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Pour réhabiliter Céline
par Pierre Lalanne

Louis-Ferdinand Céline

L'an prochain marquera le 70e anniversaire de la publication du " Voyage au bout de la nuit " de Louis Ferdinand Destouches, dit Céline. OEuvre majeure, livre culte, livre maudit, depuis Rabelais jamais un écrivain n'avait autant dérangé les bonnes habitudes de la littérature française. La publication du " Voyage... " ébranle les fondements de la bonne société bourgeoise et l'assurance hautaine des vainqueurs de la Grande guerre. Céline s'impose alors à la France tel un vengeur, tel un ange déchu... l'incarnation annoncée de l'antéchrist de la littérature française. D'ailleurs, elle ne s'en remettra jamais complètement du passage de Céline en ces murs et force est de constater que depuis, la littérature française est branché sur un respirateur artificiel.

Bien plus qu'un livre, " Voyage Au bout de la nuit " est un commencement. C'est l'union parfaite entre un auteur et l'écriture qui l'habite, la vision profonde et sans compromis d'un écrivain sur la nature hypocrite et perfide de l'humanité et de ses valeurs mercantiles; fourberies qu'il dénoncera tout au long de sa vie. Même s'il se qualifiait lui-même de mystique, il faut voir Céline comme un tout indissociable de son vécu, un être spécifiquement matérialiste où sa spiritualité se forge uniquement à partir de son existence réelle. L'écriture célinienne constitue la personnification ultime d'un vécu dans sa forme la plus " économique " du monde, sans artifice et sans concessions. Céline dit et affirme en ne se souciant que d'une chose : l'effet de son imaginaire sur le réel et sa transposition dans un style unique, avec une langue lumineuse.

Admettons-le, le réel n'est jamais facile à assumer pour quiconque n'aime pas la voir en face, surtout en littérature.. Alors, Céline l'écrivain du désespoir? Assurément! Mais peut-il y avoir véritable écriture sans passion et sans désespoir? J'affirme qu'avec Céline seule la passion peut contrer le désespoir et l'acte d'écrire en est l'outil privilégié. Céline incarne la désillusion de l'homme envers le réel avec une puissance de feu incroyable, il transforme l'horreur et la dérision en une incommensurable tendresse pour ses semblables et les exemples en polluent toute son oeuvre.

Exagération? Je ne crois pas! Céline écrit avec la fureur de la sensibilité qui l'habite et qu'il a peine à assumer. Il voudrait voir éclore au plus profond de la nature humaine les mêmes émotions qu'il ressent par rapport à la vie. Il connaît l'hypocrisie humaine, ses institutions et sa capacité à détruire tout ce qu'il touche, ce qu'il y a de meilleur en chacun de nous. Céline a cherché et a découvert le pire, il décrit la face cachée de l'humanité comme personne ne l'avait fait auparavant. Il agit en désespoir de cause au nom d'une mémoire collective défaillante.

" Mort à crédit " est un hymne à la naïveté et à la dureté de l'enfance et devant la sécheresse impitoyable de la vie adulte, tout comme " Guignol's Band " est un éloge à la fuite et à la désertion face à l'inconcevable brutalité de la guerre. À Londres, Ferdinand vit des situations qui lui permettent de se hisser au-delà de la vie tout en montrant qu'on n'arrive jamais à y échapper totalement. Céline est l'écrivain du refus et dénonce tout ce qui étouffe sa sensibilité d'homme. Pour lui, le monde est un mensonge; le monde est condamné et condamnable, il n'y a rien d'autres à en tirer sinon la force de l'écriture, la fuite droit devant et la provocation continue.

Dans " Féerie pour une autre fois " Céline plonge plus à fond dans le délire de la guerre, mais cette fois en tant que " victime civile " du déferlement. Une nuit de bombardement sur Paris lui donne l'occasion d'exprimer son génie dans une écriture complètement éclatée. Jamais, il n'aura été aussi loin dans sa maîtrise de la langue, l'utilisation de sa " petite musique  " afin qu'il exprime sans contrainte sa douleur et sa colère devant l'inacceptable terreur de la guerre. Car il faut aussi comprendre que Céline est un écrivain de la guerre et la souffrance qui en découle. Chacun de ses livres en illustre, d'une manière ou d'une autre, la profonde vulgarité.

