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Les étoiles froides - Michel del Castillo
par Alice Granger

Editions Stock.

Le " pourquoi " de ce roman de Michel del Castillo ne se dirait-il pas dans la dernière page, par cette phrase : " Tchoun-tchoun pourra toujours servir " ? Et dans cette phrase de Tchoun-tchoun, prononcée alors qu'il est devenu pianiste et donne un récital à Madrid, à propos de sa mère Clara del Monte : " Me regarder dans ses yeux pour savoir d'où je venais ".

Lancinante question, que Tchoun-tchoun se pose à propos de Clara del Monte sa mère, mais que Clara del Monte se pose déjà à propos de Mercedes sa mère : est-ce que ça sert à quelque chose à ma mère que je sois né(e) ?

Alors que la trahison semble au coeur de la vie de Clara del Monte, il semble au contraire que cette femme est depuis toujours incroyablement fidèle à sa mère, plus exactement à la question, " est-ce que ma mère m'aime ? comment faire pour qu'elle m'aime ? faut-il que je lui serve à quelque chose pour qu'elle m'aime ? ". Cette fidélité-là au premier amour, qui pourrait lui assurer que sa naissance n'est pas pour rien, lui fait découvrir, toute petite, que par la trahison elle peut servir à quelque chose à sa mère. Elle a compris que l'amour de sa mère n'a rien de gratuit, et elle en paie le prix : en trahissant son père, qu'elle aime plus que tout. La preuve d'amour par la trahison.

Le contexte de ce roman est cette Espagne noire, la violence qui peu à peu enfle et éclate, avec la monarchie qui vit ses dernières années, le Front populaire, la guerre civile, l'avancée du franquisme, les bains de sang. Mais cette violence-là fait écho à une autre violence, qui se dit entre une mère et une fille, puis entre cette fille devenue mère et ses enfants dont apparemment elle ne fait pas grand cas.

De Mercedes à Clara : il faut que j'aie des preuves que ta naissance me sert à quelque chose. Mon amour pour toi n'est pas gratuit.

De Clara à Tchoun-tchoun : enfin je comprends que tu peux me servir à quelque chose, et je t'aime.

Clara del Monte, exactement comme sa mère Mercedes qu'elle n'en finit pas d'écouter pour être en symbiose avec elle, comme peut-être chaque femme espagnole de cette époque, est double, et ne veut renoncer à rien, d'où une vie de compromis. D'une part il y a les amours et la sexualité, qui sont irrenonçables. Mercedes est toute sa vie fidèle à son amour de jeunesse pour l'avocat Toribio, qu'elle finira par épouser en secondes noces beaucoup plus tard. Clara del Monte sera toujours fidèle à l'appel de la sexualité et de l'amour chaque fois qu'ils se présenteront, quittant d'anciens amants pour des nouveaux très facilement. D'autre part, il y a les conditions matérielles d'existence, des calculs à faire pour assurer une sorte de survie la meilleure possible. Mercedes, bien qu'amoureuse de Toribio, épouse del Monte, homme riche et malade. Clara exploitera aussi toutes les possibilités de sa survie matérielle, allant jusqu'à trahir ses amants phalangistes Nolito et Juan pour se mettre du côté de ceux qu'elle croyait être les gagnants. Non seulement les amours, mais ne pas perdre le nord, survivre. Michel de Castillo écrit que les femmes sont bien plus fortes que les hommes.

Et comme par hasard c'est pour une question de survie, de conditions matérielles pour la suite de l'histoire après la fuite hors de l'Espagne devenue franquiste, que le petit Tchoun-tchoun sert à sa mère. Une mère et son fils pâle et maigrichon sur le pont du bateau qui quitte l'Espagne, c'est un tableau touchant, et le Commandant leur cède sa cabine, et ainsi de suite.

Autant dire que ce roman enquête sur la violence de la non-gratuité de l'amour maternel.

Alice Granger-Guitard
décembre 2001

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