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Jeunesses, Henri Calet
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

Editions le dilettante.

 

Le plus intéressant, dans ce livre qui raconte une investigation auprès d'une série de jeunes, dans les années cinquante, c'est le questionnement sur lui-même que n'arrête pas de faire entendre son auteur de plus de cinquante ans en rencontrant cette jeunesse, qui pourrait être, on en a l'impression, aussi celle d'aujourd'hui.

L'auteur, Henri Calet, demande presque à chacun des jeunes qu'il rencontre et écoute à quel âge d'après eux on est vieux. Et il se demande aussi comment on le voit lorsqu'il entre quelque part, notamment en compagnie de jeunes. La question lancinante, face à cette jeunesse, est: est-ce que je vis encore, est-ce que j'existe encore, la cinquantaine passée, est-ce que je suis encore vivant, est-ce que ces jeunes voient que je suis encore vivant, et qu'au-delà d'un certain horizon il y a encore une trouée vers la vie, une embellie? La réponse qui se lit entre les lignes est que non, plus personne ne voit cet homme de plus de cinquante ans, du seul fait de son âge, et son monde est périmé, s'est effondré. D'ailleurs, il est effectivement mort jeune, Henri Calet. A croire qu'il a lu sa mort annoncée dans cette investigation sur la jeunesse.

Dans presque chaque cas, il s'agit de jeunes élevés très librement par leurs parents, parfois la mère est la meilleure copine, et presque à l'unanimité les jeunes filles veulent se marier avec des hommes beaucoup plus âgés qu'elles, en attendant garçons et filles semblent s'attarder à profiter de la vie, chacun selon ses moyens, en regrettant presque tous de ne pas avoir assez d'argent, que ce soit de la part des parents ou par le travail. Jouir d'abord de la vie, et après, par exemple le mariage, qui se profile déjà pour certains d'entre eux, cet après dont il n'y a plus rien à dire comme si c'était déjà le début de la fin.

Une jeunesse qui vit, comme le dit Cathy, dans l'illusion, en se présentant comme sans illusion. Illusion que les adultes, que les plus de cinquante ans par exemple, s'occupent d'eux, veulent les aider, leur veulent du bien, bref n'ont pas d'autre désir que de tisser une bulle de sollicitude autour d'eux. Jamais cette illusion ne se déchire, laissant par exemple apparaître que ces adultes, loin de vouer pour l'éternité leur vie à vouloir du bien à la jeunesse en les maintenant dans la bulle d'une enfance à jouir totalement si l'argent ne manquait pas, désirent ailleurs, et que, contrairement à ce que les jeunes croient, leur monde est loin d'être périmé. C'est la bulle, qu'elle soit confortable ou non, de l'enfance, celle qui semble pouvoir s'éterniser dans l'adolescence et le début de l'âge adulte, qui se périme, ce que ces jeunes ne veulent pas savoir. Couper le cordon ombilical, laisser se perdre la bulle.

Question, qui se pose en lisant ce livre: est-ce que les plus de cinquante ans, dont Henri Calet est l'un des représentants, apparaissent comme vivants, comme désirants, aux jeunes? Les plus de cinquante ans sont de la génération des parents, ces parents qui sont supposés ne plus vivre que par délégation à travers leurs enfants, sacrifiant, au sens fort et si négatif du terme, au jeunisme ambiant, parce qu'ils n'auraient eux-mêmes pas encore fait le deuil de leur enfance et coupé leur cordon ombilical? N'y aurait-il pas une immense responsabilité de ces plus de cinquante ans à abandonner les jeunes à l'illusion, dans le vertige de la très grande liberté, qu'eux, les déjà vieux dans leur monde périmé, n'ont pas d'autre désir et référence de vie que la vie de leurs jeunes? Combien de jeunes, dans les années cinquante d'Henri Calet comme aujourd'hui aussi, voient leurs parents de plus de cinquante ans comme en train de vieillir tout doucement, bref comme déjà en train de se laisser emporter dans les bras de la mort comme d'une éternelle matrice? Pas plus tard qu'il y a quelques semaines, j'ai entendu un jeune homme de vingt quatre ans dire si gentiment à son père d'un peu plus de cinquante ans qu'il était en train de vieillir tout doucement, et j'en ai été extrêmement choquée parce que ce jeune homme n'avait jamais eu la moindre curiosité à l'égard de ce père poète et était persuadé à mort que ses parents, à partir du moment où lui était né, n'avaient plus eu de désir que de vivre par délégation à travers lui, eux déjà un peu morts, et survivants par identification à son mode de vie à lui selon la mode du jeunisme. Mais il est vrai que l'homme de plus de cinquante ans dont il est question n'a pas non plus réagi, comme si c'était vrai qu'il était déjà tout doucement dans les bras de la mort…Il aurait pu dire, avec beaucoup d'ironie: qui est le plus vieux de nous deux?

Alice Granger Guitard

13 mai 2003

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