Pour Céline, la guerre est l'expression ultime de la lutte des puissances de l'argent et des rapports de forces qui s'affrontent. Les victimes sont toujours les mêmes, les populations innocentes qui doivent subir, impuissantes, les luttes sanguinaires entre possédants. À cet effet, l'antisémitisme tant décrié de Céline y trouve ses origines, il découle directement de cette fausse perception que le Juif possède l'argent, donc le pouvoir et qu'il est responsable des malheurs du temps. L'antisémitisme de Céline en n'est pas un de race ou de religion, mais de contestation orienté sur une pseudo domination économique d'une ethnie sur toutes les autres.

On a souvent répété que Céline représentait la haine, je crois que c'est faire fausse route et seulement effleurer la complexité de la nature célinienne. Céline n'a pas de haine profonde en lui, mais plutôt un sentiment d'impuissance et de rage devant l'inéluctable destin de l'humanité et le peu d'intérêt que cela suscite autour de lui. Selon sa perception, que l'humanité soit Rouge communiste ou Noire fasciste, elle ne mérite pas de poursuivre sa route au milieu de tant de cadavres et d'injustice.

Antisémite assurément, mais ses pamphlets sont davantage l'expression de son désarroi face à l'avenir qu'il pressent, à la catastrophe annoncée. Par souci moraliste et esprit réducteur, on oublie d'étudier Céline dans son contexte historique, " Bagatelles pour un massacre " ne vise pas uniquement le Juif possédant, mais l'ensemble de la société d'alors, les communistes, les nazis en passant par les anglo-américains, tous écopent. Céline n'a jamais été communiste, mais à son retour d'Union soviétique il écrit " Mea culpa ", le premier de ses pamphlets et le plus instructif. Il comprend qu'il n'y a pas d'espoir, qu'il n'existe aucun modèle de référence auquel il peut s'accrocher, aucun système n'est en mesure de répondre à ses attentes de justices et d'idéaux. Il en rejette donc la responsabilité sur l'ennemi séculaire, l'idéologie de l'argent représenté par le grand complot Juif.

Ses derniers romans, sa trilogie de la débâcle allemande, Céline décrit et vit la misère du vaincu et l'indifférence du vainqueur face aux drames humains qu'engendrent les guerres. La traversée de l'Allemagne dévastée est un cri de révolte continu destinée à la mémoire de l'humanité. Puis, soudainement, Céline s'est arrêté, la mort est venue trop rapidement, car les récits en devenir de son exil, son emprisonnement, sa résidence surveillée et son retour en France tel un pestiféré aurait probablement bouleversé encore et toujours les tabous historiques du politiquement admis des années 60.

Je crois donc qu'il est temps de donner à Louis Ferdinand Céline la place qui lui revient en tant qu'écrivain majeur du siècle qui vient de s'achever dans le triomphe de la philosophie néo-libérale. Autant par l'originalité de son style que par le contenu de son oeuvre, Céline a marqué profondément son temps et le nôtre. Au-delà de Camus, de Sartre et de tous les autres, Céline fut le seul à vraiment sentir le xxe siècle tel qu'il fut et comprendre l'esprit des hommes qui l'on traversé dans la démesure que l'on sait. De la chute de l'Empire austro-hongrois en passant par la Révolution bolcheviks, les Nazis en Allemagne et la mainmise américaine sur l'Occident et sur le monde, Céline a tout vu, tout entendu et tout senti. Il a même compris avant tout les autres que la Chine deviendrait un joueur incontournable parmi les puissants, il la voyait déjà défiler sur les Champs Élysée.

Cette année marquera le 40e anniversaire de la mort de Louis Ferdinand Destouches, dit Céline. Depuis trop longtemps, l'intelligentsia et la littérature française l'ont injustement exclu de ses rangs. Toutefois, cette dernière n'a jamais réussit à combler l'absence laisser par cet ostracisme honteux et planifié. L'évolution du Français et de sa place dans le monde en a subit des dommages irréparables en s'écrasant vilement devant l'empire moral et culturel américain.

L'oeuvre de Céline est exceptionnelle tant par sa richesse, son originalité que par sa puissance intérieure et aurait du servir de modèle et de tremplin en influant un nouveau souffle à cette littérature qui se ratatine petit à petit, se détériore, se replie sur elle-même en devenant chaque jour un peu plus individualiste, un peu plus nombrilisme et ouvertement collaboratrice avec les valeurs libérales et néo-libérales en vigueur.

Céline lui manque et nous manque cruellement.

Pierre Lalanne

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