23 ans !





Accueil > LITTERATURE > Le Rapport Lugano - Susan George

Le Rapport Lugano - Susan George
par Pierre Lalanne

Fayard, Paris 2000

À mi-chemin entre l’essai et le roman, " Le Rapport Lugano " de Susan George paru aux éditions Fayard, porte le nom d’une charmante petite ville Suisse. Il s’agit, bien sûr, d’un clin d’oeil à Davos devenu un lieu de pèlerinage mythique du néo-libéralisme illustrant parfaitement la domination des Seigneurs du capitalisme sur le reste du monde. Un livre à l’approche inhabituelle pour une oeuvre de fiction, rédigée essentiellement sous la forme d’un rapport administratif.
Pourtant, le sujet est passionnant : le capitalisme est-il menacé et si oui comment le sauver ? C’est la question posée à un groupe d’experts dont la composition doit (on s’en doute) demeurer anonyme et secrète tout comme le contenu et les conclusions du rapport final. Au premier regard, la question peut paraître superflue car, inutile de pousser les analyses socio-politiques pour comprendre que le capitalisme triomphant achève d’imposer au monde son idéologie réductrice de la " fin de l’histoire ". Depuis la chute de l’Empire Soviétique nous assistons à l’intensification de la mainmise complète de la marchandise sur l’humain.
Alors, pourquoi donc une étude financée par les multinationales les plus puissantes de la planète sur le système capitaliste hypothétiquement menacé dans ses fondements ? S’agit-il seulement d’une auto-gratification imaginée par quelques patrons en manque de statues érigées à leur propre gloire ? On pourrait le penser, car qui sont les nouveaux héros, sinon ces grands dictateurs des entreprises concoctant plan d’attaques et offensives pour la conquête des marchés, l’élimination de la concurrence et la vente virtuelle du bonheur sous toutes ces formes. En réalité, nous assistons incrédules à la mise en place d’une stratégie de la terre brûlée par les puissances financières de ce monde qui laissera derrière lui une planète dévastée, épuisée et blessée à mort. À quoi bon se soucier de l’avenir puisque l’éphémère est force de Loi ?
En fait, la question posée au groupe d’expert est sérieuse, très sérieuse même et les moyens financiers à la disposition des chercheurs sont illimités. Après un avertissement des auteurs sur leur appui indéfectible aux lois (dictature ??) du marché, comme seul moteur valable de développement, ces derniers se mettent à la tâche. Ils tracent tout d’abord un portrait très réaliste de l’évolution de notre système économique depuis la fin de la seconde guerre mondiale, soit la mainmise financière et politique, de la Banque mondiale et du Fond monétaire international sur les économies locales des États les plus " défavorisés ". Une sorte de vaste " Plan Marshall " destiné à incorporer l’ensemble des particularismes régionaux dans le giron du capitalisme occidental.
Puis, étrangement, les auteurs insistent sur l’effet évident des méthodes de développement actuel sur l’environnement, les ressources, la santé des populations, le niveau de dépendance des populations et cette incroyable injustice institutionnalisée au nom des sociétés de droit façonnées sur le besoin " naturel " de démesure. Bref, malgré les succès de notre système, la planète est en piètre état et son avenir incertain. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il est clairement démontré que ce dysfonctionnement ne remet nullement en cause l’évolution du système, bien au contraire. Le danger vient plutôt de l’incapacité de certaines catégories de la population mondiale (on devine lesquelles) à s’adapter aux exigences du développement économique moderne.
Autrement dit, considérant l’état actuel de la question, la seule menace à l’évolution et au développement du capitalisme est l’homme. Il ne constitue pas une menace en terme de contestation d’un régime profondément injuste, mais il est devenu un élément perturbateur du processus global de production. En théorie, le capitalisme n’a pas de limite et c’est la pression trop forte des individus non-productifs ne participant pas à l’effort global qui en fausse la valeur en devenant une charge trop lourde pour les autres et impose une pression trop forte sur l’ensemble : l’environnement, la santé, l’alimentation, les ressources... D’où l’urgence d’agir et d’intervenir directement à la source.
Dans une logique implacable de pureté idéologique et de nécessité objective, les experts en arrivent donc à proposer des solutions efficaces pouvant être rapidement mises en oeuvre afin de corriger la route du navire. Mais quelle est donc cette solution miracle mise en avant et quels sont les moyens suggérés pour la mettre en place et ainsi adapter l’individu au système ? Je préfère laisser la surprise de découvrir l’ingéniosité méthodique et même mystique des rédacteurs du rapport à ceux qui se laisseront tenter par le livre.
" Le rapport Lugano " est intéressant par le traitement original d’un sujet complexe et par l’actualité criante des concepts que l’auteur remet en cause. La froideur du texte est voulue et reflète la déshumanisation de nos sociétés tout en élargissant la réflexion à l’ensemble de notre vécu collectif et individuel.
Nous ne pouvons le nier et, même s’il n’en est pas directement question dans le livre de Susan George, la globalisation des marchés et l’américanisation de la culture nous touche directement. Considérée au même type qu’une marchandise, la littérature sera de plus en plus orientée et produite uniquement en fonction du nombre de copies vendues et aura des effets dévastateurs sur le contenu, la liberté de l’écrivain et entraînera un déclin rapide de l’originalité des littératures nationales.
Cela ne signifie nullement que la littérature doit être nationaliste, mais refléter la spécificité humaine dans la diversité des cultures et non servir une idéologie dominante et uniformisée.

P . Lalanne

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?