il pas parier sur l'oeuvre finalement désaliénante du cinéma, donnant à la lumière ses enfants, c'est-à-dire toute une symbolique de la naissance qui reste encore impossible dans notre société de consommation ?
Le livre de Roger Dadoun ouvre en tout cas un espace infini pour la réflexion, et ces quelques pages n'en sont que des bribes.

Alice Granger 

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